Si Theresa May s'en tient à son plan (existe-t-il vraiment ?), l'article 50 du traité de Lisbonne devrait être invoqué en mars 2017, et le Brexit de s'enclencher. Aucune négociation ne pourra commencer avant cette procédure, les leaders européens s'étant montrés très clairs à ce sujet.
Pourtant, certains signes ne trompent pas. Les différents protagonistes essayent déjà d'avoir la meilleure main dans cette partie de poker menteur qui n'a pas encore officiellement démarré. La métaphore serait amusante si elle s'arrêtait ici - mais ce sont bien les citoyens qui serviront de bargaining chips, de monnaie d'échange dans ce grand tournoi européen.
En marge du conseil européen de décembre 2016, circulait une rumeur tenace : l'Union prévoirait d'envoyer une facture de 60 milliards d'euros au Royaume-Uni pour couvrir les frais de divorce. Une décision bien évidemment perçue comme punitive par les citoyens britanniques, qui va échauffer les esprits. Un conseil européen aux airs de Brexit, avec les premières réunions à 27, et ces images caustiques d'une Theresa May cherchant à qui parler.
Il faut dire que la situation sur le sol britannique fait parfois peine à voir. Déjà, les 3 millions d'Européens sur place sont inquiets devant la recrudescence des agressions à caractère raciste depuis la campagne du référendum.
Du côté de l'administration britannique, certains écueils surprennent
Au lendemain des fêtes de Noël, le journal The Guardian raconte l'histoire d'une citoyenne néerlandaise vivant au Royaume-Uni depuis 24 ans, ayant 2 enfants et un mari de nationalité britanniques, à qui le Home Office a suggéré de prendre dès maintenant ses dispositions pour quitter le pays.
Quelques jours auparavant, ce sont les Français et les Italiens qui ont eu la surprise d'apprendre qu'un éventuel retour au pays se compliquerait sur la question des retraites. Her Majesty's Revenue and Customs () a en effet décidé de mettre fin au transfert des retraites privées du Royaume-Uni vers la France et l'Italie, invoquant un certain laxisme dans les conditions de déblocage et d'imposition des fonds du côté français et italien. Des conditions qui n'ont pourtant pas récemment changé et qui existent depuis très longtemps, sans que cela ne pose problème jusqu'à aujourd'hui.
S'agit-il d'une manière de muscler son jeu avant l'ouverture des négociations ? Une façon de montrer que si les Britanniques peuvent perdre certains droits européens, la réciproque est vraie ?
Certes, ces deux faits ne sont pas directement liés au Brexit. Néanmoins, au-delà du fond, suffisamment frustrant en l'état, la forme interpelle. Le timing, déjà, n'est pas anodin, et laisse à penser que le climat des négociations sera délétère. Le blocage des transferts des pensions, effectué sans tambour ni trompette, devait être un non-événement. Pourtant, comme le relate le journal Le Monde, les Français du Royaume-Uni s'inquiètent pour leurs retraites. Sur place, nous veillons et nous mobilisons, et les élus socialistes - Christophe Premat en tête - suivent l'affaire.
Sur le sujet : Communiqué de presse du PS Londres au sujet de la fin du transfert des pensions
Ce changement de traitement envers les fonds de pension rappelle que des points de discussions ou de négociations pouvant avoir l'air mineur, obscur, cryptique ou technique, se traduisent de manière très concrète pour des milliers de citoyens, d'hommes et de femmes n'ayant rien demandé. Il ne faut rien sous-estimer : les négociations autour du Brexit en seront riches.
Il ne faudra donc pas omettre de replacer l'humain au centre de ces négociations et dépasser les postures, les velléités de vengeance, les volontés de gagner ou de perdre ce qui n'est pas une simple partie de cartes. En outre, la technicité des points qui seront négociés ne doit surtout pas offrir une structure permettant de déshumaniser le processus.
la technicité des points qui seront négociés ne doit surtout pas offrir une structure permettant de déshumaniser le processus.
Déjà en juin, au lendemain du vote, j'alertais au sujet du Brexit et de son impact humain - des changements qui vont affecter, de près comme de loin, la vie de millions de citoyens.
Bien entendu, il faut raison garder. Aucune raison de céder à la panique, ou d'ajouter de l'inquiétude à l'incertitude. Ce n'est pas mon but en écrivant ces quelques lignes. Les négociations n'ont pas encore débuté et dans ces conditions, oui, il y aura des mois de doutes, et des millions de citoyens plongés dans des limbes administratives. C'est pourquoi, à défaut de garanties sans réserves d'ici à l'article 50 - c'est vraisemblablement trop demander - la seule chose que je souhaite rappeler aux gouvernements et administrations, britanniques comme européennes, est la suivante :
S'il vous plaît, n'oubliez pas qu'il y a des femmes et des hommes derrière tout ça.