Le premier et court roman d'Iván Repila s'ouvre sur un constat effrayant : deux frères sont coincés au fond d'un puits avec pour seuls compagnons un sac de provisions - auquel ils ne toucheront pas, parce qu'il est réservé pour leur mère - et tous les secrets que la terre peut renfermer. On ne sait pas comment ils ont atterri là, on sait seulement qu'ils veulent en sortir. Le Petit a peur mais le Grand le protège. Les jours, les semaines, les mois, peut-être même les années passent. Leurs corps se fragilisent au gré de la sécheresse, de l'humidité, du manque de nourriture. Leurs esprits sont mis à rude épreuve, effrayés par les loups qui rôdent et la folie qui les guette. Le Petit philosophe, rêve, délire ; le grand entraîne ses muscles à la future évasion.
Un roman qui nous tient captifs
Dans ce huis clos bouleversant et haletant, on craint l'arrivée des loups, on voit la décomposition des chairs, on perd la tête avec les balbutiements insensés du Petit, on goûte aux racines et asticots, on fait semblant de croire qu'une évasion est possible. On est presque tout autant captivé que les deux enfants. Captivé par le roman ça c'est sûr. Il est difficile en effet d'abandonner les deux garçons une fois qu'on a plongé nous aussi dans le puits. Vont-ils survivre ? Vont-ils réussir à sortir du puits ? Comment sont-ils arrivés là ? Beaucoup de questions se bousculent. À l'image du roman, les réponses sont surprenantes et effrayantes.
Un roman mystérieux
Philosophe, traitant de l'espèce humaine, de ses relations aux autres, au corps, à la souffrance, à l'espérance, à la vengeance et surtout de sa force d'endurance et de puissance mentale, ce roman semble cacher derrière l'horreur de la situation un message optimiste sur l'homme. Mais rien n'est moins sûr. On ne sait que penser du sens qu'il faudrait donner à ce conte effroyable. Seul indice, les épigraphes en début de roman : Thatcher et la pauvreté, Brecht et la révolte humaine.
Mystérieux, donc dans son contenu, mais également dans sa forme. Les chapitres portent des numéros, mais l'enchaînement de ces nombres surprend : 2, 3, 5, 7, 11, 13, 17, 19, 23, [...] 97. Nombres premiers ? Nombres de jours écoulés ? On n'aura pas la réponse.
Poétique, la langue de l'auteur exprime la rudesse de la situation avec douceur et métaphore, tout autant qu'avec cruauté et réalisme brut. On a parfois envie de se cacher les yeux et on ressort de cette lecture quelque peu secoué, mais l'aventure est si belle qu'on est vite prêt à replonger.
Fascinant, bouleversant, intriguant, à l'instar de ses personnages on ne ressort pas indemne du Puits d'Iván Repila. Mais l'expérience, celle de la lecture, vaut la peine d'être vécue.
Le Puits, Iván Repila, traduit de l'espagnol par Margot Nguyen-Béraud, Denoël, octobre 2014, 112 pages, 11€.
Le Puits est également disponible en poche chez 10/18 pour 6,10 €.