Le retour du grantécrivain est annoncé en cinq pages du Point, le seul hebdo, parmi ceux que je lis, à paraître cette semaine. Cinq pages, moins une de publicité, restent quatre. C'est moins que les 384 du Cahier de l'Herne qui sort la semaine prochaine, sorte de pierre tombale sur laquelle Michel Houellebecq pose en non-gisant puisque, il l'a revendiqué en titre de son exposition au Palais de Tokyo, il entend bien Rester vivant. D'accord, mais faut-il vraiment qu'il vienne, à intervalles irréguliers, occuper le terrain comme s'il était le seul écrivain qui compte dans la littérature française, voire mondiale? Comme s'il était un écrivain qui compte? Comme s'il était un écrivain...Je prie les admirateurs de Michel Houellebecq de me pardonner - ce qu'ils ne feront probablement pas. Mais j'ai longtemps cherché en vain dans ses livres, et je le ferai encore, l'humour que lui attribuent bien des critiques, agenouillés devant la statue (debout, la statue, je le rappelle), implorant l'oracle de bien vouloir leur délivrer au moins une parcelle de sa Vérité (la majuscule s'impose). Voici donc, dans Le Point, spécialiste ès bonnes feuilles, les extraits choisis des inédits où, comme l'annonce le titre en corps 72 (je n'en sais rien, en fait, je n'ai pas mesuré, mais c'est grand, comme l'homme probablement), "Michel Houellebecq nous donne ses clés".La vérité, c'est que les clés si aimablement fournies par l'auteur lui-même, dont seuls les naïfs peuvent croire qu'il est le mieux placé pour savoir où sont les serrures, ces clés, j'ai en effet une grosse envie de m'en emparer et de les jeter dans la première bouche d'égout venue.Car enfin, a-t-on besoin de savoir ce que pense Michel Houellebecq de la mémoire de ses sens? Qu'il n'associerait jamais, au contraire de Proust, "un odorat ou un goût" (étrange rapprochement, par ailleurs, pour le goût, on voit bien, pour l'odorat, s'agit-il d'une exploration médicale du mécanisme qui nous fait reconnaître une odeur, enfin, pas lui, visiblement, ou voulait-il dire, mieux à propos, une odeur?), bref, non, tout cela ne le renvoie à aucun souvenir. En revanche, donnez-lui à toucher, à l'aveugle, une peau sur laquelle il a mis les doigts vingt ans plus tôt, et il vous dira à qui elle appartient, même si entre-temps elle s'est fripée. On avait déjà beaucoup ri avec la mémoire de l'eau, la mémoire de la peau est d'un meilleur humoriste - et pan! voilà que je trouve de l'humour chez Houellebecq!Si le titre de cette note vous avait choqué, peut-être aussi vous a-t-il poussé à la lire jusqu'ici. Qu'est-ce que c'est que cette histoire de beauf, vous demandiez-vous, surtout si vous avez lu Le Point où, c'est clair, le beauf, c'est le personnage joué par le père de l'écrivain, pas par l'écrivain lui-même.Le premier jouait, le second, pas. La preuve par quelques éclats d'auto-admiration qui, désolé, ne me font pas rire.Dans "Mourir I", il écrit: "j'ai fait fructifier mes capacités intellectuelles jusqu'à devenir, ça me paraît maintenant inutile de jouer la modestie, un des écrivains les plus doués de sa génération."Et, dans un mail adressé à Teresa Cremisi, son éditrice, alors qu'il relit ses livres, pardon, son oeuvre, pour une réédition, le voilà en pleine phase d'autoréévaluation: "c'est vrai que j'ai fait des trucs bien. C'est quand même d'une violence assez sauvage, parfois, un sauvage attentat contre ma civilisation; mais ça méritait d'être écrit."Autoréévaluation ou autocomplaisance? Et ce n'est pas beauf, ça?Pour réévaluer (mais cela peut être à la hausse comme à la baisse) Michel Houellebecq sans les clés (si vous avez suivi, vous vous souvenez peut-être que je les ai jetées un peu plus haut), on lira ou relira Soumission, réédité au format de poche la semaine prochaine. Je vous souhaite bien du plaisir (ainsi qu'à moi, mais c'est ma vie privée).