réalisé par Bennett Miller
avec Philip Seymour Hoffman, Catherine Keener, Clifton Collins Jr., Chris Cooper, Bruce Greenwood, Mark Pellegrino, Amy Ryan, Bob Balaban...
titre original : Capote
Drame, biopic américain. 1h50. 2005.sortie française : 8 mars 2006
Movie Challenge 2016 : Un film que ma mère adoreEn novembre 1959, Truman Capote, auteur de Breakfast at Tiffany's et personnalité très en vue, apprend dans le New York Times le meurtre de quatre membres d'une famille de fermiers du Kansas. Ce genre de fait divers n'est pas rare, mais celui-ci l'intrigue. En précurseur, il pense qu'une histoire vraie peut être aussi passionnante qu'une fiction si elle est bien racontée. Il voit là l'occasion de vérifier sa théorie et persuade le magazine The New Yorker de l'envoyer au Kansas. Il part avec une amie d'enfance, Harper Lee.
A son arrivée, son apparence et ses manières provoquent d'abord l'hostilité de ces gens modestes qui se considèrent encore comme une part du Vieil Ouest, mais il gagne rapidement leur confiance, et notamment celle d'Alvin Dewey, l'agent du Bureau d'Investigation qui dirige l'enquête...
Truman Capote, que j'avais découvert au cinéma à sa sortie avec ma mère (il fallait bien que je cale ça quelque part pour justifier le Movie Challenge), est un film important à mes yeux. Je ne prétends pas avoir lu tous les ouvrages de Truman Capote (même si j'en ai lu pas mal) mais il s'agit d'un auteur qui m'a vraiment aidée à aimer la littérature (à une période où je n'étais pas amie avec cet art). De Sang-Froid : récit véridique d'un meurtre multiple et de ses conséquences (qui avait connu une adaptation en 1967 par Richard Brooks) fait d'ailleurs partie de mes romans préférés. Contrairement à ce que pourrait indiquer son titre, Truman Capote n'est pas réellement un biopic (comme on aime bien à Hollywood, presque devenu un genre de la facilité, tout le contraire de ce que propose Bennett Miller). Il ne reprend que la partie de la vie de l'auteur américain durant l'écriture de ce qui est considéré par ses fans et les littéraires comme son chef-d'oeuvre. Capote est un personnage assez complexe, pas nécessairement sympathique au premier abord. Il s'est habitué à vivre dans la mondanité (toujours accompagné d'un petit verre), à se donner en spectacle avec des phrases toujours bien tournées et avait un problème d'ego. Le fait divers autour du meurtre de quatre membres d'une famille l'intrigue évidemment intellectuellement, il sent aussi qu'il y a un potentiel littéraire derrière (et a par ailleurs contribué au mouvement du roman-vérité). Mais cette histoire contribue aussi à son ego dans le sens où il sait qu'il peut " révolutionner " à sa façon la littérature. Sa relation avec l'un des meurtriers, Perry Smith, est intéressante dans l'évolution et la perception de Truman Capote en tant que personnage (Perry Smith est aussi concerné même s'il s'agit d'un second rôle) : Capote se sert de sa relation avec Perry avant tout pour nourrir son roman, pour devenir le grand auteur qu'il a toujours voulu être et non par " amitié " comme il le prétend (même si l'attachement avec Perry est bien réel et le conduit aussi à sa dépression et à un alcoolisme encore plus poussé qu'auparavant). L'humanité que Capote prétend voir en Perry Smith est en réalité de la monstruosité. Perry Smith se sert probablement de Capote pour éviter la peine de mort et non réellement pour éviter une quelconque solitude (même si là encore il est possible aussi de son point de vue qu'il se soit attaché à l'écriain). La question qu'on peut aussi se poser est la suivante : Capote n'est-il pas aussi une forme de monstre à sa façon en exploitant en quelque sorte la réalité pour créer en quelque sorte son propre monstre textuel ?
Bref, les personnages ne peuvent pas alors être limités à leurs défauts, à leurs manipulations ou leurs sentiments de faiblesse, il s'agit d'un tout, d'une réelle complexité pas toujours évidente à retranscrire (donnant aussi plusieurs ressentis sur les réactions et agissements des personnages). Truman Capote parvient alors à traiter plusieurs thèmes sans partir dans tous les sens (au contraire en restant cohérent dans les liens noués entre les différents thèmes abordés) : le processus d'écriture (la fiction est-elle toujours influencée par la réalité ?), le passé en tant que construction de l'identité (est-ce que notre passé peut-il excuser certains de ses actes ?), la rencontre entre deux êtres (à quel point peut-elle nous marquer ?) ou encore plus généralement une réflexion autour de la peine de mort. Truman Capote n'a donc rien du biopic lambda, il dépasse largement cette question du genre. Il s'agit alors d'un beau drame sur l'humain et l'artiste, sorte de dualité sans tomber dans la caricature de ce côté-là. On peut aussi y voir une réflexion intéressante sur la relation entre la fiction et la non-fiction (à l'image de De Sang-Froid). Le film est lent, pas très rythmé (je préfère prévenir) mais honnêtement je ne me suis pas ennuyée (et pourtant vous savez à quel point je suis pénible et exigeante sur ce point) car l'intrigue reste bien présente. Le scénario écrit par Dan Futterman (acteur qu'on a pu voir dans The Birdcage de Mike Nichols ou encore Un coeur invaincu / A Mighty Heart de Michael Winterbottom) est particulièrement bien écrit. Par sa mise en scène précise, froide mais paradoxalement envoûtante à la fois, Bennett Miller signe un film intense et captivant. La photographie et la lumière contribuent également à cette ambiance si particulière (on peut même dire malsaine) qui fait ressortir une grande violence chez l'homme. Philip Seymour Hoffman, qui nous manque terriblement, est formidable dans le rôle de Truman Capote,certainement le rôle de sa vie. Il n'imite pas seulement bien l'auteur (il n'y a qu'à voir des vidéos pour constater l'important travail d'appropriation d'identité), il parvient aussi à lui donner une véritable personnalité, à le rendre complexe et humain. Catherine Keener a un rôle plus secondaire mais je l'ai également trouvée très convaincante dans le rôle de la formidable auteure de Ne tuez pas l'oiseau moqueur ( To Kill the Mockingbird), Harper Lee. Enfin, l'acteur américano-mexicain Clifton Collins Jr. (qui aurait mérité pour moi plus une nomination aux Oscars que Keener) est saisissant dans le rôle de Perry Smith et trouve l'un de ses meilleurs rôles de sa carrière.