« L'homme ou l'essence humaine », disait Marx, « n'est pas une abstraction résidant dans l'individu pris isolément. Dans sa réalité, il est l'ensemble des rapports sociaux ».
L'homme en soi est une fiction, il est toujours situé dans un cadre culturel historique. La personne individuelle ne peut être conçue isolément. Comme Lévy-Bruhl l'a si bien montré, à propos des « primitifs », mais avec une portée qui s'avère générale : « la personne est un lieu de participation »….
La constellation typique des éléments interdépendants constituant la personne, peut prendre des formes différentes suivant le cadre socioculturel. Celui-ci sélectionne, valorise, stimule certaines potentialités de l'homme, inhibe et dévalorise d'autres, suivant sa structure. Les composantes des modèles de la personne sont multiples et variables, différemment « dosées » par les sociétés. Ces modèles « théoriques » ou « réels », explicites ou implicites, assurent le développement « typique » (la personnification) des individus d'une société, en réglant leur participation à la vie et aux valeurs de celle-ci.
La personne n'est pas l'apanage d'une seule culture, et aucun de ses modèles particuliers ne peut être élevé à la « dignité » métaphysique. Elle n'est pas une substance immuable, mais la forme variable sous laquelle se manifestent les acteurs humains de chaque société. Elle implique l'interaction entre les hommes concrets et un milieu social.
Comme le note très justement Jean-Pierre Vernant en ce qui concerne le domaine des hellénistes : « II n'y a pas, il ne peut pas y avoir de personne modèle extérieure au cours de l'histoire humaine... L'enquête n'a donc pas à établir si la personne en Grèce est ou n'est pas, mais à rechercher ce qu'est la personne grecque ancienne, en quoi elle diffère, dans la multiplicité de ses traits, de la personne d'aujourd'hui... » .
L'étude de la personne en anthropologie est capitale car elle constitue le palier bio-culturel qui se trouve au cœur même de l'ensemble social. Les dimensions multiples de ce que nous pouvons appeler personne (phénomène concret, modèle et système de correspondance) sont révélatrices non seulement de l'idéologie d'un groupe en général, mais surtout de la manière dont l'humain y est appréhendé. Il importe de ne pas se contenter des aspects manifestes et clairement codifiés, il faut explorer les faces latentes, imaginaires, mythiques, eschatologiques, utopiques et erotiques de la personne dans chaque culture. Il faut sonder les recoupements subtils du visible et du caché. La personne ne doit pas être considérée seulement comme une « figure en relief », mais aussi en tant que « forme en creux » : représentations négatives, contenus refoulés, marginalités. L'image de ceux qui incarnent le modèle de la personnalité (de l'humanité parfaite) de leur groupe est structurellement liée au profil des « a-personnes », et des « sous-personnes » (du paria, de l'esclave, du prolétaire, souvent celui de la femme, du « malade mental », du « diable », etc...), à celles qui sont exclues de la participation complète aux valeurs culturelles de leur société. »Quelques Aspects De La Notion De Personne. Lajos Saghy. Dans La Notion De Personne En Afrique Noire L'Harmattan.
La personne, le devenir humain, reste irréductible à un principe unique (âme ou Moi, )à un de ses aspects ou manifestations : à la conscience individuelle à l'autonomie, à la liberté ou à la spontanéité. Elle n'est pas, à l'inverse, le pur produit d'un déterminisme social. Elle apparait plutôt à l'analyse, comme un phénomène bio-social, un nœud « dialectique » d'unité et de pluralité, liant des données anatomo-physiologiques, psychologiques et sociologiques. Elle n'est pas non plus l'apanage d'une seule culture puisque qu'apparaissant comme forme variable de l'interaction entre les humains concrets et leur milieu écologique et social.
Ainsi regarder l'enfant dans l'Afrique traditionnelle, c'est se demander quel sens il revêt pour ceux qui vont l'accueillir, et quel sera son itinéraire à venir avec les étapes et les rites de passages qui forgeront son identité. Ses significations diverses étant différente de la visibilité qui prévaut chez l'homme nourri des seules pensées objectives, sachant que dans les sociétés traditionnelles, le visible se double d'un invisible, qu'on ne peut lire qu'à travers des signes, et qui fait que la simple perception n'épuise pas la réalité. Tout se jouerait donc à un niveau plus caché, plus fondamental.
I l y a, à l'œuvre, une culture et une pensée qu'on a trop vite qualifiée « d'animiste », le terme renvoyant d'habitude à l'idée d'une primitivité comme phase infantile depuis longtemps dépassée de notre propre culture ,voire à une étrangeté « exotique ».
Pour commencer, il est primordial de préciser que l'animisme n'est pas en soi une religion, ou une organisation religieuse quelconque mais peut s'organiser en religions (les forces qui en sont l'élément fondamental pouvant se symboliser en panthéon). L'animisme est un appareil de croyances, une vision du monde, qu'on retrouve dans un certain nombre de traditions et de cultes, notamment amérindiens et africains, mais aussi ailleurs sur le globe. Il serait bien entendu vain d'en dresser une cartographie précise ,dans la mesure, où on pourrait faire remonter la plupart des traditions à l'animisme : par exemple, la mythologie latine archaïque (donc le panthéon qui existait avant Jupiter et tous les autres dieux d'inspiration Grecque) reposait sur un système de divinités mineures affiliées à des lieux (bois sacrés, sources…) ou des éléments (vent, pluie…).
L'animisme poserait, selon une définition plus que sommaire, le postulat que dans chaque être vivant, mais aussi dans divers éléments tels que les pierres, le vent, les éléments naturels, il y aurait une « AME », un principe de vie . Mais c'est là que le langage risque d'être trompeur : en ce sens qu'animus ou anima latin sont traduit chez nous et la tradition judéo-chrétienne par Ame au sens de réalité substantielle (j'ai un corps et une âme ) et qu'on en oublie le sens étymologique qui signifie (de même qu'esprit) une énergie, une force, un souffle. Ce qui anime… On est donc en présence d'une autre vision du monde, d'un autre modèle identificatoire parmi les structures de pensée possibles, à l'instar de l'objectivisme, du naturalisme ou du totémisme (P. Descola). Un système posant que les que les différents règnes du vivant sont apparentés par l'intériorité, quoique devenus différents dans leur aspect corporel, à partir d'une indistinction première. Ils seraient tous interdépendants au sein d'un cosmos à étages comportant des réalités visibles et invisibles mais sans transcendance. L'invisible n'étant pas la surnature, résiderait simplement dans « un autre lieu », imperméable à nos sens (nous-mêmes posons l'existence d'une matière « noire » constituante de notre univers).Ce cosmos aurait un principe « originel » ce qui a fait dire que l'Afrique traditionnelle était Monothéiste et la première à l'être, mais c'est pourtant à ne pas comprendre à l'aune de nos religions et philosophie. Ce principe créateur qu'on traduit par Dieu était souvent nommé par les langues, « l'Inconnaissable », donc différent de la personne divine du christianisme. « C'est alors qu'ayant décidé de créer l'univers, « le Maître incréé et le Maître sans limite et sans fin, le Maître qui n'a pas de bouche et qui parle » le fit au moyen des signes qu'il avait conçus dans le « mystère de son intérieur », dit ainsi la sagesse du KOMO société initiatique Bambara, soulignant par ce fait que « l'univers, la vie, restait toujours un mystère, un mystère insondable. A cette divinité, on ne rendait pas forcément de culte et il n'était pas transcendant. Le « Dieu » animiste était l'animateur du cosmos, son énergie interne, la « force vitale » originelle qui rayonnait, à travers êtres et choses à des degrés divers, (les trois règnes végétaux, animaux, et humains, les minéraux mais aussi les ancêtres, et les intermédiaires invisibles, vodun ,génies par exemple). Elle se condensait dans certains lieux (bois sacrés, temple, chambre des ancêtres), dans certains êtres particuliers (voyants devins chamans ailleurs) .Cette force pouvait s'augmenter ou diminuer en chacun et on pouvait la capter à travers divers objets –fétiches ou par certains rites. Elle irradiait aussi dans les noms.
« Qu'est-ce donc que l'homme pour les Evhé ? Quelle est sa place dans la création ? Quel est son degré de liberté ? Comment se définit-il des dieux et à quoi lui servent-ils ? Il me paraît indispensable de répondre d'abord à ces questions de façon à préserver la lecture de mon exposé de toute erreur de perspective.
A la recherche d'explications en profondeur à ce sujet, on est vite renvoyé par eux à la cause première de toutes choses, clef de voûte de toutes leurs conceptions, appelée Mawu. Comme il est d'usage je traduirai ce terme par Dieu, mais je tiens à mettre en garde contre une assimilation de la notion de Mawu à celle de Dieu la plus répandue autour de nous. L'étymologie la plus crédible en fait l'être qu'on ne surpasse (wu) pas (ma = négation). Effectivement on appelle Mawu tout ce qui dépasse les facultés de compréhension humaines, sur quoi on évite donc de se prononcer et dont on ne peut jamais acquérir que la conviction intime de l'existence. Identifiant l'inintelligible, au delà du nom et de la forme, Mawu correspond bien plus à la notion de "vide" dans le bouddhisme qu'à celle de "personne divine" dans le christianisme. Bien que tout vienne de lui et que tout tende vers lui, ce n'est pas à lui que l'homme s'adresse pour obtenir l'apparition, comme hors du vide, de ce qui lui semble nécessaire, mais à des entités dont il sait se donner une sorte de formule ou d'emblème, qui ont pouvoir d'intervenir au débouché d'une mystérieuse nature dont le Maître suprême s'est retiré après avoir fixé les lois de sa manifestation. Je ne me risquerai pas à parler de l'inconnaissable ou du vide, sur l'infinitude duquel tout se profile, mais prendrai en considération les toutes premières entités qui en occupent le seuil pour y provoquer ou y surveiller l'amorçage des phénomènes que nous percevons. Bien que plongées dans une profonde obscurité, elles ne peuvent pas moins en effet être l'objet d'assertions…..
….M'étant refusé à traduire luvho par âme et constatant que le luvho ne vient au monde que porté par du souffle vital, n'accomplit sa mission sur terre qu'en chevauchant du souffle vital, puis demeure à l'issue de celle-ci, une fois restitué à l'atmosphère, directement ou indirectement concernés par des appétits de souffle vitaux je me permettrai de le traduire par "esprit", terme dont le sens premier est bien celui d'un principe actif ne possédant qu'un corps de souffle, voyageant dans l'atmosphère et s'insinuant par la respiration qu'il entretient, ou du moins par voie gazeuse, à l'intérieur même des corps).
je traduirai en conséquence agbe luvho par esprit vital ou par pôle vital de l'âme, celui conférant à l'individu une certaine tonalité vibratoire dont dépendent ses sympathies et antipathies à l'égard des lieux, des êtres et des genres d'activité. Et je traduirai ku luvho par esprit imaginant ou pôle imaginaire de l'âme, celui réservant à l'individu un point d'insertion dans l'univers changeant des traces ances-rales, en particulier dans la mémoire collective et le langage.
La distinction est toujours difficile à établir entre l'esprit et le souffle vital qui le porte et qu'il emporte. Rendre le souffle équivaut en effet à rendre l'esprit. Le terme évhé que je traduis par souffle vital est celui de gbogbo qui désigne avant tout le va et vient de la respiration, mais peut désigner aussi le souffle alterné produit par un éventail et les fluctuations de l'atmosphère, et désigne par extension le principe énergétique absorbé en respirant qui entretient au sein des corps les ondulations ou pulsations caractéristiques de la vie. ». Albert De Surgy. Le Système Religieux Des Ewe. .L'Harmattan.
Ainsi dans nombres de sociétés traditionnelles, africaines ou autres, le monde visible et tangible était doublé en dessous, au-dessus ou au fond de lui par un monde parallèle qui n'était t ni tangible ni visible. Ce monde "autre" serait d'une absolue proximité et la mince cloison qui sépare les deux pourrait être traversée par de multiples voies. C'était justement le rôle des « passeurs de mondes», chamans, devins, voyants, nganga. Ce monde serait habité par d'innombrables « entités » : les dieux, les esprits, les génies de la nature, les défunts, les âmes en peine, les ancêtres, etc., dont la présence était tellement évidente et parfois tellement familière qu'on s'adressait à eux aussi naturellement qu'on s'adresse à des humains.
Pour exposer un instant des analogies avec ce qui existe (et pas seulement a existé) dans notre propre culture, rompant avec l'idée d'une primitivité exotique de l'altérité, personne ne dirait que Spinoza était animiste. Pourtant sa philosophie n'est pas différente des principes développés ici dans un tout autre langage. « Dieu c'est-à-dire la Nature » ,disait l'Ethique; une nature qui est « naturante » c'est-à-dire en pleine expansion et créativité, pour qui chaque être n'était qu'une modalité particulière de celle-ci, se différenciant seulement des autres , de tous les autres, par une puissance d'être particulière , un « conatus », force de vie et de pensée qui la faisait persévérer dans son être .(il n'y avait donc pas de privilège ontologique de l'humain mais seulement un degré de puissance.)Le but de chaque étant d'augmenter par la connaissance ou des associations avec d'autres telles les sociétés, sa propre puissance de vie(idée reprise par Nietzsche)
Ou encore selon certaines théories cosmologiques les plus sophistiquées de notre physique contemporaine (théorie des Cordes), une énergie cosmique vibratoire, existant à la fois, dans plusieurs dimensions de l'espace-temps, invisible à nos observations se matérialiserait en vibrant de différentes manières et en générant toutes les particules fondamentales du cosmos. ( Tout comme les cordes d'un violoncelle peuvent vibrées à différentes fréquences, produisant des notes de musiques distinctes).
Dans un ouvrage contesté par sa volonté de généraliser, Placide TEMPELS a eu le mérite de dégager les principes d'une « philosophie bantoue » animiste. (Ce texte ancien (1940) est encore écrit dans un langage qui n'a plus cours, ainsi l'emploi de « primitif »).
« Ceci doit être reçu comme base de la philosophie bantoue. C'est un minimum qu'il faut admettre, sous peine de ne pas comprendre les Bantous.
Ainsi les Bantous auraient une notion composée de l'être, que l'on pourrait formuler : l'être est ce qui possède la force.
Cette hypothèse minimale ne me paraît au demeurant pas satisfaisante, ni même absolument exacte. Elle ne rend pas suffisamment compte du caractère propre de la notion d'être du primitif. Je crois serrer de plus près la vérité si je définis la notion d'être du primitif comme : l'être EST force.
En effet, la formule européenne « avoir la force », nous la comprenons inconsciemment d'après notre philosophie. Si nous formulons le concept d'être du Bantou comme étant : « la chose qui possède la force », le lecteur en retiendra que la force est considérée comme un attribut de l'être. Or, pour le Bantou, la force n'est pas un accident, c'est même bien plus qu'un accident nécessaire, c'est l'essence même de l'être en soi. Pour lui la force vitale, c'est l'être même tel qu'il est, dans sa totalité réelle, actuellement réalisée et actuellement capable d'une réalisation plus intense.
Cette force se réalisant plus ou moins, l'être même se réalise plus ou moins. Les changements de l'être sont, pour eux, les réalisations variées, les degrés, les croissances ou les intensités ontologiques de l'être lui-même…
Là où nous pensons le concept « être », eux se servent du concept « force ». Là où nous voyons des êtres concrets, eux voient des forces concrètes. Là où nous dirions que les êtres se distinguent par leur essence ou nature, les Bantous diraient que les forces diffèrent par leur essence ou nature.
C'est parce que tout être est de force, et n'est qu'en tant que force, que cette catégorie force embrasse nécessairement tous les êtres : Dieu, les hommes vivants et trépassés, les animaux, les plantes, les minéraux. L'être étant force, tous ces êtres apparaissent aux Bantous comme des forces. Ils donneront un nom à chaque chose, mais la nature intime de la chose nommée se présente à leur esprit comme telle ou telle force spécifique et non comme une réalité statique ..
Dans les êtres visibles les Bantous distinguent ce qui est perçu par les sens et la « chose en elle-même » ; par la chose en elle-même, ils désignent sa nature intime, propre, l'être même de la chose, ou plus précisément la force par laquelle la chose est ce qu'elle est. Ils s'expriment en langage imagé lorsqu'ils disent : « en chaque chose est une autre chose » ; « dans chaque homme se trouve un petit homme », on se tromperait grossièrement en prenant pour une terminologie rigoureuse à l'européenne ces périphrases imagées des Bantous. Leur allégorie fait simplement ressortir qu'il y a lieu de distinguer dans l'être matériel ce qui tombe sous les sens, ou phénomène apparent, de ce qui ne se voit pas, ou nature intrinsèque de l'être. » P.Tempels La Philosophie Bantoue. Présence Africaine
Ce sont ses principes qui ordonnaient la vision de l'enfant dans les sociétés africaines traditionnelles (quand elles n'étaient pas islamisées ou devenues chrétiennes par la colonisation comme en voie de disparition par la mondialisation).A la différence de nos traditions culturelles, l'enfant n'était pas un être nouveau, malléable, que l'éducation aurait pour fonction de façonner. Sa vie ne commençait ni à la conception, ni à la naissance, car être composite ,une partie de lui-même était censée venir d'ailleurs, de l'invisible et il avait tout un « passé- présent »en lui.
En plus du corps et de » l'âme" ,conception longtemps dominante de l'anthropologie occidentale, les "anthropologies" africaines faisaient état d'autres principes constitutifs : les uns sont créés par « Dieu » (au sens de l'animisme); les autres sont hérités d'ancêtres et destinés à retourner au monde des ancêtres ; d'autres encore, puisés dans quelque réservoir cosmique, clanique ou totémique, traduisant le fait que la personne n'est pas une monade fermée sur elle-même, mais qu'elle a des participations à tous les niveaux de la réalité. Il est des principes vitaux confinés au maintien des diverses fonctions biologiques et appelés à s'éteindre avec elles. Certains peuvent être eux-mêmes conçus comme des groupements d'éléments d'origines fort diverses, passagèrement coagulés, venant tantôt du père, tantôt de la mère, ou reçus au moment du passage par tel rite.
« L'étude des relations que l'enfant entretient avec l'autre monde révèle donc qu'en toute hypothèse l'héritage qu'il reçoit de ses ascendants dépasse l'ordre purement biologique et touche à l'être spirituel en ce qu'il a de plus intime. Mais dans une ontologie dynamiste où la force de vie représente, non un attribut, mais l'essence même de l'être, les influences que subit l'homme de la part des puissances qui le patronnent sont inhérentes à sa nature, constitutives de sa personne. L'enfant ne peut se concevoir qu'en référence à l'ensemble du système de forces qui le soutient en permanence et lui permet seul de subsister. Qu'une causalité s'exerce sur lui, elle ne peut être simplement passagère, mais fait partie d'un courant continu et durable de fécondation et de vivification. C'est ainsi par exemple que l'action du père sur le fils ne comporte pas uniquement l'acte d'engendrer, de donner l'existence, mais implique une continuelle incubation de la force vitale du père sur celle du fils pour la développer et la rendre prospère. De même l'intervention d'une puissance » PIERRE ERNY. LES PREMIERS PAS DANS LA VIE DE L'ENFANT. L'HARMATTAN
La personne humaine, selon l'animisme, ne peut être séparée du cosmos : Dans de nombreux mythes de l'origine et de l'apparition des hommes, l'humanité primordiale prend naissance, à la suite de l'union sacrée du Ciel et de la Terre, dans les cavernes et les gouffres, véritables matrices d'où elle grimpe jusqu'à l'air libre. L'image de la Terre est celle de la Mère primordiale, et la création de l'homme, est présentée en termes d'obstétrique et d'embryologie. La formation de l'embryon et l'enfantement répètent l'acte primordial et exemplaire de la naissance de l'humanité. L'histoire de la personne coïncide ainsi avec celle de l'espèce telle que la rapporte le mythe
Le lien indissociable entre le devenir humain et l'ontogenèse du cosmos est particulièrement signifiant dans les mythes de la gémellité tels les mythes Malinké-Bambara. Leur philosophie de l'univers se développe à partir de la notion de vide, GLA , de l'univers, qui caractérise un stade intemporel et primordial qui aurait précédé les étapes de la création ( on peut là encore montrer des analogies avec les cosmologies de notre science, Big Bang, expansion et rétraction de l'univers, multivers et énergie vibratoire mais aussi avec la philosophie du Dao et ses phases d'alternances, Ying et Yang.). L'idée de vide va s'accompagner de celle de mouvement, d'éveil, de résurrection. Glà est ainsi le principe du mouvement universel interne du cosmos et de tout ce qui le compose , le principe de l'éternelle résurrection des choses. La puissance de Gla va s'étendre en créant son double. La gémellité » apparaît donc comme un caractère primordial, un principe existentiel. La création originelle a pour base un mouvement qui tantôt pousse à l'expansion, tantôt à la concentration, tantôt fige les énergies, tantôt les ressuscite, et qui s'exprime, sur le plan verbal, par la répétition gémellaire du terme de base : glâ-glâ, indiquant cet éternel va-et-vient qui donne aux choses une âme. Notons que le rôle de l'homme est essentiel dans l'origine.
On peut ainsi lire l'ensemble du mythe Bambara :
Le Gla. , le vide émit une voix qui créa son double, et du couple est sortie une substance humide zo sumale (rouille froide) qui va former les corps durs et brillants. Après une suite de mouvements et de transformations, il se produisit entre les deux gla une explosion qui éjecta une matière dure et puissante qui descendit en vibrant. De cette vibration sortirent les signes qui allèrent se poser sur les choses encore incréées pour les désigner. Puis, la conscience de l'homme se détacha du gla et vint se poser sur les choses et les éveiller à leur propre conscience en les nommant. Au cours de cette création apparaît l'esprit agissant, Yo, plus 22 éléments fondamentaux, 22 spires qui brassèrent Yo et donnèrent naissance au son, à la lumière, à tous les êtres, toutes les actions et tous les sentiments existants. Par la suite, une série de désordres suivis de remises en ordre, vinrent troubler la création où l'homme joue un rôle prépondérant.
Deux premières puissances naquirent de l'esprit Yo : l'une Faro, maître du Verbe, construisit les sept cieux. Il donna naissance à Teliko, le génie de l'air, puis sous la forme d'eau il répandit la vie sur Terre. L'autre puissance, Pemba, créa les mottes et les buttes qui donnent forme à la terre. Après sept ans où il fut un tourbillon, Pemba, se transforma en graine d'acacia et se posa sur la terre pour germer en un arbre, le Balanza, qui devint son avatar terrestre. Puis avec la poussière de ces traces mêlées à sa salive, il créa une femme à laquelle il insuffla une âme (ni) et un double (dya) ; il unit et créa les plantes et les animaux Les hommes rendaient hommage à Pemba et à Mousso Koroni (la vieille mère terre), qui, en échange, leur donnait des directives de vie. Les femmes devaient toutes s'unir à Pemba; c'est pourquoi Mousso Koroni, jalouse, commença à troubler la création et à semer le désordre. Elle institua la circoncision et l'excision, et révéla aux hommes tout ce qu'elle avait appris de Pemba. Communiquant l'impureté à tout ce qu'elle touchait, elle introduisit dans le monde le mal, la douleur et la mort. Pemba la pourchassa, Faro l'atteignit, mais il ne put la soumettre. Finalement, elle mourut, mais avant de disparaître, elle révéla les techniques agricoles aux hommes. Pemba, en plus de l'amour des femmes, réclama le sang des hommes, d'où il puisait sa puissance; en échange, il les rajeunissait lorsqu'ils devenaient vieux et leur enseignait les techniques du feu. Mais il abusa de son pouvoir et épuisa les hommes, ce qui causa sa perte. En effet, les hommes se détournèrent du Balanza) pour s'adonner au culte de Faro. Celui-ci féconda les femmes qui enfantèrent des jumeaux aux membres souples. Mais les hommes avaient rompu un interdit à l'égard de Pemba, et la mort apparut et se propagea parmi eux. Pour compenser ce malheur, Faro leur enseigna la parole. Puis, le génie de l'air, Teliko, tenta de s'emparer du pouvoir; les hommes abandonnèrent Faro pour le suivre. Faro le vainquit et punit les hommes en leur attribuant les articulations propres au travail manuel, auquel tous furent contraints. Les naissances devinrent uniques, mais en compensation chaque être fut muni d'un double, dga, qui siège dans l'eau. »
D'après une étude sur les bambara : http://www.temple-parvis.com/images/cosmogonies/cosmo-av-bambaras.pdf
L'origine mythique du cosmos est donc elle-même vue sous forme d'une gestation et d'une naissance. Le dynamisme humain, et en particulier tout ce qui touche à la sexualité et à la procréation, trouve son équivalent dans l'univers. Une identité s'établit entre l'homme et le monde, de telle manière qu'à la vie de l'un correspond la vie de l'autre. Pour les Bambara. l'homme est un microcosme, résumé de la totalité des êtres et des choses. Le principe de dualité qui est contenu dans la pensée créatrice originelle (mythe de la gémellité ci-dessus))se réalise en l'intériorité humaine par des âmes jumelles qui compensent la séparation des sexes. En lui, Faro est représenté par le NI (l'âme) et le DYA (le double), Pemba par le TERE (le caractère, la force et la conscience) et le NYAMA (même composante que précédant mais quittant le corps à la mort.).
« Evidemment ce qui préoccupe au premier chef les responsables des sociétés d'initiation et notamment ces spécialistes que sont les « généalogistes », et les « psychologues »,c'est « l'origine de la personne » la matière dont cette personne est faite, la nature de l'énergie, du principe de vie, m qui l'anime et de l'esprit, de l'intelligence, dont elle est douée et qui la rend supérieure aux autres êtres. Une leçon dit : « Le signe premier de « l'édification ou fondement » de l'origine] de la personne est « le néant » ,le signe du néant,(qu'on va donc chercher à deviner sur le placenta par exemple) sur lequel repose le substrat de toutes les choses concrètes, dont « l'âme » et le « double de l'âme » dya sont nés et dont la pensée et la réflexion sont issues».
Le signe du néant apparaît ainsi comme un véritable précipité du destin de la personne qui, après avoir émergé à l'un des pôles du néant, acquiert pensée et réflexion (esprit) et âme, avant de disparaître à l'autre pôle une fois accomplie sa vie, « sa traversée de l'univers » "" selon l'expression bambara..
La personne tiendrait donc son origine du néant primordial qui est devenu entre temps notre univers; ce néant dont on dit « qu'il était à l'origine des temps obscur, frais, lourd (dense), uni et calme (statique) avant de vibrer, se rompre, s'illuminer et s'animer dans toutes ses parties sous l'effet de l'étincelle initiale»1101 est, on s'en doute, la matière. Comme celle-ci, dit une tirade du Komo, « la personne n'est autre chose que eau et terre, feu et air »
Cet axiome une fois avancé, on en vient à l'origine même de la vie, I du principe de vie, ni, qui anime la personne. Le NI provient, tout comme l'énergie radiante» nyâ-nyâ1"' qui anime l'univers dans l'étendue et a profondeur incommensurables de ses couches, de la « vibration », ce vocable signifiant par ailleurs « soi-même ». Ce qui permet aux Malinké et aux Bambara d'affirmer : « là où il n'y a pas de vibration, il n'y a point de mouvement; là où il n'y a pas de mouvement, il n'y a point de chaleur (d'énergie); et là où il n'y a pas de chaleur, il n'y a ni âme (ni principe de vie), ni vie. ni mort » l.
N'est-ce pas pour cette raison essentielle que pour matérialiser le « tournoiement (le mouvement) primordial », muntt jolo, et le premier signe de vie, d'existence, les Malinké et les Bambara choisirent le cercle parfait, kara, l'aboutissement final et logique — pour eux — de toute vibration et le symbole par excellence de la rotation ! ».Youssouf Cissé.Signes Graphiques Et Concepts Relatifs A La Personne Chez Les Malinke et Les Bambara Du Mali.
Le corps est conçu comme étant le support de toutes les forces spirituelles; chaque partie est connue distinctement dans son rôle particulier. Il est bisexuel comme les principes spirituels; le garçon est féminin dans son prépuce, et la fille mâle dans son clitoris, et ce n'est selon cette conception qu'après la circoncision et l'excision, que l'homme et la femme pourraient s'unir et réaliser la gémellité originelle fécondante.
On retrouve dans la vallée du Niger, de manière peut-être plus diffuse en d'autres régions d'Afrique, un mythe extrêmement répandu qui dote l'être à l'état originel comme à l'état d'achèvement d'une bisexualité qui en indique le caractère complet et parfait. Cette androgynie est manifestement liée à celles d'un univers gémellaire (-on sait que les mythes orphique grecs faisaient naitre un être bisexué d'un œuf primordial puis après séparation en deux sexes, le désir humain restait la marque de la nostalgie de l'unité perdue). Divinité ou hommes primordiaux se présentent souvent comme un couple de jumeaux de sexe différent. Dans la mythologie Evhé, le Créateur, lui-même bisexué, engendre deux jumeaux; Lisa qui est mâle et apparaît comme un être solaire, Mawu qui est femelle et représente la lune. Dans dans d' autres versions du mythe, Mawu réunit en lui les deux sexes. sur le plan de l'autorité, la reine-mère représente l'élément féminin prédominant et la lune, alors que le roi représente le soleil mâle.
Cette tradition de l'androgynie, qu'on retrouve en Chine, en Australie, et que popularisa Platon dans notre culture, comme mythe de l'Amour(le Banquet) est l'expression de la perfection de l'homme primordial (l'enfant qui nait le symbolise à l'état de virtualités.
La mort dissociera tous ces éléments composant la personne. Mais les composantes ne disparaissent pas, certaines demeurent dans l'eau, sur l'autel où elles ont été capturées, où rejoignent les forces ancestrales. A la naissance, toutes les forces spirituelles seront retransmises intégralement et « rafraîchies », purifiées. Un être en remplacera un autre. L'être humain bambara est ainsi le « grain du monde », reflet de la totalité; L'ensemble des choses soutient l'homme et le fait persévérer dans son existence. Comme le dit le mythe, c'est un même principe d'activité, Faro, le génie bambara de l'eau, qui anime l'univers en toutes ses manifestations vitales ; c'est lui qui détient les principes spirituels des êtres et qui leur donne vie ; il préside aussi bien à la naissance, aux rites de passage, au mariage, qu' aux travaux agraires, aux voyages, à la guerre et à la paix. Par la parole il a donné le langage et les techniques aux hommes.
A suivre