a période des tableaux d’architecture est assez courte : mi XVIIème à fin XVIIIème, mais très prolifique. Dans cette production, les pendants ne sont pas rares: moins chers que des peintures d’histoire, ils se prêtaient à une vente par paire. De plus, l’éviction de tout sujet permettait de composer des couples sans trop se creuser la cervelle, une quelconque symétrie pouvant suffire.
Nous allons voir que ces pendants réservent d’heureuse surprises. En commençant par un exemple précurseur, intermédiaire entre la peinture de paysage et la peinture d’architecture, et que nous devons à un très grand artiste.
Vélasquez, 1630, Prado, Madrid
Ces deux petits tableaux sont très célèbres, car ils sont le tout premier exemple d’une peinture à l’huile réalisée hors de l’atelier, directement sur le motif. Mais pourquoi Vélasquez a-t-il choisi , parmi toutes les beautés du jardin de la Villa Médicis, ces deux détails qui n’ont été représentés par personne d’autre ? Et pourquoi en avoir fait des pendants ?
hop]
Les deux portiques existent toujours : seule a changé, depuis le temps de Vélasquez, la statue abritée dans la loggia : l »Ariane endormie » (original hellénistique que l’on croyait être Cléopâtre mourante, maintenant au musée des Offices) a été remplacée par une Vénus.
hop]
Les deux vues pointent l’une vers le Nord Est, l’autre vers le Sud Est, deux directions où rien de particulier n’est à observer : la logique du pendant n’est pas topographique (opposer une vue vers Rome et une vue vers la campagne, par exemple).
Leur raison d’être est purement architecturale : ils montrent tout deux une serlienne (ou fenêtre palladienne), groupement de trois baies dont la baie centrale est couverte d’un arc en plein cintre et les deux baies latérales d’un linteau, à la manière d’un arc de triomphe romain.
L’une est une fenêtre ouverte sur le paysage, l’autre une porte fermée sur une grotte sans issue.
En peignant ces deux serliennes des jardins, Vélasquez capte le motif qui synthétise à la fois la villa Médicis et la base de toute architecture : le dialogue entre l’ouvert et le clos.
hop]
Les jardins vus du portail de la Villa Medicis
La Libération de Saint Pierre
Pieter Neefs l’Ancien, collection privée
Spécialisé dans les intérieurs d’église et les enfilades de croisées d’ogive, Pieter Neefs l’Ancien met en place deux galeries parallèles pour nous montrer Saint Pierre, guidé par un ange hors de sa prison, qui va sortir par la porte de gauche. Nous sommes ici à la limite des pendants : car pour que les points de fuite coïncident, il faut que les deux tableaux se touchent.
La Libération de Saint Pierre
Pieter Neefs l’Ancien, 1637, Hoogsteder & Hoogsteder, La Haye
Neefs a ici fusionné les deux décors en un tableau unique dans lequel, plus spectaculairement, le sens de parcours est inversé : Saint Pierre et l’Ange entrent par la porte de gauche dans le corps de garde où, à perte de vue, autour d’un brasero ou d’une chope,tous les soldats ont été miraculeusement endormis .
Au tournant entre le XVIIème siècle et le XVIIème, s’est développé un genre très spectaculaire et assez radical de peinture, où l’oeil jouit des techniques pour elles-mêmes (la perspective, le tracé des ombres, les règles de l’architecture) – sans exiger la moindre signification. Un peu comme au début des images de synthèse, d’autant plus saluées que leur exactitude surhumaine les rendaient plus artificielles.
Intérieur de temple
Coccorante, début XVIIIème siècle
La stricte application de la perspective centrale à un bâtiment composée de structures répétitives (colonnes, voûtes) créée mécaniquement un effet d’abyme, spectaculaire, mais vite lassant. Trois procédés, visibles ici, permettent d’introduire une certaine variété dans cette jouissance fractale :
- le décentrage du point de fuite casse la symétrie tout en conservant l’exactitude géométrique, qui est l’argument de vente de ces oeuvres techniciennes ;
- les staffages, ou figurines de remplissage miniatures, rendent le bâtiment plus imposant et en même temps plus vivant ; elles doivent se livrer à des activités anonymes et anodines, de manière à ne pas transformer en peinture d’histoire (genre plus onéreux) ce qui doit rester un exercice de style à vocation décorative ;
- les parties ruinées rajoutent des discontinuités bienvenues et des échappées vers le ciel, qui font entrer la couleur et le nuageux dans cet univers rectiligne.
Colonnes en ruine
Gennaro Grecco, début XVIIIème siècle
On voit ici le passage à la limite de ces trois procédés :
- le point de fuite sort du tableau ;
- les figurants, placés à un endroit stratégique et dans des poses dramatiques, deviennent sujet d’attention ;
- une ruine dont le toit et les cloisons ont disparu crée un effet fascinant de mélange entre intérieur et extérieur.
Ces deux exemples montrent les limites relativement étroites du genre, avec lesquelles les différents artistes vont devoir composer. Malgré leur nom qui signifie « fantaisie », les capricci sont moins des oeuvres glorifiant l’imaginaire que des objets techniques valorisant le savoir-faire, des fabrications en série générées par une combinatoire de motifs et l’application mécanique des mêmes règles : au point qu’il est impossible de leur donner un titre distinctif. En outre, l’absence de datation rend difficile de distinguer les innovateurs et les suiveurs, dans ce marché très spécialisé qui nous a laissé des centaines d’oeuvres, étalée sur deux générations.
Et parmi celles-ci, quelques dizaines de pendants. Nous allons en présenter quelques-uns, qui permettent de se faire une idée des règles non-écrites régissant ces compositions.
Capricci architettonici con figure (accrochage 1)
Coccorante, début XVIIIème siècle, collection Piranéseum
Les deux grandes arches ferment symétriquement les bords externes du pendant. La grande statue vue de dos, à gauche, contemple l’ensemble et donne le sens de la lecture. Au centre, deux enfilades de même hauteur se raboutent : à gauche des colonnes ioniques jumelles, portant un linteau sans balustrade ; à droite des pilastres avec balustrade.
Pourtant, quelque chose nous laisse sur notre faim dans cette disposition. Essayons l’accrochage inverse…
hop]
Capricci architettonici con figure (accrochage 2)
Coccorante, début XVIIIème siècle, collection Piranéseum
Maintenant, ce sont les arches qui se raboutent au centre, et les colonnades qui ferment les bords. L’oeil expert trouve ici une double jouissance : celle de pouvoir comparer les deux types différents d’architecture (colonnes ioniques jumelles contre pilastres), tout en se laissant tromper, au centre, en recollant deux arches qu’il sait pourtant différentes
Ce qui nous donne deux conventions des pendants architecturaux :
- 1) sur les bords externes, être fermés par des motifs qui se répondent et qui se renvoient le regard, comme une balle entre deux frontons ;
- 2) au centre, faire « comme si » les deux pendants constituaient deux vues d’une réalité unique, tout en le déniant subtilement : car l’acheteur paye pour deux inventions originales, pas pour une copie en miroir. Nous baptiserons cette règle : la continuité paradoxale.
Enfin, une troisième règle, très évidente dès lors qu’on s’intéresse à la question de l’éclairage, est un corollaire de la deuxième :
- 3) faire « comme si » il n’y avait qu’un seul soleil, situé en haut et au centre des deux pendants.
C’est d’ailleurs la raison principale qui rendait insatisfaisant le premier accrochage : les deux éclairages latéraux induisaient inconsciemment une impression de divergence visuelle.
Voici une série de pendants se conformant strictement à ces trois règles :
Capricci architettonici con tombe di imperatori romani
Coccorante, début XVIIIème siècle
Pair of architectural capricci with figures before a sarcophagus and figures in a ruined arcade
Coccorante, début XVIIIème siècle
Gennaro Grecco
Thermes antiques en ruines
Ici, la continuité paradoxale s’applique dans toute sa perversité : les arches du premier plan sont identiques et se recollent vraiment, faisant accroire que la piscine du second plan est la même dans les deux tableaux.
A capriccio of the inside of a temple with ruins beyond; a lacustrine landcape with classical ruins
Codazzi, début XVIIIème siècle
Ce dernier pendant ajoute l’opposition terrestre/aquatique, que l’on trouve plutôt dans les pendants paysagers.
Mais l’intérêt d’une règle, c’est bien sûr de pouvoir l’enfreindre, ce qui offre une nouvelle source de variation et d’épate.
Architectural capriccios
Coccorante, début XVIIIème siècle
Ici est enfreint le deuxième commandement, celui de la continuité paradoxale : au centre, non seulement les arches emboîtées ne peuvent se rabouter , mais leur disproportion délibérée vaut ironie – regardez bien comme nous sommes différentes, quoique semblables.
Pieto Capelli, début XVIIIème siècle, collection Piranéseum
Chez cet ennemi juré de Coccorante, le principe de continuité est délibérément remplacé par un principe de contradiction :
- au carré de terre surplombé au fond par une statue pédestre, s’oppose la piscine surplombée sur le côté par une statue équestre ;
- au porche interrompu, à une arcade, s’oppose le portique à deux arcades qui ferme toute la largeur ;
- à la cour en grisaille s’oppose le vide du paysage qui s’estompe.
Apôtre prêchant et Repos durant la fuite en Egypte
Alberto Carlieri, début XVIIIème siècle
Ici c’est la règle N°3 qui trépasse : deux soleils éclairent latéralement les deux décors, qui restent néanmoins conformes aux règles N°1 et N°2.
Pair of architectural capricci
Coccorante, début XVIIIème siècle, collection Piranéseum
Ici les deux premières règles sont violées (pas d’effet fronton, pas de continuité paradoxale) et la troisième est violentée : le soleil reste unique, mais pas au centre des deux pendants. Conséquence cruciale : il n’y a plus d’accrochage obligé, les deux pendants peuvent être intervertis à loisir.
Capriccio with Ancient Ruins and Figure, Dawn
Coccorante, début XVIIIème siècle
Ce pendant satisfait parfaitement les trois règles. Pourtant nous avons triché…
… car le pendant réel est celui-ci qui, comme le précédent, les viole ou les violente toutes. Nous rencontrons ici un système totalement différent, où les pendants se répondent non par symétrie, mais par translation : le plaisir visuel vient ici, non plus du raboutement façon puzzle, mais de la comparaison de variantes, façon jeu des sept erreurs.
Intérieur d’une église avec des Vestales et autres figures
Intérieur d’une bibliothèque avec figures
Tiepolo (figures) et Mengozzi-Colonna (architecture), vers 1725, Collection privée
On ne connait rien de certain sur ce pendants exceptionnel : ni les auteurs, ni la date, ni les sujets (scènes de théâtre ?), ni les circonstances de la composition. A l’évidence, les deux tableaux sont composés de la même manière : même source de lumière en haut à gauche, même choeur démesurément surélevé desservi par un grand escalier, entre deux portes latérales donnant sur des escaliers descendants.
Le point de fuite est situé à la même hauteur dans les deux tableaux, très au dessus de la hauteur d’homme: le spectateur est supposé planer au niveau du choeur tout en se trouvant dans la nef.
La position du point de fuite nous donne, à défaut d’une signification, du moins une logique de contemplation :
- en se plaçant au niveau du premier point de fuite, le spectateur observe le choeur de loin, ce qui lui permet de voir la croisée de transept et de lever son regard vers la coupole ;
- en se décalant ensuite devant le second point de fuite, le spectateur pénètre dans la profondeur du tableau, à l’intérieur du transept, d’où il peut maintenant plonger son regard dans les escaliers descendants.
Ainsi, en se décalant latéralement d’un pendant à l’autre, l’oeil jouit d’une double transformation :
- la transformation purement géométrique des formes, dû au décalage dans la profondeur ;
- leur métamorphose purement architecturale, due à l’imagination de l’artiste : pilastres, choeur carré, arrière-choeur arrondi contre colonnes torses, choeur arrondi et arrière-choeur carré.
Après cette période répétitive et austère, le pendant architectural va perdre son statut de genre à part entière. Quelques artistes vont y revenir sporadiquement et le déplacer, selon leur tempérament, dans les jardins, à la ville, à la campagne…
Jacques de Lajoue, 1740, National Trust, Waddesdon Manor.
A gauche, la turquerie est faiblement accréditée par les deux croissants en haut des pilastres, tout le reste du « jardin des plaisirs » étant d’un rococo échevelé. Le pendant offre de quoi s’amuser aux amateurs de symétries architecturales : colonnes torses ioniques contre colonnes droites corinthiennes ; ferronnerie contre marbre ; statue de Vénus allongée sur des coussins, vue de face, avec Cupidon et sa torche, contre naïade allongée sur une urne, vue de dos, avec un Amour tenant une ligne.
Le regard circule de gauche à droite, d’abord en descendant l’escalier qui mène à la fontaine turque, puis en remontant celui qui mène, depuis la fontaine de Neptune, aux personnages d’ici et maintenant.
Jacques de Lajoue, vers 1740, collection privée
Ces deux pendants proposent eux-aussi une promenade en continu, du bord externe gauche au bord externe droit :
- d’abord, on arrive en barque depuis le canal, on débarque, on monte par l’escalier qui tourne autour de l’arbre ;
- ensuite, on redescend derrière l’arbre, on embarque, on passe la porte entre les deux fontaines et on ressort par le tunnel du fond.
Hubert Robert, 1754-60, Collection privée
Dans ces deux tableaux datant de ses années romaines, Hubert s’amuse avec les conventions du pendant : seule la portion de paysage visible par l’ouverture montre à gauche un paysage terrestre, à droite un paysage maritime. Les scènes représentées (un repas et une halte) ont moins d’importance ici que le décor : les deux pendants se raboutent l’un à l’autre pour former une sorte de tunnel, dans lequel le cavalier qui entre à gauche et celui qui sort à droite indiquent le sens de la circulation.
Entre la construction humaine retournant à la nature, et la carrière dans laquelle des blocs ont été taillés, entre la ruine et la grotte, c’est la continuité qui compte.
Le Canal et la Cascade
Hubert Robert, 1774, Collection privée
Vingt ans plus tard, en France, ce pendant est conçu selon le même principe. Les pseudo-paysages italiens servent à illustrer les deux esthétiques du temps : le parc à la française à son crépuscule, avec sa porte couverte de lierre, et le jardin à l’anglaise à son aurore, sans porte ni clôture. La perspective rectiligne et le calme du canal contrastent avec les rocailles tourmentées et les chutes torrentielles. Cependant, le massif central, composé à gauche d’un arbre et à droite d’un rocher, assure une continuité ascensionnelle entre les deux conceptions : comme si notre peintre-paysagiste, attiré par la nouvelle, ne pouvait se résoudre à renier l’ancienne.
Hubert Robert, Salon de 1777, Musée national du Château de Versailles
Décidé par Louis XVI, l’abattage des arbres du parc, qui dataient de Louis XIV et étaient devenus trop haut pour être taillés, se fit durant plusieurs hivers. Les deux scènes peintes par Hubert Robert eurent lieu durant l’hiver 1774-75, en deux endroits différents, et offrent deux points de vue opposés : vers le Nord Ouest et le parc, pour le premier, vers le Sud Est et le Palais , pour le second.
Dans le tableau de gauche, la famille royale est représentée au premier plan, au pied de la statue de Milon de Crotone par Puget (dont un moulage a été récemment remis au même endroit du parc). Juste à côté, des jeunes du peuple ont improvisé une balançoire, dans le prolongement exact du grand canal. A gauche, sous le Castor et Pollux de Coysevox, c’est la pause des bûcherons : un marchand ambulant portant une fontaine sur son dos vient leur donner à boire, une marchande leur porte à manger. Entre les familles du peuple et la famille royale, aucune barrière : l’abattage des arbres trop haut du Roi Soleil et leur transformation en balançoire sert ici la propagande d’une monarchie éclairée.
Le tableau de droite est dédié à une autre propagande : celle d’Hubert Robert lui-même. La campagne d’abattage allait en effet de pair avec un autre grand projet : la réfaction des Bains d’Apollon, qui serait confiée l’année suivante au peintre lui-même. La statue des chevaux du soleil, par Marsy, est montrée ici à un emplacement provisoire, de même que les autres fragments sculptés qui gisent au sol. Cette fois, les bûcherons sont en plein travail : à noter le jeune homme qui descend le long d’un tronc, auquel il vient d’attacher une corde, que ses collègues commencent à tirer.
Démolition des maisons du Pont Notre Dame
Hubert Robert, 1787, musée Carnavalet, Paris
Démolition des maisons du Pont au Change
Hubert Robert, 1788, musée Carnavalet, Paris
Dix ans plus tard, Robert reprendra l’idée des pendants pour un autre type d’abattage. A la veille de la Révolution, ces deux tableaux apparaissent comme emblématiques de la victoire du rationnel et de l’organisé, contre la sclérose anarchique héritée des temps médiévaux. Car les boutiques de luxe envahissaient ces deux points de passage obligés, gagnant à chaque génération en largeur et en hauteur, au point de compromettre leur propre raison d’être.
Le Pont Notre Dame est consacré au fleuve et à sa vie grouillante : barques pour transporter les matériaux de récupération, bateau de lavandières, bateau-moulin (sous la deuxième arche). On voit sous la troisième et la quatrième, l’arrière de la pompe Notre Dame, imposante construction sur pilotis qui se trouvait de l’autre côté du pont.
La joute des mariniers entre le pont Notre Dame et le Pont au Change
Raguenet,1756, Musée carnavalet, Paris
Hubert Robert a choisi le moment où la moitié des maisons ont été démolies, laissant voir la façade des maisons de l’autre côté, avec les magasins au rez-de chaussée. C’est là que se trouvait la boutique de Gersaint, le marchand de Watteau, dont l’enseigne en forme d’arcade a été conservée. Au milieu du pont, à gauche du portique d’accès à la Pompe Notre Dame, un trou dans les maisons laisse voir la Tour de l’Horloge. Au fond, encore intact, le Pont au Change, qui sera nettoyé de ses maisons l’année d’après. Et derrière encore le Pont Neuf, qui n’avait pas de maisons.
Pour Le Pont au Change, Robert a choisi un point de vue et un moment radicalement différents : dans l’axe du pont, et alors que les deux côtés ont été démolis. Une disproportion piranésienne rend les humains minuscules dans cette tranchée de gravats. Au fond, la Tour de l’Horloge fait le lien avec l’autre pendant.
Artistes dessinant à Tivoli
La Fontaine de la Liberté
Hubert Robert, Collection particulière
Ces deux pendants ont été peints durant l’emprisonnement de Robert sous la Terreur, entre janvier et août 1794 : c’est pourquoi dans la signature les initiales du peintre sont suivies par S.L., celles de Saint Lazare.
Le premier est un souvenir de l’Italie, paradis des peintres et de la nature sublime. Peut être la cascade impétueuse prenant sa source sous le temple antique a-t-elle valeur de métaphore révolutionnaire, l’eau qui sort du premier tableau alimentant la fontaine du second.
Cette Fons Libertatis a des similitudes étroites avec la statue en plâtre de F.F. Lemot, placée au centre de la Place de la Révolution en août 1793 pour le Festival de l’Unité. Cette sculpture était posée sur le piédestal de la statue équestre de Louis XV de Bouchardon, détruite en 1792, prouvant physiquement le triomphe de la république sur la monarchie. Monarchie que symbolise, à droite, la stèle déchue et cassée .
Un pendant aussi ouvertement républicain avait sans doute pour but de se concilier les bonnes grâces des geôliers.
Soldats avec des femmes dans leur campement
Michel-Hamon Duplessis, fin XVIIIème, collection particulière
Duplessis s’était spécialisé dans de petites scènes militaires dans le style de Wouwermans, souvent présentées en pendants. Ici, c’est le motif en arche qui crée la symétrie : pont moderne au dessus de l’eau, arche antique au dessus de la route. Particularité assez rare : le paysage se prolonge d’un panneau à l’autre (voir par exemple la tente coupée sur la gauche du second panneau) : les deux scènes n’en font en fait qu’une.
Guardi, vers 1785, collection privée.
Ici encore, un motif en arche harmonise une scène terrestre et une scène maritime.
Scènes dans une grange
Giuseppe Bernardino Bison, fin XVIIIème, collection privée
Ce pendant amusant montre deux scènes de bamboche campagnarde.
A gauche, un garçonnet joue aux bulles avec un bébé, sous le regard de la grand-mère assise. De part et d’autre d’une poutre, la mère qui balaye s’intéresse au colporteur qui vient d’entrer à gauche, tandis que le père, qui s’intéresse à sa femme, veut l’attirer vers l’arrière.
A droite, un couple en état d’ébriété danse, sous le regard de trois convives dont l’un renverse un plat, tandis qu’une vieille femme jette sur eux le contenu d’un pot de chambre. De part et d’autre d’un tonneau, un moine boit à la bouteille et une femme vomit, intéressant un chien qui passe. L’aubergiste sort à gauche en emportant les plats.
Les deux granges en briques, à l’imposante charpente, ont en commun d’exposer de saintes images (nous sommes en Italie) : une gravure du Christ au dessus de la porte d’entrée, une Vierge à l’Enfant au dessus du tonneau. Les personnages sont disposés de manière analogue : un couple qui s’amuse, des spectateurs assis, un homme isolé qui entre ou qui sort. Enfin, un couple légitime autour d’une poutre, et un couple d’ivrognes autour d’un tonneau.
A gauche, on s’aime et on s’amuse. A droite, on se saoûle et on vomit.