Grappillages d'hiver

Par Mauss

La simple mention du mot "hiver" peut paraître incongrue aux générations d'après guerre qui ont connu, quand même, des hivers où la neige était présente de façon bien plus régulière, et dès décembre.

Voir des stations de ski où seules quelques pistes ont été enneigées techniquement alors même que c'est verdure alentour, ça peut poser des questions.

Mais en dehors des questions climatiques, on va sortir d'une année assez chaotique avec un bougli-mougli duquel il va être un peu compliqué d'en extraire les véritables lignes de force.

On va commencer par les approches des grands médias lesquels ont perdu - c'est une évidence - la notion de temps minimum pour une saine analyse des choses. C'est devenu une course à la primeur, à l'immédiat, avec le souci d'accrocher un lecteur basique incapable d'avoir un jugement relatif basé sur l'expérience historique, la prise en compte de multiples facteurs et un sain réflexe de ne point donner trop d'importance à l'émotionnel facile.

Combien de lecteurs de ces médias ont compris que dans cette terrible histoire d'Alep, il ne s'agissait que d'un quartier de cette ville et non de toute la cité ? Sans même évoquer les multiples intervenants et leurs buts respectifs. Combien de lecteurs ont lu les points de vue d'un Dénécé (ICI) et autres intervenants des émissions d'Yves Calvi ? Achtung ! Nous ne sommes pas là pour dire qu'eux seuls ont raison mais que pour se faire une juste opinion des choses, on se doit d'écouter ce qui peut se dire, s'écrire, en dehors des poncifs primaires d'une BFM TV ou France 2 à ses infos insipides du soir ?

Combien de lecteurs ont compris qu'aux USA, un Trump a moins de pouvoir comme Président qu'un Président français pouvant passer par dessus les assemblées pour déclarer une guerre ou orienter une politique étrangère ?

Combien de lecteurs ont conscience qu'il est plus qu'urgent que des entités représentatives de la religion islamique se réunissent pour enfin adapter au monde actuel des règles sociétales écrites dans un contexte totalement différent ? On rappellera sur ce plan l'initiative de Napoléon - reprise dans le programme de Juppé - d'exiger des autorités juives de l'époque de signer une charte claire et nette stipulant la supériorité des lois républicaines sur les lois religieuses.

Quels sont les médias "grand public" qui ont osé poser les bonnes questions au lieu de vagouiller sur des "réseaux sociaux" dont la qualité essentielle n'est point le contenu tellement élémentaire mais la capacité heureuse à disparaître à vitesse Grand V ?

S'il ne faut retenir qu'une seule tendance de fond sur cette année écoulée, ce sera cette transparence qui devient, avec les outils de l'internet, une évidence quotidienne. Cela devrait changer bien des choses pour le futur… à commencer par le fait qu'il devra y avoir, quand même, des ilots de vie privée plus que nécessaires à chaque individu. Là encore, un équilibre qui ne sera pas facile à mettre en oeuvre.

DANS LE MONDE DU VIN

Revenons à nos moutons favoris.

Le forum LPV accouche d'une nouvelle formule qui devrait être capable d'absorber plus efficacement les multitudes d'interventions prouvant à quel point les amateurs ont besoin d'échanger. Gageons que les scories des années précédentes où les invectives ad personam limitaient les valeurs de certaines interventions. Certes, les redoutables vues de François Audouze susciteront toujours quelques poussées épidermiques chez des irréductibles gaulois basant leur passion du vin sur d'autres critères que les siens. A suivre…

Les applications type photo de la bouteille qui surfent sur un succès croissant vont battre en brèche les lourds Guides en peau de chagrin n'ayant point les moyens de parler au monde via des traductions plus que nécessaires. 

Les Clubs pour apprendre, échanger, discuter, découvrir vont se développer un peu partout et cette convivialité du vin en dehors ou avec des combinaisons de table seront plus que bienvenues dans un monde où on ne se salue plus guère entre voisins.

Du côté des vignerons, il ne sera que temps de dire aux institutions administratives, locales et européennes, que les paperasseries ne servant à rien sinon à sérieusement embêter tard le soir des hommes et des femmes ayant d'autres chats à fouetter, que ça suffit ! Comment se fait-il qu'avant ces croissances insensées de papiers à remplir il était plus facile pour un vigneron de la Loire d'expédier des vins à ses clients belges alors même que les principes européens sont basés sur des échanges libres de personnes, de capitaux, de biens ? Là encore, un effet pervers de ce principe stupide dit "de précaution" , la décision la plus néfaste de Chirac alors même qu'il y avait tant d'autres choses à mettre en place ?

Où aboutissent tous ces papiers à remplir qui minent tant de professions sinon dans des caves poussiéreuses où ils n'auront comme effet positif que la création de quelques emplois non productifs par ailleurs coûteux et aggravant des déficits qui deviennent incontrôlables … au point qu'on va s'attendre, un de ces jours, à des effacements de dettes par des écritures comptables préconisées par des économistes plus conscients que d'autres sur cette unique évolution de la chose ?

VERS UN MARCHE DU VIN A TROIS VITESSES

A la base, de grosses entités qui vont produire des volumes en millions de bouteilles, de vins "techniques" qui auront moins de défauts que par le passé, grâce aux nouvelles techniques de culture, de vinification, d'arrangement aromatique des vins.

Moins de sommeils agités, moins de crise de foie, un solide marketing et des prix à un chiffre. Une première approche qui devra conduire bien des consommateurs à chercher autre chose.

Cet autre chose seront des vins plus que corrects, restant à des prix acceptables, encore produits en belle quantité pour amortir des coûts plus sérieux (surtout quand ils sont "bio") et qui devront être le coeur de cible des journalistes "vins" capables de s'affranchir du jeu des étiquettes. On y vient tout doucement avec ces notions de RQP, de vins "plaisir", de vins "immédiats", de vins de cépages et de fruit primaire. Exemple de grande évidence qu'on répètera ad libitum : les gamays magnifiques d'Henry Marionnet. Son "PREMIERE VENDANGE" 2015 (sans soufre) : une tuerie !

Dans le haut de gamme, il y aura toujours des vins dits "premium" souvent assis sur une histoire qui se compte en décennies sinon en siècle, un secteur où l'étiquette joue un rôle majeur sinon essentiel avec les loupés habituels de ceux qui y mettent des jus pas vraiment à la hauteur, mais où une belle majorité a quand même le soin d'être le plus proche possible d'une saine réputation. Là, on est easy dans des prix à deux chiffres, sinon trois avec comme marché les nouveaux venus n'ayant point la connaissance des tarifs anciens où on trouvait des Premiers 1855 à la portée de nos médecins, notaires, avocats, chanoines et évêques de régions vinicoles.

On est là sur les marchés où l'achat de vins de ce calibre sont avant tout des signes de réussite économique qu'on aime montrer lors de dîners plus ou moins ostentatoires. Chacun a su qu'en Chine, les acheteurs de Lafite n'en étaient point les consommateurs. C'était le cadeau qu'on offrait en échange d'un service reçu… ou à recevoir :-)

Le super-premium à priori, comme dans les montres ou voitures, est actuellement en phase de recherche par quelques vignerons croyant à des niches très particulières. Cela va du Liber Pater de Loic Pasquet - plus de € 1.000 la bouteille pour une AOC de base - au projet annoncé hier dans le Figaro de Bernard Magrez : créer un vin rare (autour de 3.000 bouteilles par an) sur une parcelle découverte en saint-estèphe, achetée à prix d'or, où cet entrepreneur hyper-actif du bordelais veut montrer au monde sa capacité à créer, ex-nihilo, un pur chef d'oeuvre cabernet/merlot.

Savoir si un tel cru sera capable de battre des Petrus, Ausone, Haut-Brion, Latour auprès des amateurs fortunés, cela sera une autre histoire tant il est vrai qu'un grand vin doit avant tout montrer son aptitude à vieillir avec élégance, en apportant ce substrat d'émotion rare qui reste l'apanage d'une poignée de grands noms. Le temps nous le dira.

En fait - et ce n'est qu'un point de vue strictement personnel - ce n'est pas demain que le bordelais dépassera en cote d'amour les plus grands noms de la Bourgogne auxquels on ajoutera un Rayas, des Egon Müller, des Poggio di Sotto et autres merveilles européennes issues de l'histoire, avec des dizaines et des dizaines de millésimes de référence absolue.

A ce niveau d'excellence, en dehors des classiques buveurs d'étiquette, il y a des amateurs fortunés capables de réellement apprécier ce qui se fait de plus beau dans le mariage unique d'une homme et d'un terroir. Ces vins là seront toujours le graal absolu, cette référence intemporelle qui offre toujours des pages d'histoire et de culture à côté des saveurs inouïes qu'ils nous offrent … à condition que nous soyons prêts à les recevoir.

Pour nous autres, communs des mortels, de tels moments ne seront possibles qu'en s'associant à plusieurs pour casser nos tirelires, pour connaître ces beautés, ces oeuvres d'art vivantes. On ne remerciera jamais assez ces vignerons qui donnent une totale priorité à cette passion de l'excellence avant tout souci de rentabilité financière. 

N'oubliez jamais d'évoquer, lorsque vous ouvrez un Latour 45, une Tâche 90, un Haut-Brion 61 aux hommes qui se sont penchés hors des spots médiatiques, pendant toute une année sur leurs vignes, par froidure, chaleur, pluies et autres intempéries, sans jamais oublier de parler à leurs ceps, à les bichonner, à les gronder parfois, bref : à échanger avec leur terre. Quelle autre profession sur cette planète est-elle aussi proche, aussi liée, aussi modeste dans ce binôme homme/terre ? 

Pour cette fin d'année, c'est là notre souhait : ne jamais oublier l'homme derrière le cru que l'on déguste. Le saluer, l'honorer, parler de lui, le respecter.