Noël n’a jamais été vraiment une fête populaire en Chine. En concurrence avec le Parti Communiste pour le monopole sur l’utilisation du rouge, elle fut longtemps interdite par la République Populaire. Jusqu’à l’insertion dans le processus de mondialisation…
Occidentalisation oblige, Noël commence à être célébré en Chine.
Attention, n’allez pas imaginer que les familles chinoises se précipitent dans les églises et cathédrales du pays pour fêter la naissance du divin enfant : Noël est une fête uniquement commerciale en Chine, et force est de constater que Santa Claus est plus connu que Jésus Christ au pays de Mao (4% de chinois sont chrétiens) …
Mais alors, repas de famille interminable, dinde, et bûche en dessert ? Toujours pas, même s’il est vrai que la politique de l’enfant unique réduit les possibilités en terme de repas de famille. En ce qui concerne le repas, l’entreprise Quanjude envoie chaque année une armée de Père Noël dans la rue pour distribuer… du canard laqué. Pour l’esprit de Noël, on repassera.
Cependant, à défaut d’églises, est prévue la construction d’un SantaPark à Chengdu, qui constituerait la maison officielle du Père Noël. Céderait-il lui à la pression de la rationalisation et de la mondialisation ?
Toujours est-il qu’outre sa fonction commerciale, le Père Noël est impliqué directement dans la diplomatie chinoise : le site Jingdong propose en effet de livrer jusqu’aux îles Diaoyu/Senkaku, qui ont la particularité d’être inhabitées… et d’être au centre d’un conflit sino-japonais depuis de nombreuses années.
La Chine se met en quatre pour vos fêtes de fin d’année.
Mais si Noël commence juste à gagner en importance en Chine, cela fait longtemps que la Chine est à vos côtés en ces temps de fêtes.
En effet, il semble que tous les chemins mènent en Chine au mois de Décembre : chaque année, des millions d’ouvriers chinois se mettent au diapason pour confectionner des cadeaux, que vous vous empresserez sûrement de mettre en vente sur Leboncoin dès le 25 au soir.
D’abord, le marché du jouet. Ce dernier ne représente pas moins de 80 milliards de dollars par an à l’échelle mondiale, et une telle demande nécessite une main d’œuvre conséquente et bon marché : en bref, ce n’est pas le Luxembourg avec ses 500 000 habitants et son salaire annuel moyen de 56 000€ qui va attirer les Mattel, Hasbro & cie.
Et c’est donc la Chine qui s’est généreusement dévouée, produisant aujourd’hui 80% des jouets vendus dans le monde, grâce à 4 millions d’ouvriers, répartis dans 4000 usines.
Et si confectionner vos cadeaux ne suffisait pas, les Chinois s’occupent également de décorer votre sapin ! C’est à Yiwu, ville de la province de Zhejiang, que le nouvel atelier du Père Noël semble s’être établi. Et la ville entre en ébullition à chaque fin de l’année : 600 usines, 40 000 visiteurs par jour, 400 000 produits différents proposés. Cependant, aucune marque n’est visible, ce sont les distributeurs qui s’occupent de la personnalisation ultérieurement.
Finalement, près de 60% des décorations de Noël vendues dans le monde proviennent de cette ville d’un peu plus d’un million d’habitants.
Toy Story : la magie de Noël, version ouvrier chinois.
Bien sûr, ces pratiques ne plaisent pas à tout le monde, à commencer par les puristes défendant le Made-in-France & les ONG défendant les droits de l’Homme. Même si, il faut le reconnaître, leurs motivations sont différentes.
Mais quel honneur, après tout, pour ces ouvriers, que d’œuvrer pour votre bonheur 12 heures par jour, six jours sur sept. Tout cela, pour un salaire qui scandaliserait un SDF, bien entendu (de 250 à 400€, avec les heures supplémentaires, naturellement imposées à la période de Noël). Mais me direz-vous : qu’est-ce qu’un suicide à Zhengzhou, si le petit Louis-Philippe a son iPhone 7 au pied du sapin ?
Et de quoi se plaignent ces petites mains, qui en plus de leur paye, sont logées par leurs employeurs. Certes, il est fréquent que les conditions de vie soient à peine insalubres (à Shenzhen, 18 par dortoirs, 5 douches pour 180), mais le loyer défie toute concurrence !
Usine de jouet, Shenzen, Chine
Et si vous vous inquiétez à propos d’un éventuel retard de livraison, soyez rassurés, tout est pensé pour que le travail soit fait, et bien fait dans les temps : amendes punitives en cas de passage aux toilettes non-autorisé, interdiction de discuter, contrôle de la fécondité. Pas d’inquiétude, un pré-adolescent est sûrement en train de fabriquer la paire de Nike que vous avez commandé pour Noël au moment où vous lisez ces lignes.
Et quid des fermetures d’usines en cas de contrôle ? Encore une fois, tout est prévu pour votre confort. Si le contrôle est effectué par l’ICTI (Fédération Internationale de l’Industrie du Jouet), les inspecteurs étrangers, qui connaissent peu l’industrie locale, seront faciles à duper : les directeurs d’usine sont prévenus suffisamment de temps à l’avance pour cacher les produits chimiques, renvoyer les enfants, et falsifier quelques contrats de travail. Ainsi, ce sont 10 ans d’audits sociaux qui ont été menés dans quelques 2400 usines chinoises pour en arriver à la conclusion qu’une usine employant en réalité des enfants de 14 ans était « certifiée décente. »
Si ce sont des experts extérieurs, quelques billets glissés discrètement suffiront pour obtenir une licence.
Et ce ne sont surtout pas les multinationales étrangères qui interfèreront dans la production : il vaut toujours mieux se laver les mains de ce genre de pratiques, et pour cela rien de mieux que de minimiser les liens avec les fournisseurs. Ainsi, ce sont ces derniers qui sont ont entre leurs mains le « principe de responsabilité sociale », même si pour se donner bonne conscience, les multinationales opèrent des audits, dont l’efficacité reste à prouver. L’ONG Students & Scholars Against Corporate Misbehaviour, qui a mené des dizaines d’enquêtes depuis 2005, en est arrivé à la conclusion que les audits, qu’ils soient menés par l’ICTI ou les firmes, sont aussi inefficaces, tant le contrôle de ces dernières sur leur processus de production est faible.
En cette période de fête, la rédaction du e-Délit se rassemble pour souhaiter à ces braves ouvriers un joyeux Noël. Mention spéciale aux Britanniques, qui s’apprêtent à vivre leur dernier Noël dans l’Union Européenne, et à tous les Mexicains vivant leur dernier Noël aux Etats-Unis.