" Au printemps à Paris, fleurissent les marronniers. Les premiers à s'épanouir sont ceux du boulevard Pasteur, là où le métro jaillit de dessous la terre et où l'air chaud s'élève par vagues jusqu'aux arbres. En automne, sur les Champs-Élysées, les feuilles avant de tomber prennent une teinte brun-foncé, couleur cigare. En été, durant quelques jours, le soleil se couche en plein centre de l'Arc de Triomphe, vu depuis la place de la Concorde. Les jardins des Tuileries sont les plus beaux de Paris parce qu'ils font partie d'un ensemble ; et face au globe ardent du soleil qui inonde de ses rayons la dalle de L'Arc, on finit par se confondre avec cet ensemble, comme devant le tableau de Rembrandt, Aristote contemplant le buste d'Homère. Il n'y a pas à proprement parler d'hiver à Paris. Il pleut et les gouttes d'eau clapotent et chuchotent contre les vitres et sur les toits. Soudain, en janvier, vers la fin du mois, vient un jour où tout resplendit : il fait bon et le ciel est bleu. Sur les terrasses des cafés, les clients ont quitté leur manteaux et les femmes, vêtues de robes légères, transfigurent la ville. On a beau savoir qu'il reste encore deux mois de mauvais temps à passer, personne n'y fait allusion. Chaque année, ce jour revient telle une fête mobile qui tomberait entre le 20 janvier et le 5 février, laissant sur son passage un parfum de promesse..."
Nina Berberova : extrait de " C'est moi qui souligne" Actes Sud, 1989