Comme l'américanisation de notre système électoral le prévoit désormais, la primaire organisée par le Parti Socialiste et ses alliés (la fameuse "Primaire Citoyenne") aura lieu dans un mois, les 22 et 29 janvier 2017. Après le succès de la primaire équivalente pour la Droite et le Centre, la tâche s'annonce difficile pour la Gauche, même si François Hollande, par son choix de ne pas se présenter, lui a laissé une chance. Car en réalité, le Parti Socialiste va avoir bien du mal à éviter les divisions, même si au final, un heureux élu devra le représenter... et défendre le bilan du président sortant, ce qui ne sera pas facile.
Les candidats : une course au suicide ?
Le plus épatant dans cette primaire est le décalage entre le peu d'envie qu'elle suscite dans l'opinion et chez les militants alors que du côté des candidats, c'est la bousculade... Avant même que François Hollande n'ait pris sa décision de ne pas se représenter, cela roulait des mécaniques un peu partout, et même pour ceux qui, comme Manuel Valls, faisaient partie du gouvernement (ou y avait participé). Ce spectacle était d'autant plus clownesque qu'il a entraîné des tensions dans l'exécutif alors même que l'enjeu est celui de porter la gauche vers une cuisante défaite. Les candidatures se sont donc multipliées pour au final qualifier 7 déprimés à tendances suicidaires plus ou moins prononcées.
-Benoît Hamon et Arnaud Montebourg pour l'aile gauche du Parti Socialiste. Les deux hommes, ministres sous François Hollande, ont quitté le gouvernement en 2014 pour plaider en faveur d'un changement de politique, notamment sur l'économie. Le premier est un ancien de l'UNEF, de SOS Racisme, et a une fibre sociale très prononcée, souhaitant défendre le modèle français. Il veut par exemple instaurer le revenu universel à 535 euros par mois. Le second est l'un des plus accrochés au protectionnisme et des plus critiques à l'égard de l'Union Européenne à gauche. Déjà présent en 2011 (17,14 pour cent des voix au premier tour), c'est le chantre du "Made In France". Très critique du bilan de François Hollande, il fut pourtant ministre du redressement productif, puis ministre de l'économie.
-Jean-Luc Bennahmias est à lui seul une synthèse de la gauche et le symbole de son évolution. Libertaire lorsqu'il était lié à Charlie Hebdo, il fit partie du PSU, des Verts, d'EELV et même du Modem. On peut voir au travers de sa carrière une sorte de gauche plurielle qui se "centrise" peu à peu. Il se présente d'ailleurs au nom du Front des Démocrates, dont l'ambition est de créer un "Parti Démocrates comme aux Etats-Unis". Il est proche de François Hollande.
-Vincent Peillon, par ses convictions et son positionnement central au sein du PS, espère faire consensus. Ministre de l'Education Nationale jusqu'en 2014, il arrive dans la course un peu tard mais son pedigree (philosophe, eurodéputé) lui a permis de se positionner rapidement.
-François de Rugy incarne la tendance écologiste du centre-gauche. Il représente le Parti Ecologiste, fondé avec Jean-Vincent Placé, souhaitant rompre avec les accents gauchistes d'EELV. Une candidature pour un poste donc... Malheureusement, la soupe sera sans doute bien maigrichonne en 2017.
-Sylvia Pinel fait vivre la tradition radicale. Plus vieux parti de France, Le Parti Radical (de Gauche ici) n'est plus qu'un petit (mais fidèle) allié du PS. Cette candidature témoignage est portée par une jeune lancée par Jean-Michel Baylet. Souhaitons lui bien du courage, quand on sait que Baylet n'avait pas atteint 1 pour cent aux primaires de 2011.
-Nous terminons avec Manuel Valls, incarnant la droite du Parti Socialiste. Ces 5 dernières années lui ont fait prendre une nouvelle dimension au sein du mouvement à la rose : ministre de l'intérieur, puis premier ministre, il est probablement celui qui trépignait le plus à l'idée de se présenter, lui qui n'avait obtenu que 5,63 pour cent des voix en 2011. Si bien que François Hollande, tel un père de famille perdant patience, céda à son caprice en lui laissant
On le voit donc, cette pléiade de candidats à la candidature représente globalement les tendances du Parti Socialiste et de ses alliés. Il faut toutefois rappeler une chose : la primaire ne réunit pas toute la gauche. De nombreux autres candidats sont déclarés : l'extrême gauche et la gauche radicale n'ont pas changé (Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Jean-Luc Mélenchon), EELV a encore choisi un inconnu (Yannick Jadot), et il ne faut pas oublier la candidature Macron qui, à défaut d'être très précise, semble susciter l'enthousiasme et pourrait perturber la primaire citoyenne et son futur candidat. A ceux-ci s'ajoute enfin Pierre Larrouturou du mouvement "Nouvelle Donne".
Une primaire risquée
Même si le système des primaires est rentré dans notre système électoral et semble être aux yeux de plus en plus de citoyens un outil démocratique, il n'empêche que la primaire citoyenne est risquée pour le Parti Socialiste. Très courte, elle se situe également juste après la primaire ouverte de la droite et du centre qui fut un succès sur lequel François Fillon fonde une certaine légitimité.
Ce qui laisse moins de temps à la mise en place logistique ! Bureaux de vote, bénévoles pour garantir le sérénité des votes et des résultats, débats télévisés : tout sera très précipité et concentré. Ainsi, les trois débats auront lieu les 12, 19 et 25 janvier, garantissant un mois de Janvier focalisé sur cet événement. N'est-ce pas un peu dense ? Les électeurs seront-ils motivés et auront-ils le temps de faire un choix. Tout cela laisse peu de marge aux moins connus et semble favoriser d'emblée les principaux candidats. Peu de place pour la surprise aussi. Si la campagne de la primaire de la droite et du centre avait duré aussi peu de temps, nul doute que Juppé l'aurait emporté.
La question de la participation fait donc frémir certains. Christophe Borgel, le président du Comité d'Organisation, pense même que cette primaires attirera moins de votants que celle de 2011, à laquelle 2,7 puis 2,9 millions d'électeurs avaient participé. Stratégie pour prendre les devants de l'échec ? Peut-être, mais c'est une réalité qui pourrait arriver, les électeurs de gauche étant probablement peu désireux de se déplacer et déçus par les 5 années précédentes. Si certains vont certainement se reporter sur Jean-Luc Mélenchon, les plus fidèles au PS n'ont guère le choix : les 4 candidats les plus influents ont tous été ministres lors du dernier mandat. Les figures de renouvellement sont donc peu nombreuses et incapables de mobiliser.
Le risque de cette primaire est grand : une participation trop faible rendrait le vainqueur peu légitime et l'handicaperait d'emblée dans la course à l'Elysée. Qui plus est, ce choix cornélien ne manquera pas de morceler un peu plus le Parti Socialiste. Si Arnaud Montebourg est élu, les figures les plus à droite du Parti rejoindront Emmanuel Macron. Si l'inverse se produit, certains seront tentés d'aller voir du côté de Jean-Luc Mélenchon. Le Parti Socialiste se retrouve donc face à ses vieux démons, son manque d'unité qui avait été masquée par l'anti-sarkozysme en 2012. La primaire et les élections présidentielles seront donc au mieux l'occasion d'une recomposition de la gauche, au pire l'acte de mort du Parti de Jean Jaurès.
La gauche et le second tour
Inutile de se le cacher, avant de penser à prolonger de 5 ans son contrôle du pays, la gauche doit déjà penser au second tour. Car l'impopularité croissante de François Hollande et les résultats économiques globalement négatifs lui rendent la tâche très complexe. A ce titre, les sympathisants de gauche pourraient se tourner vers un vote dit "utile" : directement vers celui que les sondages indiquent comme le favori pour faire parvenir la gauche au second tour. A ce jour, les trois "gros" seraient plutôt Manuel Valls, Vincent Peillon et Arnaud Montebourg, les plus soutenus par des parlementaires et élus.
Manuel Valls est le plus suivi par l'appareil du PS. Mais les militants sont en moyenne nettement plus à gauche que lui et vont avoir du mal à se porter sur lui. C'est lui qui parlait il y a quelques mois de deux gauches irréconciliables et qui tente aujourd'hui de représenter l'union. C'est lui qui hier utilisait le 49-3 et qui aujourd'hui propose sa quasi-suppression. Ces positions aussi contradictoires qu'intenables risques d'accentuer sa caricaturale séduction de l'aile gauche alors qu'il en est très éloigné. Par ailleurs, il est lié au bilan de François Hollande, ayant été ministre pendant tout le quinquennat. Enfin, s'il est élu, son positionnement risque d'être compliqué car Macron est à peine plus à droite que lui.
Arnaud Montebourg, moins soutenu, a cependant l'avantage de mieux correspondre aux envies et à la sensibilité des militants du PS. Il fut certes ministre mais sa démission a le mérite de préserver son identité de gauche, qui est indiscutable. Il serait également un bon candidat pour siphonner les voix d'un Jean-Luc Mélenchon. Il aurait un espace bien plus conséquent à gauche et sa candidature ne s'entre-choquerait pas avec celle d'Emmanuel Macron, contrairement à celle de l'ancien premier ministre. Il faut toutefois soigner sa communication, notamment en évitant d'appeler des électeurs de droite à voter aux primaires. Il semble aussi que l'aile droite soit trop éloigné de lui.
Vincent Peillon, inattendu, a lui le plus grand espace possible. Au centre du PS, il est le candidat le plus susceptible de faire l'union entre les différentes tendances. Plus ministre depuis 2014, et même temporairement retiré de la vie politique, il a peut-être senti le bon coup et dispose de soutiens dans l'appareil partisan. Dispose-t-il toutefois de la stature d'un homme d'Etat quand on lui colle plutôt celle d'intellectuel ? Est-il assez ancré territorialement ? N'est-il pas arrivé trop tard ? Nous le saurons bientôt, mais il va devoir convaincre rapidement...
On le voit donc, la gauche marche sur des oeufs avec cette primaire. François Hollande a clarifié les choses mais la tâche s'annonce compliquée pour une gauche en lambeaux, divisée. Des événements peuvent encore survenir, créant des surprises, mais la gauche ne semble plus avoir son destin entre ses mains, contrairement à celui de la France, qu'elle transmettra tel un arbitre, en fonction de son candidat.
Sources
Le Monde
Le Point
Le Parisien
Vin DEX