"L'arbre généalogique a ceci d'étrange que la descendance vient se nicher près des racines tandis que les aïeuls, sur leurs rameaux perchés, semblent nés de la dernière pousse. Ca s'appelle un arbre généalogique ascendant, c'est comme ça et puis c'est tout. Bon d'accord, mais sur mon mien y'a quelques couacs visuels. Les plus vieux ont été portraiturés plus jeunes que les plus jeunes. Visez les visages et vous verrez : la grand-mère de ma mère paraît être sa fille. D'où l'intérêt des ramifications pour remettre un peu d'ordre canonique dans tout ça. Je n'impressionnerai pas les historiens avec ma plante d'intérieur neurasthénique qui s'arrête net aux grands-parents de mes parents pour les branches les plus hautes. Presque personne n'a eu la bonne idée de naître en France, résultat les pousses partent dans tous les sens et mes racines se perdent en cours de route."
Fishturn :
"Et puis c’est toi qui es trop loin, ou bien moi qui ne suis pas à ma place, comme un gardien qui s’est vu confisquer son poste, qui ne veut pas qu'on le remplace par de grosses dames en blouses blanches et qui marchent en claquettes. Et pourtant tu dors, pourtant tout ira bien, et si la couverture te découvre trop le dos là bas, qu’il n’y a personne pour la remonter, alors tu dormiras tout aussi bien, ce n’est que moi. Cela fait des semaines que je ne peux pas regarder tes dessins sur le mur, que je détourne les yeux à chaque fois. Chaque jour j’essaie de penser à autre chose, mais je ne pense vraiment à rien, je me perds en attendant."
ab6 :
"Je devrais dire, plus honnêtement, le souci que j'ai de mon fils. Son appétit, son sommeil, sa toux, le pantalon que je dois coudre (je vis une tragédie) pour son spectacle, ses cartes, sa dictée, son équilibre, ses amitiés bruyantes, définitives, ses amours timides et fatalistes, la peur que je dois taire toujours quand il nage, quand il dévale à vélo une pente de skate, quand il réagit à un vaccin, quand il me demande où est sa grand mère, son oncle, son papi mais aussi le vert d'ambre de ses yeux, ses petits biceps blancs, son humour ravageur, sa dureté implacable quand je l'engueule, il ne supporte pas, ses questions incessantes que je ne comprends pas. Un coin de ma tête reservé- une forteresse imprenable."
Marc :
"Il y a quelque chose d'étrange dans la maison, des odeurs, un silence.Je m'approche sans faire de bruit de la chambre puis de son lit. Je pose ma main sur son front. Elle est bouillante. Les draps sont trempés. Elle tremble et claque des dents. Je lui parle mais elle ne répond pas. Elle respire de plus en plus mal. J'ai très peur et me dis que le docteur s'est trompé. C'est beaucoup plus grave qu'une grippe. Je vais chercher le Larousse médical dans l'armoire. Je suis comme papa je le regarde souvent pour apprendre. Je cherche les mots fièvre, sueur, température, infection. Je trouve aussi les photos de maladies inconnues. Maman a tous les symptômes et toutes les maladies. Elle va mourir. J'ai les jambes en coton, la tête qui tourne et de plus en plus de fièvre. Je retourne dans la chambre. Je me couche à coté d'elle. Les ressorts du lit grincent sans la réveiller."
Plume :
"Toute ma confiance restante d'enfant pour les adultes s'est effondrée le jour où elle est apparue, le visage fermé et le carnet en cours à la main. Il était mon exutoire et beaucoup de passages la concernait. Ce n'était pas un journal intime rempli de coeur sur les i et d'appréciations sur mes journées, mes camarades d'école ou toutes les futilités qui occupent une enfant de 12 ans. Non. C'était des paragraphes entiers de rage et de colère, d'insultes et de méchancetés, de constatations distantes, de reproches... Comment son amour propre de mère aurait-il pu l'admettre ?"
Clopine :
"Chaque éclair découpait les silhouettes-ombres chinoises qu'il disposait dans la pièce, devant les fenêtres. Chaque coup de tonnerre modifiait ces scènes et , chef d'orchestre petit, frêle et troubillonnant, le gamin recréait, profitant de la nuit, de la tempête et des lueurs sinistres, tout un univers de film d'horreur..."
"C. chante, le regard soudain perdu dans un monde appartenant au passé. Elle regarde droit devant elle mais ne me voit plus. Elle a oublié les regards moqueurs et les rires sous cape de ceux qui la raillent et qui n'ont jamais connu l'exil. Le cœur serré par la mélodie triste et sa voix qui pleure la terre natale, je vois son sourire et ses yeux se brouiller."
Photo : Découvert sur le blog Les mangues italiennes, Hendrik Kerstens photographie sa fille depuis 1995...