Marcel Faure tient son journal quotidien. Pourparlers vous livrera, chaque week-end, durant une année, les pages de "La danse des jours et des mots". "Un face à face, un corps à corps avec les mots, poème, pro aime et pro être, à chaque lecteur d'en trouver sa propre définition". Puissent ces mots dansés faire écho dans d'autres consciences.
Pour mes poussinettes :
L'oiseau et la plume
Un oiseau gris
Dans une cage
Je pleure
Un oiseau bleu
Sur le soleil
Je chante
Un oiseau vert
S'envole
Je cours
Plume d'or
Sur le sol
J'écris
Mardi 13 décembre / 0082Eh là ! Excusez-moi, je file à la poursuite de mon ombre, ce satané Breton me tire à hue et à dia. Depuis que je lui préfère son ex ami Philippe, celui du manifeste surréaliste, il se comporte avec moi comme un charretier. Je cavale après lui comme un malade.
Nous voilà dans le quartier du Soleil et, au lieu de prendre l'autoroute à droite direction Lyon - Paris, nous la traversons pour rejoindre les crassiers Nord qui rappellent le passé minier de la ville noire. Dans l'ombre portée, du coté opposé à l'autoroute, assis sur de vieilles traverses, une communauté grise se réunit ici. Tous morts depuis longtemps, leurs yeux exorbités grimés de houille, ils mangent, sortis de leurs gandos, ce que les rats ont bien voulu laisser. Nous partageons avec eux un bol de café coupé de vin.
Indifférents à notre présence, ils ruminent leurs amis décédés dans des accidents, coup de grisou après coup de grisou. Leurs poumons silicosés crachent un sang noir qui se confond avec le sol. Un vieux cheval aveugle racle un reste de foin dans la mangeoire et la Sainte Barbe, pas trop fiérote, implore qu'on ne l'égorge pas.
Mon ombre pousse au crime, révolte, grève, et l'on part en chantant se faire fusiller au Brûlé en ramassant au passage les camarades des autres puits. Je note tout cela sur un cahier que me tend Breton. Il me suggère : comment écrire ce que nous sommes si nous ne savons pas d'où nous venons.
Voilà, je suis d'ici, poing levé, banderoles, calicots, mon sang coquelicot.
Mercredi 14 décembre / 0083Ce soir, je regarde dans le ciel, toutes ces lampes de mineurs allumées. Un grand silence chaud et solidaire m'envahit. Dans ce ciel encombré, chaque génération a son étoile du berger. Bien souvent, il suffit de laisser remonter le mot bonheur à la surface du jour. Tout s'éclaire.
Jeudi 15 décembre / 0084Parler de tes silences ... Ceux où tu t'absentes, qui plongent dans des contrées où je ne peux te suivre. Je n'y suis pas autorisé. ... ceux un peu tristes, meublés de reflets gris et de peines ... la maladie de ta mère, sa mort physique, mais surtout toute cette période trop longue où son esprit vide naviguait déjà loin de toi.
Tes silences reposés, vidés de toute substance, l'eau apaisée et claire d'un étang sans les rides du vent. ... Ceux productifs, dont je sens bien qu'ils vont exploser en idée qu'il te faudra exploiter rapidement.
Tes silences gourmands lorsque tes yeux parlent pour toi devant une envie de chocolat ou de pizza ... ceux qui invitent à la confidence et qui écoutent ... Ceux indécis qui tournent en ronds et s'entrechoquent en longs soupirs. ... Ceux prêts à se rompre et qui ne rompent pas.
Tes silences, ceux qui chantent, qui rient, qui dansent et qui me font chavirer dans tes bras. ... ceux qui se confondent avec la patience des arbres, la beauté des campanules ou celle d'une Lloydia, cette beauté qui te pare dès que ta main s'égare le long d'une tige et que tu respires l'odeur du lilas ou du genêt.
Et ce silence, posé maintenant sur tes lèvres souriantes, que je contemple béatement et qui a la délicatesse et l'agilité d'une libellule.
Vendredi 16 décembre / 0085Lorsque je sors avec toi, j'emporte toujours un livre. Si la maison s'écroule en notre absence, j'aurai sauvé l'essentiel.
Samedi 17 décembre / 0086Parfois je sens une force en moi, une force qui pourrait tout balayer. Je pose mes mains sur les yeux de Lloydia pour lui insuffler cette puissance, cette énergie qui à travers moi, monte de la terre.
Rien ne se passe. Lloydia a cru à un jeu. Je n'ai rien dit. À distance, je recommence. Je persévère au point d'en avoir mal aux doigts. Sûr un jour j'y arriverai. Peut-être faudrait-il tenter un transfert ... je suis encore trop égoïste pour cela.
Pendant cette poignée de secondes où je reste concentré sur la lumière pour qu'elle inonde à nouveau tes yeux, je sais combien ton cœur est une fenêtre pleine de clarté douce et profonde.
Dimanche 18 décembre / 0087A la recherche du houx dans la forêt. Crissement du sol gelé. Sous la morsure du froid, des branches frissonnent. Plus un insecte, encore moins un oiseau tous partis migrés au loin ou se rapprochant du cœur des villes pour gagner quelques degrés de chaleur. Toute la poussière a été ramassée par le givre. L'air si pur ... Le bleu plus profond ... Léger halo de la respiration ... De petites aiguilles semblent se figer dans le nez à chaque inspiration.
Quelques coups de sécateur, nous ramassons nos rameaux. Les petites boules rouges égayeront de leurs braises la table de Noël.
La place de l'hôtel de ville fait la roue. De loin on peut voir les lumières du manège au dessus des toits, de près il domine les baraques installées sur l'esplanade. Chacune est décorée avec des branches de sapin et de houx. Un carrousel de chevaux de bois aimante vers lui les enfants. Tout près, un père Noël invite à la photo souvenir. Les plus petits des enfants ont peur, d'autres le couvrent de bisous. Des ados se moquent un peu mais dans leurs yeux, déjà cette nostalgie de l'enfance.
A la maison, les premières boules tombent sous le choc thermique. Je me précipite pour les ramasser avant que Lloydia ne les écrase sous ses pantoufles. Il en sera ainsi pendant quelques semaines, régulièrement je partirai à la chasse de ces sournoises beautés avant qu'elles ne terminent en purée.
Le piquant des feuilles de houx coupe mes ardeurs poétiques. J'ai du mal à lui associer de belles images hors celle des fêtes de fin d'année. Mes plongées à quatre pattes sous la table de la salle à manger impriment trop leurs souvenirs au creux de mes reins.