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« Les plus beaux yeux du cinéma », ceux de Michèle Morgan, viennent de se fermer à jamais.
La grande actrice s’est éteinte à 96 ans et nous laisse le souvenir d’une femme d’une rare élégance, incarnant à jamais l’amour romantique du cinéma français des années 30.
Née un 29 février d’une année bissextiles (1920), elle grandit à Dieppe avec l’espièglerie d’un garçon manqué.
A quinze ans elle gagne un concours de photogénie et se fait remarquer par un certain Yvan Noé (prononcer Ivanhoé), metteur en scène de son Etat. Il l’envoie prendre des leçons au Cours Simon tout en la faisant tourner dans Mes tantes et moi.
Elle prend alors un nom de scène : Morgan, en lien avec la fameuse banque. Ainsi, Simon Rousselle devient-elle Michèle Morgan.
Ses débuts avec Noé n’ont rien du déluge. Car cet incroyable regard attire Marc Allégret. Il la fait tourner dans « Gribouille » auprès du grand Raimu puis réitère avec Orage. Dans ce film elle côtoie Charles Boyer, star de l’époque.
Elle n’a que dix-sept ans mais déjà Marcel Carné ne tarit pas d’éloges sur cette star en devenir. Il téléphone à Gabin : « J’ai bu une môme très bien dans un film avec Raimu, Gribouille. Ça pourrait être ce qu’on cherche »
Ainsi naîtra « quai des brumes » en 1936, en plein Front Populaire. Ainsi naîtra le couple mythique Gabin-Morgan et le fameux « t’as d’beaux yeux tu sais ». Le film reste un chef d’œuvre, dans son esthétique et son dialogue signé Prévert.
Le couple se retrouvera dans Le récif de corail et puis Remorques.
Mais la guerre et l’occupation séparent ceux qui s’aiment, tout doucement, sans faire de bruit…
Michèle arrive à Hollywood. La grande machine cinématographique ne sait pas sublimer la beauté de l’artiste et sous-estime son talent. Les rôles médiocres se succèdent.
Le seul point positif de l’escapade américaine est l’arrivée de Bill Marshall, un acteur qu’elle épousera en 1942 et qui lui donnera son unique enfant, Mike, né en 1944.
Mais la jalousie de l’homme, l’étouffante ingérence de la belle-famille, écourteront, en pathétiques scènes de ménage, l’hymen qu’elle imaginait pérenne.
Michèle revient en France. Jean Delannoy l’accueille et la fait tourner dans La Symphonie Pastorale (d’après le livre d’André Gide). Elle incarne l’aveugle avec une acuité stupéfiante. Elle obtient le prix d’interprétation au festival de Cannes en 1946.
À Rome, elle tourne Fabiola d’Alessandro Blasetti. Elle a pour partenaire Henri Vidal et tombe passionnément amoureuse de cet homme. Tous deux se marient en secret, en 1950. Cette fois-ci ce n’est pas la jalousie mais la drogue qui a raison de cette union. Après diverses cures de désintoxication, Vidal meurt en 1959.
Dans le miroir à deux faces, la belle aux yeux d’océan joue une femme laide que la chirurgie esthétique transforme en beauté. Le mari jaloux est incarné par Bourvil et le chirurgien est Gérard Oury. Gérard, elle le connaît déjà un peu. Ils se sont croisés au cours Simon. Ils ont déjà joué ensemble dans La Belle que voilà de Jean-Paul Le Chanois. Mais là, quelque chose se passe.
Leur complicité se resserre d'autant que Gérard Oury devient vite metteur en scène et l'on parle de tandem Morgan-Oury pourLe crime ne paie pas,en 1961, avec, outre Michèle, Danielle Darrieux, Edwige Feuillère et Annie Girardot : excusez du peu ! Le couple s’installe définitivement dans le gotha parisien.
Après un long passage à vide de dix années, c'est Claude Lelouch qui la fera revenir sous la caméra dans Le Chat et la Souris.
Et puis un jour, poussé par Gérard Oury, elle brûlera les planches du théâtre du Palais Royal. Elle joue à côté de Pierre Mondy Le Tout pour le tout de Françoise Dorin (1978)
Le théâtre la rappellera pour Chéri (de Colette) ou encore Les monstres sacrés (de Jean Cocteau)
L’amour de sa vie meurt en 2006, elle le rejoint dix ans plus tard en ayant consacré les dernières années de sa existence à la peinture.
Une nouvelle passion, bien loin des strass cinématographiques et des désillusions hollywoodiennes.
Sur la toile blanchie tu as posé le bleu Celui de ton regard qui dévastait les âmes Et le cœur d’Allégret et les magiques flammes Dans les yeux de Gabin, au quai des brumes en feu.
Sur la toile endormie tu as tracé le vert Des prés verts où se jouent Symphonies Pastorales Des vendanges pâmées en cépages sauvages Et le cœur de gribouille dans l’écume des mers.
Sur la toile étonnée tu balayas de sang Le miroir à deux faces de tes passions perdues Ces amours contrariées, ce bonheur déjà nu Aux premières déchirures dans l’éclat du printemps.
Sur la toile indolente tu as posé l’orange En agrume juteux de tes larmes lucides Comme un écho d’adieu à ce cours intrépide Qui t’emportait au loin dans la mer des louanges
Sur la fin de la toile le noir s’est imposé Il n’occultera pas les iris océan Les myriades d’étoiles sur les grands rêves blancs Transperceront l’écran d’une obscure clarté.