Gwenn ha Du

Publié le 14 mai 2008 par Lebibliomane


"Au dessous du calvaire" Hervé Jaouen. Roman. Presses de la Cité, 2005.


En cette matinée du moi de mai 1969, les portes de la maison d'arrêt de Mesgloaguen, située à Quimper, s'ouvrent pour laisser sortir un détenu. Cet homme, Corentin Kermanac'h, vient de purger vingt-cinq ans de prison. Malgré son apparence placide et résignée, un feu couve encore dans le coeur de Corentin Kermanac'h.

Après toutes ces années de détention, une seule chose lui importe : déterrer un vieux fusil qu'il avait enfoui près de la ferme familiale en 1940. Ce fusil, il compte bien s'en servir à nouveau pour assouvir sa vengeance.
Que s'est-il passé pendant cette sombre période de l'Occupation, pour que cet homme, bien des années plus tard, éprouve le besoin irrépressible de retrouver cette arme et de l'utiliser afin de régler ses comptes ? Qui est l'homme qu'il souhaite mettre en joue et abattre comme une bête malfaisante ?

C'est ainsi que commence le roman d'Hervé Jaouen et c'est en suivant ce récit que le lecteur découvrira progressivement les causes et les conséquences de cet acte qui puise ses racines dans les années noires de la seconde guerre mondiale.

En un va-et-vient entre cette année 1969 et l'époque de l'Occupation, le récit se déroule comme une mosaïque où peu à peu les éléments du drame qui va se jouer se mettent en place. À la manière d'une tragédie, l'on suit petit à petit les actes et les évenements qui vont de manière inexorable marquer le destin des principaux personnages de ce roman. C'est ainsi que l'on va faire connaissance avec la fratrie des Kermanac'h, paysans des monts d'Arrée, pris dans la tourmente de l'Histoire, une Histoire qui fera basculer leurs destins respectifs et les amènera jusqu'au déchirement et à la haine.

Au travers de cette histoire familiale où s'entremêlent secrets et esprit de vengeance, Hervé Jaouen nous conte une page de l'Histoire récente de la Bretagne, celle de l'Occupation allemande, en nous offrant un récit dénué de tout manichéisme et où le Bien et le Mal ne sont pas nécessairement là où on s'attendrait à les trouver. Ici, pas de bons résistants confrontés à de méchants allemands, mais une vision beaucoup plus nuancée de la nature humaine, une nature humaine dont les circonstances historiques ne font qu'exacerber les jalousies, les rancunes et les haines.
Mais ce récit est avant tout l'occasion de découvrir un aspect méconnu du passé de la Bretagne en revenant sur les prises de position idéologiques adoptées à cette époque par certains groupuscules nationalistes tels que le Parti National Breton, émanant du mouvement Breizh Atao (" Bretagne toujours"), mouvement séparatiste anti-français qui ne dissimulait pas ses sympathies pro-nazies et dont les brigades paramilitaires serviront d'auxiliaires aux forces d'occupation de la même manière que les miliciens du régime de Vichy.

(Au vu de la tempête d'émotions suscitée par cette partie de mon commentaire concernant la création du drapeau "Gwenn ha Du", je supprime ce paragraphe. Il appartiendra à chacun de se faire un avis à ce sujet.)

Pour en revenir au roman d'Hervé Jaouen, les personnages qu'il nous décrit dans son récit ne sont pas, contrairement aux couleurs du Gwenn ha Du, blancs ou noirs. Ils se déclinent plutôt en un camaïeu de gris plus ou moins foncés, s'éclaircissant ou s'assombrissant au fil des circonstances.

Avec ce roman, Hervé Jaouen nous offre ici une tragédie à la mode de Bretagne, un récit situé entre roman-policier, roman régionaliste et roman historique.
Passionnant et redoutablement efficace, " Au dessous du calvaire " est un livre qui se lit d'une traite, un récit de vengeance et de trahison qui captivera le lecteur jusqu'à la dernière page. Du grand art.

Un grand merci à Sylire qui m'a aimablement prêté ce livre.