Nous conjuguons au masculin, une fois n’est pas coutume, la rubrique Un entrepreneur nous est conté avec Tim Heckscher, fondateur de culturaliv.com, le premier catalogue numérique des expositions des grands musées du monde. Laissons-nous embarquer dans un récit hautement pétillant.
Le musée : une expérience culturelle et sociale
La culture a toujours occupé une place importante dans mon histoire familiale. Je suis français par ma mère, américain par mon père. Des deux côtés, on professait un attachement à l’art. Mon grand-père maternel, homme politique français et académicien a occupé plusieurs fonctions dans cette branche au cours de sa vie et terminé sa carrière comme président du collège des conservateurs du domaine de Chantilly, où nous allions souvent en vacances jusqu’à son décès. Quant à mon grand-père américain, collectionneur, il a été un temps conseiller culturel de Kennedy. J’ai vécu 4 ans à Paris puis 10 ans à Londres avant que la famille ne reprenne le chemin des Etats-Unis pour y poser ses valises. Le musée a joué dès mon enfance un rôle notable. J’y ai passé beaucoup de temps, en famille ou avec des amis. C’étaient toujours des moments à la fois stimulants et rassérénants. Véritable lieu de vie, il s’y passe toujours quelque chose : une émotion, un questionnement, un apprentissage. La beauté y est omniprésente pas seulement dans les expositions présentées, mais dans le cadre lui-même et l’atmosphère qui s’y dégage. À mes yeux, une dimension sociale s’ajoute à celle purement intellectuelle. Une visite dans cet endroit ne se limite pas pour moi à arpenter les couloirs d’une exposition mais s’inscrit dans une démarche plus vaste, une occasion de partage chaleureux et convivial avec d’autres, qui peut se prolonger par une pause autour d’un café, d’un repas, pris au restaurant du musée.
Après des études de sciences politiques et d’économie, j’ai travaillé 6 ans en business development à New York au Financial Times Group. Le destin s’est alors invité : en 2010, j’ai rejoint le conseil d’administration du musée Heckscher (j’y suis toujours), institution fondée en 1920 par mon arrière grand-père. La possibilité de découvrir l’envers du décor s’offrait à moi. J’ai eu la chance de participer à l’élaboration de la nouvelle stratégie « visiteurs » du musée. Le conseil d’administration s’était précédemment donné pour ambition de le faire connaître dans le monde entier. Or il nous a semblé plus approprié de mieux l’intégrer parmi la communauté de Long Island, où il est situé, pour en faire bénéficier ses habitants grâce à une programmation qui leur parle et attirer les familles avec les ressources du parc attenant.
Cette position d’observation a été essentielle pour qu’émerge une intention : transmettre cette passion en particulier à la génération Y. Un besoin personnel a conforté cette idée. Ayant beaucoup voyagé ces dernières années, j’ai constaté que dans un monde dominé par internet, aucune plate-forme récapitulant les principales expositions des grands musées du monde n’existait. Quelqu’un qui se déplaçait pour un voyage professionnel ou privé n’avait aucun moyen de visualiser à l’instant T tout ce qui se passait dans la ville où il se rendait. C’est par là qu’il fallait commencer : créer le produit pouvant servir à un public à la fois international et local.
Le nom est venu à moi spontanément. J’étais dans une réception quand une dame a déclaré avoir visité 5 musées dans la journée, et elle a ajouté que c’était « her cultural i.v. », littéralement son « intraveineuse de culture». J’ai adoré cette image, et dès le lendemain j’achetais le nom ! Fin 2013, je me suis attelé à une ébauche de site. Au début, il était assez rudimentaire et je m’en occupais pendant mon temps libre.
En juin 2014, changement de décor : j’ai déménagé à Paris pour un fonds d’investissement. Rapidement, j’ai senti qu’il fallait prendre une décision. Un copain m’a convaincu d’une phrase : « Si tu ne le fais pas, quelqu’un d’autre le lancera tôt ou tard».
J’ai lâché mon job début 2016. Avec un graphiste (basé à Boston) et un développeur, nous avons procédé à la refonte du site avec trois grands axes : mettre à disposition un calendrier des expositions en cours et à venir des grands musées du monde ; favoriser l’expérience sociale pour le « visiteur » en indiquant les possibilités de restaurant/café/ boutiques des musées ; le faire profiter des retours d’expérience de ses pairs au moyen des commentaires postés. Enfin en intégrant un lien direct avec les musées, on lui facilitait la vie pour l’achat des billets.
En octobre dernier après 5 mois de labeur, culturaliv.com est né. Près de 600 expositions dans 120 musées aux Etats-Unis et en Europe y sont recensées.
Quelles sont tes premières impressions de « jeune entrepreneur » ?
Sauter le pas m’a procuré un immense soulagement. J’ai toujours eu l’esprit entrepreneurial ; avoir trouvé un projet qui m’enthousiasme, c’est très exaltant. Le matin je me lève facilement et le soir je n’ai pas envie de me coucher. Mais c’est hyper stressant. L’aventure de l’entreprenariat ne convient pas à qui veut se mettre au lit à 10 heures du soir et prendre deux mois de vacances. Il y a des sacrifices à consentir et il faut se battre pour tout. Avec les journalistes pour avoir une couverture presse, avec les musées pour les embarquer dans ce projet, il faut également travailler en permanence sur le site pour le faire évoluer et la partie la plus dure est de toucher l’utilisateur final. Mon ambition est de créer une vraie communauté parmi les utilisateurs en les encourageant non seulement à poster des commentaires mais à en discuter entre eux grâce à Facebook.
Si j’étais resté dans ma boîte, je serais certainement tout aussi stressé. Mais la différence est de taille. Pour la première fois de ma vie, je fais quelque chose que j’adore : je transmets ma passion et la réussite n’est pas une option !