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La Caverne

Publié le 17 juin 2008 par Lebibliomane

"QUINZINZINZILI" Régis Messac. Roman. Editions de l'Arbre vengeur, 2008.

Qui, de nos jours, connaît encore cet auteur atypique que fut Régis Messac ? Né en Charente-Maritime en 1893, fils d'instituteur, il deviendra à son tour enseignant après avoir été blessé d'une balle dans la tête lors de la première guerre mondiale. De 1923 à 1929, il s'expatrie d'abord en Grande-Bretagne puis au Canada où il occupe un poste de progfesseur à l'Université Mc Gill de Montreal. De retour en France, il devient chroniqueur pour de nombreuses revues littéraires, syndicales et pacifistes. C'est au cours des années 30 qu'il crée la revue « les Hypermondes » où il met en avant un genre littéraire jusqu'ici boudé par le public : la Science-Fiction. Car Régis messac est un précurseur; déjà, en 1929 il soutient une thèse sur « le Detective Novel » et l'influence de la pensée scientifique qui mettra en avant – avec le succès qu'elle connaît depuis – la littérature policière. Mais ses réflexions anti-conformistes (pour l'époque) sur la pédagogie lui vaudront d'être écarté du monde de l'enseignement après qu'il ait signé en 1933 un pamphlet intitulé « A bas le latin! » Désormais marginalisé, Régis Messac va se consacrer à l'écriture, notamment de romans de science-fiction dans lesquels transparaît son pessimisme radical sur l'avenir de l'espèce humaine avec « Quinzinzinzili », « La Cité des Asphyxiés » et « Valcrétin », roman posthume dans lequel s'exprime le constat qu'il dresse de la société de son époque: « Où est le bonheur ? Dans l'accord avec son milieu. Si nous vivons parmi les Crétins, soyons crétins. » Constat qui est hélas! aujourd'hui encore d'actualité puisque Martin Page en a décliné le thème il y a quelques années avec son roman « Comment je suis devenu stupide. »
Lorsque l'Allemagne envahit la France en 1940, Messac l'insoumis, le pacifiste, l'ennemi de toutes les dictatures, qu'elles soient politiques, religieuses ou culturelles, participe à un réseau visant à faire évader des jeunes enrôlés de force pour le S.T.O. De plus en plus investi dans la Résistance, il est arrêté le 10 mai 1943 à Coutances. Condamné par un tribunal militaire, il est incarcéré à Fresnes puis au camp de Struthof (Alsace) avant d'être déporté en Silésie et en dernier lieu dans le camp de concentration de Gross-Rosen. On suppose qu'il a été déplacé au cours des « marches de la mort » en 1945 vers le camp de Dora puis vers Bergen-Belsen.
La date de sa dispartition a été fixée au 15 mai 1945.
Dans « Quinzinzinzili », roman de science-fiction apocalyptique écrit en 1935, Régis Messac prévoit déjà la catastrophe que sera la seconde guerre mondiale ainsi que l'invention et l'utilisation d'armes de destruction massive quinze ans avant que la première bombe atomique ne ravage la ville d'Hiroshima.
Les causes de la guerre imaginée par Régis Messac ne sont bien évidemment pas celles qui ont effectivement entraîné le monde dans un conflit meurtrier qui durera six ans. Messac imagine que le Japon met le feu aux poudres en envahissant la Chine. Les grandes puissances : Russie, Allemagne, France, Royaume-Uni, Etats-Unis, choisissent leur camp et c'est très rapidement l'escalade. Cette guerre, commencée de manière conventionnelle, prendra un tour nouveau avec la mise au point d'une arme absolue réalisée par un scientifique japonais, une sorte de super-bombe qui décompose l'atmosphère, la rend irrespirable, et élimine ainsi tous les êtres vivants se trouvant à proximité.
Le narrateur, Gérard Dumaurier, est précepteur des deux enfants d'un homme d'affaires enrichi par le commerce des armes. Au moment où l'apocalypse est sur le point de se déclencher, Dumaurier et ses deux élèves se trouvent en Lozère dans un sanatorium, le cadet des deux frères étant légèrement atteint de tuberculose. Parti en excursion en compagnie de ses protégés ainsi qu'avec cinq autres garçons et une petite fille, Dumaurier décide d'explorer une grotte à flanc de colline.
Alors que tous s'amusent à visiter la caverne dans une joyeus insouciance, un grondement soudain venu du dehors attire leur attention. Ce qu'ils croient être un banal orage est en fait la catastrophe annoncée. Partout, de par le monde, les super-bombes ont explosé et ont ravagé la surface de la Terre, ne laissant pour seuls survivants que cette poignée d'enfants accompagnés d'un seul adulte.
Dumaurier, à l'instar de l'auteur, n'espère rien de la capacité de la race humaine à corriger ses défauts et à construire un monde meilleur que celui qui vient d'être anéanti. Il va donc se poser en observateur et étudier cette horde d'enfants livrés à eux-mêmes. Il va très rapidement constater que cet embryon de société va reproduire les tares et les excès de l'humanité disparue. Redevenus sauvages, les enfants vont réinventer un langage sommaire, une sorte de babil enfantin où le vocabulaire est déformé et simplifié à l'extrême. Ils vont se créer un dieu tout-puissant : « Quinzinzinzili », déformation de « Pater Noster / Qui es in coelis » mais aussi – ce qui est plus grave encore – la domination des plus forts sur les plus faibles, l'intimidation de l'autre par le biais de la violence et enfin le meurtre et le viol sur la personne de la seule fillette rescapée. Profondément dégoûté par cette attitude, Dumaurier se dénommera désormais Eskhatos (d'après le mot d'origine grecque Eschatologie), « l'homme final, le dernier. »
Consignant ses mémoires dans un vieux carnet, Dumaurier/Eskhatos va décrire cette plongée dans la barbarie, observant ces enfants qui reproduisent à leur échelle les comportements qui ont conduit l'humanité vers son extinction.
D'un pessimisme effrayant, le roman de Régis Messac laisse peu d'espoir sur la capacité de l'être humain à se défaire de ses tares, condamné à reproduire indéfiniment les mêmes comportements brutaux et sordides. Entre « Ravage » de Barjavel et « Sa majesté des mouches » de Golding, « Quinzinzinzili » s'inscrit dans cette lignée de romans qui nous présentent des contre-utopies et jettent un regard désabusé sur la capacité de l'espèce humaine à trouver une quelconque forme de rédemption.
En cela, Régis Messac ne se sera pas trompé, lui qui disparaîtra en 1945, victime de la folie meurtrière de ses frères humains.


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