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Et si Google était le Taylorisme du XXI siècle ?

Publié le 23 juin 2008 par Alex Gaudin

Is Google making us stupid ? C'est la question que pose Nicholas Carr dans un passionnant article paru dans The Atlantic,  à propos l’influence du Net sur notre façon de penser.

Voici sa thèse.

Partant du constat qu’il ne pense plus comme avant, qu’il lui est plus difficile de se concentrer sur un livre ou un article dense, Carr se demande si cette évolution n’est pas liée à une augmentation continue du temps passé online et de ses usages fragmentés et superposés.

Internet est ainsi devenu un média universel, canal central qui irrigue notre cerveau en contenus variés s’adressant aussi bien à nos yeux qu’à nos oreilles.

Un média qui a une incidence directe sur notre mode de pensée, de concentration et au final sur la façon dont notre cerveau appréhende l’information.

Notre façon de lire influerait donc directement sur notre façon de penser.

Maryanne Wolf va même plus loin en précisant que nous ne sommes pas seulement ce que nous lisons, mais que nous sommes aussi définis par la façon dont nous lisons. Un mode de lecture, online, toujours plus fragmenté, papillonnant, butinant.

Et notre cerveau réagit à ces nouveaux stimuli, s’adaptant et faisant évoluer par la même occasion notre façon même de penser.

Carr cite ainsi l’exemple de Nietzsche, qui ayant trouvé dans la machine à écrire une parade à ses yeux déficients, constatait que « l’équipement utilisé pour écrire avait une incidence directe sur notre façon de penser ».

Cette influence des technologies sur nos comportements et modes de pensée s’illustre également à travers le cas de l’heure mécanique. L’irruption de l’heure quantifiable au quatorzième siècle eu ainsi une incidence directe sur nos comportements. Avec la notion de temps divisé de façon mathématique, nous quittons nos sens et la nature comme référents d’action et de comportement pour nous soumettre à la dictature du temps, qui rythme nos repas, nos activités, nos jours et nos nuits.

Aujourd’hui, à l’heure du tout numérique, nous commençons à penser et à nous comporter comme des ordinateurs, Internet étant devenu notre nouvelle horloge biologique, rassemblant en un continuum notre rapport aux médias, au temps, aux communications, aux échanges.

Pour survivre, les vieux médias n’ont plus qu’à s’adapter ou disparaître et Carr en donne pour exemple le NY Times qui redésigné ses premières pages en accord avec les nouvelles habitudes de consultation média : des articles courts, des résumés, des photos.

On en vient à Taylor, qui dans sa quête de l’efficacité parfaite, proclamait que « si dans le passé, l’homme était au premier plan, dans le futur ce serait au système d’être au premier plan ».Google serait-il le nouveau système ?

Google s’appuie sur Internet, technologie dédiée à la conservation, la transmission et la manipulation de données, pour mener à bien sa mission : « organiser l’information dans le monde et la rendre universellement accessible et utile ».

Carr s’interroge alors : et si Google était au cerveau ce que Taylor a été au travail manuel ?

Pour Google, l’information est une donnée utilitaire, qu’il faut organiser au mieux, afin de nous rendre toujours plus efficient-productif dans nos recherches et donc notre travail. Il faut être rapide.

Quelles en sont les limites ? On sait que la femme de Sergey Brin a créé la société qui propose de décoder votre ADN pour environ 600 euros. On sait que Google est très intéressé par le domaine de l’information médicale. Carr nous apprend aussi que Larry Page, lors d’une récente conférence, expliquait que Google « est réellement en train d’essayer de construire un modèle d’intelligence artificielle à large échelle ».

Bientôt, chacun aura-t-il un petit Google dans la tête ?

Ray Kurzweil, un futuriste qui a la réputation de voir ses prédictions prendre forme, ne prédit-il pas pour les années 2020 la possibilité d'implanter des micro-computers dans le cerveau... 

Et dans cette optique, quelle place restera-t-il pour la contemplation, la rêverie, la lenteur, la recherche indirecte – toutes choses on le sait bien, indispensables à la création, qu’elle soit artistique ou scientifique.

Notre cerveau n’est-il plus qu’un vieux disque dur qu’il faut optimiser, rendre plus rapide, pour pouvoir ingérer toujours plus de données ? Et pour quels objectifs ?

Car les grands acteurs du Net ont un intérêt économique direct à nous voir papillonner toujours plus vite de site en site, laissant à chaque escale des traces facilement commercialisables. Alors, celui qui passe une heure sur le même site à lire un long papier n’est pas le profil le plus adapté au business de l’Internet.

L’économie d’Internet repose dès lors sur sa capacité à nous distraire, à détourner notre attention vers du neuf éternellement renouvelé, faisant de l’internaute un être sachant tout sur rien en quelque sorte, un être dont la capacité de réflexion et de concentration s’émousse. Car comme le rappelle Maryanne Wolf, « deep reading is indistinguishable from deep thinking ».

Si nous perdons ces espaces de calme, si nous sommes en permanence l’objet de sollicitations de “contenus”, nous dit Nicholas Carr, n’allons-nous pas nous transformer en pancakes ?


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