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Un conte de Noël

Par Luc24

Vu à Cannes en projection du matin, un peu fatigué, Un conte de noël m'avait séduit. Je trouvais que Desplechin se débarassait du côté trop intello qu'on lui prêtait et qu'il livrait là son oeuvre la plus accessible et universelle. C'est pourquoi je suis retourné le voir en salles ce soir. Il est marrant de constater à quel point le rythme cannois fausse parfois les impressions, que certains souvenirs de films vus se révèlent assez faussés. Je me souviens l'an dernier avoir vu Naissance des Pieuvres sur la Croisette. J'avais trouvé le film très bon. En retournant le voir en salles , j'en étais sorti les larmes aux yeux, bouleversé. C'était mon film de l'année, avec Les chansons d'amour. Cette sensation de redécouvrir totalement un film vu il n'y a que quelques semaines, je l'ai vécue à nouveau ce soir avec le Desplechin. Me voilà sorti de la salle avec l'envie de dire : "Mais merde, ce film est un putain de chef d'oeuvre"'.

La critique  

Un conte de Noël
Famille brisée, humour noir : un grand film, aussi intelligent que divertissant

Famille, je vous hais ! Le moins que l'on puisse dire , c'est que la famille Vuillard a de gros problèmes, est éclatée,  déstructurée. A l'image de ce nouveau film du réalisateur Arnaud Desplechin qui prend des allures de film choral tout en multipliant les effets cinématographiques. Voix off, discours face caméra, lecture de lettre, inserts...Ingénieux, ludique, son conte de noël nous plonge comme son titre l'indique en pleine réunion familiale pour les fêtes de fin d'année. Mais comme on s'en doute bien, les retrouvailles ne vont pas être de tout repos, loin de là. A l'origine des problèmes et des névroses, la disparition de Joseph. Enfant mort d'un cancer a six ans , issu du couple d'Abel (Jean-Paul Roussillon) et Junon (Catherine Deneuve) , les grands parents. A cette époque, était déjà née Elisabeth (Anne Consigny), l'ainée, et dans le ventre de Junon se préparait à arriver Henri (Mathieu Amalric). Nul doute que l'arrivée de ce nouveau né ne fut pas accueillie dans la plus grande des joies avec le décés de son frère le précédant. C'est ainsi qu'étrangement, Junon n'a jamais aimé Henri, été proche de lui. Cette animosité est très fortement partagée par Elisabeth, l'enfant chéri de Junon, qui en est arrivée à ne plus supporter la présence même de son frère. Et voilà qu'Henri se retrouve face à des problèmes d'argent. Le théâtre qui lui appartient croule sous les dettes, sa soeur en est débitrice, son père est prêt à se ruiner pour l'aider. Elisabeth, auteur de pièces de théâtre, a suffisament d'argent pour l'aider sans tomber dans le besoin. Elle rembourse ainsi les dettes de son frère détesté à une condition : qu'il soit banni de la famille pendant six ans. Si cette décision peut paraitre farfelue et terriblement capricieuse, elle finira pourtant bel et bien par être prise par la famille Vuillard. Seulement voilà, le temps passe, les enfants grandissent et les grands parents vieillissent...Junon découvre qu'elle a un grave cancer et que sa seule chance pour survivre est de disposer d'une greffe. Elle invite alors tous les membres de la famille à passer des tests pour voir si ils sont compatibles avec elle et envisage de fêter Noël avec la famille au complet, Henri inclus.

Dans la famille Vuillard nous avons donc :

Un conte de Noël

-Junon, la grand mère qui n'a pas peur de balancer à son fils Henri qu'elle ne l'a jamais aimé. Une femme franche, sans pitié, le regard souvent amusé.

-Abel, le grand père, plus tendre et moins intransigeant que sa femme. Il a travaillé toute sa vie dans une teinturerie et espère que sa moitié survivra le plus longtemps possible à la maladie.

Un conte de Noël

-Elisabeth, la soeur ainée. Une femme froide, névrosée, rongée par la haine qu'elle éprouve pour son frère Henri, hantée par la disparition prématurée de son frère Joseph. Le bannissement de son frère ne l'a nullement aidée à apaiser sa colère, c'est plutôt l'inverse. Mais qu'a donc fait Henri pour mériter tant de haine ? A un moment il rit en clamant qu'Elisabeth ne sait même plus pourquoi elle le déteste. C'est sans doute parti de choses insignifiantes, ça s'est emballé et sans le vouloir elle est arrivée au point de non retour. Il n'a sans doute pas tort. Cette haine détruit Elisabeth, qui passe son temps à trembler, être en colère, à la limite de la parano. Triste, elle forme une famille en pleine tourmente. Fruit de son amour avec son mari ,qui partage sa haine pour Henri, le petit Paul (Emile Berling). Un garçon qui depuis quelques temps accuse des problèmes de santé mentale. Surprotégé, mis à l'écart, c'est un garçon sensible qui se cherche.

Un conte de Noël

-Henri, celui qui a malheureusement succédé au défunt Joseph. Décrit comme le diable en personne par sa soeur, il n'a jamais bénéficié du moindre geste d'affection de sa mère. Enfant maudit, petit voyou, grand dragueur, Henri a été marqué par la disparition de sa femme, décédée seulement après un mois de mariage. Masquant ses rancoeurs et ses douleurs par un cynisme à toute épreuve, Henri débarque pour Noël accompagné de sa toute fraiche conquête , Fonia (Emmanuelle Devos). Femme juive, charmante et cynique elle aussi, cette dernière découvre la famille complètement instable de son nouveau compagnon, d'un oeil amusé.

Un conte de Noël

-Yvan (Melvil Poupaud), le dernier né de la famille. Adolescent, il est tombé dans une certaine folie , ce qui explique le fait qu'il soit très attaché à son neveu Paul. En l'aidant, il a l'impression de s'aider lui même. Yvan est sorti de sa folie et de ses doutes le jour où il est sorti avec la fille de ses rêves, Sylvia (Chiara Mastroianni). Cette dernière a fait de lui un homme comme elle l'avoue elle-même.

Un conte de Noël

-Simon (Laurent Capelluto), le cousin des enfants. Il a grandi avec Yvan et Henri et sa vie a basculé le jour où il a su que son fragile cousin Yvan aimait Sylvia. Simon aimait la même fille que lui et a préféré s'effacer pour son bonheur. Mais depuis il voit la vie en noir, déprime, ère comme une âme en peine.

Tout ce beau monde va donc se réunir, du 22 au 25 décembre, pour un Noël à Roubaix riche en tensions, confrontations, règlements de compte et bien sûr en émotions.

Un conte de Noël

 

Un conte de Noël , comme tout film de Desplechin, est une oeuvre extrêmement dense. Tellement de choses sont dites, montrées, ressenties, qu'on en ressort un peu sonné. Ce n'est pas le genre de films dont on ne retient que une ou deux petites choses. Dans notre tête défilent les souvenirs d'un coeur marqué à la hâte au stylo par une femme séduisante, une nuit charnelle avec l'amour de sa vie, la peur de sombrer dans la folie, de ne pas survivre à une opération, la crainte de ne jamais trouver la paix intérieure... Le scénario est une fois de plus co-signé avec Emmanuel Bourdieu. Si les références (bibliques, cinématographiques, littéraires) ne manquent pas , elles se font nettement moins présentes, nettement moins pesantes diront les détracteurs du cinéaste, permettant à ce nouveau long métrage de se dérouler avec une plus grande liberté. Les dialogues sont géniaux, on retient un bon nombre de répliques qui font mouche et l'interprétation est juste impressionnante. Un conte de Noël est comme un majestueux ballet, constitué de fragments de grâce qui de temps en temps nous éclatent en pleine figure. Catherine Deneuve est impériale, Anne Consigny d'une justesse à se damner, le jeune Emile Berling dévoile un jeu sensible et très prometteur, Amalric prouve uen fois de plus qu'il fait partie des grands, Chiara Mastroianni est si sublime qu'on se met à nouveau à regretter de ne pas la voir plus souvent sur les écrans, Melvil Poupaud est charmant et touchant, Emmanuelle Devos drôle en douce cinglée...On a envie d'énumérer tout le casting tant leur performance nous foudroie. Ils parviennent à nous faire aimer des personnages qui , pour beaucoup, sur le papier auraient tout pour qu'on les déteste. Quoi de pire en effet qu'une mère qui rejette sans culpabilité son fils, qu'une soeur qui le fait banir, que la fille de ses rêves qui s'amourache de son cousin...Et pourtant, au final, on les aime tous. Le réalisateur et le scénariste sont parvenus à les rendre attachants en les développant formidablement et en dirigeant parfaitement un casting de premier choix.

Un conte de Noël

Oeuvre sur la famille, Un conte de noël a recours à un second degré complètement jouissif pour décrire l'horreur d'une multitude de liens brisés. Les confrontations, les paroles d'une méchanceté rare, la violence physique et morale y sont mises en scène de façon totalement décomplexée et avec un humour qui permet de distraitre le spectateur tout en le mettant fortement mal à l'aise. La cruauté qui règne pendant ces 2h30 est phénoménale , un gouffre de solitudes et de blessures. Objet de la réunion familiale, la greffe dont a besoin Junon est la métaphore du film. Tout tourne essentiellement entre les compatibilités et incompatibilités des uns et des autres, des filiations possibles ou impossibles. Despleschin profite de cette réunion sous pression pour dresser le portrait de plusieurs générations, raconter des histoires d'amour aussi belles que complexes, évoquer la folie, le pardon,la rédemption, la vie , la mort...Dense, dense, dense ! Résultat : les 2h30 passent à la vitesse grand V , on a plus envie de quitter toute cette gallerie de personnages doucement fêlés et on aimerait qu'ils accèdent tous à la paix intérieure. Voilà un conte cruel dont il faudrait des heures pour énumérer toutes les qualités, en analyser les subtilités. Un très grand film qui nous rappelle que notre cinéma héxagonal dispose bel et bien d'auteurs majeurs.


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