Voilà un petit roman de Dario Franceschini à mettre dans toutes les mains. Je ne sais pas s'il a beaucoup couru sur la blogo, je le vois chez Hélène et Leiloona. Il vient de chez ma sœur et va courir chez moi, passer entre les mains de mes parents, de mes amis. C'est un petit livre plein de poésie et de tendresse pour le monde et la vie.
Primo Bottardi vient de se coucher et la question d'un ami d'enfance, Civolani, lui revient. Il n'a alors qu'un objectif, y répondre. Mais sans se presser, sans mail ni coup de fil. Non, il va prendre le temps de chercher cet ami, de remonter le Pô, de s'arrêter dans des villages aux histoires curieuses et oniriques. La ville où a déraillé un train de tabac, celle qui est noyée de brouillard, celle où chaque matin une femme rêve de sa famille noyée et crie son désespoir, celle où chacun oublie et réinvente sa vie chaque jour, celle où régulièrement les pêcheurs accrochent la belle Adelasia dans leurs filets... D'ailleurs, Primo remonte le fleuve, et ses souvenirs, non pas au volant d'une puissante auto mais au rythme lent de la charrette d'Artioli. Le temps d'écouter des belles histoires et de faire bien des rencontres avant les retrouvailles.
Plus que la question inconnue, ou l'histoire de Primo, c'est l'atmosphère qui compte dans ce joli roman. Une ambiance chaleureuse, nimbée de belles idées et de jolis mots.
"Il avait toujours confondu le silence avec le froid. Pendant les nuits moites d'été il regardait les lèvres de Maria qui bougeaient, sans un bruit, au rythme des mots de son livre, et il commençait à trembler sous les draps rêches de coton blanc.
"Tu me fais mélanger les lignes", disait Maria en feuilletant les pages qui la séparaient de la fin. Puis elle se remettait à lire à voix basse et Primo, réchauffé par le bruit des paroles de sa femme, pouvait glisser dans ses rêves couleur rouille".
"Il lui arrivait souvent de glisser dans des rêves qui ne lui appartenaient pas. Lorsque cela se produisait, les personnages de ses rêves s'arrêtaient un peu, surpris, comme lorsqu'un étranger traverse le plateau d'un film en cours de tournage, certains faisaient même un petit salut de la tête [...] Il se demandait à chaque fois à qui appartenaient ces rêves rencontrés par erreur et il était toujours ennuyé, songeant que peut-être quelqu'un errait dans les siens sans les comprendre".
"Depuis des années, il m'envoie de Borrello des caisses pleines d'amour rien que pour moi et il les remplit toujours de paille pour qu'il arrive là encore intact".
"Elle n'avait pas encore deux ans et le soir pour s'endormir ou dans les moments de tendresse, elle sortait à peine son pouce de sa bouche, murmurait "morceau", tendait la main vers le cou de sa maman, frôlait la peau comme pour saisir dans sa paume un petit morceau de corps et approchait son petit poing fermé de son visage, pour en garder jalousement le contenu. Très vite, elle avait commencé à prendre un morceau de son papa quand il partait travailler. Elle courait après lui jusqu'à la porte, le prenait derrière son oreille et le mettait dans sa poche ou dans son tee-shirt. Un peu plus tard, elle commença sans bruit à en prendre à ses grands-parents quand ils lui racontaient des histoires, à ses petites cousines pendant leurs jeux, aux amis de ses parents qui la faisaient jouer. Il était évident maintenant qu'elle n'en prenait qu'à ceux qu'elle aimait. En grandissant, le nombre de personnes envers qui elle éprouvait de l'affection ou de la sympathie augmentait et elle ne pouvait pas toujours demander un morceau. Il se rappelait que chaque année, le dernier jour de l'école, elle remplissait les poches de son tablier de petits morceaux de ses camarades et attendait le baiser d'au revoir pour en dérober un, en cachette, au cou de la maîtresse [...] Et souvent il lui arrivait, en lavant ses vêtements ou en vidant un vieux sac, de trouver des petits morceaux perdus depuis longtemps ou d'en trouver d'autres dont elle avait oublié à qui ils appartenaient".