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"Lève-toi et prends la route toi qui jouais à nos pieds va mais souviens toi de ta masure enfumée
prend ta route et va t’en libre pars s’en oublier, mais à t’attendre nous suspendrons l’espoir » *
Il peut paraître surprenant, peut-être même gênant de commencer la chronique consacrée du récit romancé de Joss Doszen par des vers du grand poète congolais Paul Nzo Mono. Mais alors que j’entreprenais la rédaction de ce billet, je suis tombé sur cette remarquable séquence. L’intimation, l’ordre de partir, de voir un ailleurs pour s’accomplir. Paul N’Zo Mono dédie d’ailleurs ce poème à son propres père. Ses vers font écho à la parole paternelle qui a affermi de Joss : « Pars mon fils, va au loin, vis et grandis! »...
Nous aurons l’occasion de revenir très prochainement sur la poésie de N’Zo Mono. Suite à cette injonction, cette bénédiction, le personnage narrateur qui ressemble à Joss, décrit son point de départ, le contexte qui est le sien, celui de jeunes adultes issus de la bourgeoisie congolaise qui se cherchent. Là encore, je ne peux m'empêcher de penser à la bande de potes que Blick Bassy met en scène dans le Moabi cinéma. Brazzaville est le point de départ de la migration. Un lieu chaleureux, un lieu où se finit l’adolescence du narrateur. Un lieu où il n’est déjà plus possible de rester. Il faut partir, aller se former ailleurs. Le Sénégal sera la première étape de cette migration. Le point de départ est le lieu d’observation des éléments importants de la personnalité : son attachement à son clan, les amis, la famille, son affirmation par le biais de la sexualité qui va être un des outils de mesure de la croissance de ce jeune homme, ses ambitions, son désir de formation et de réussite sociale.
Ce cocon, cette notion de clan que l’on retrouve très fortement chez Joss Doszen dans un roman comme le Clan Boboto, elle est traduite par la structure même de ce premier livre. On pourrait penser qu’il y a plusieurs voix d’ailleurs en abordant ce texte mais en fait il y a plusieurs temps et tons. Attaché à son clan, le narrateur ressent le besoin de tenir informé avec sincérité ses proches des fluctuations de sa trajectoire. En particulier de son parcours en Angleterre restitué par le biais d’une newsletter numérique qui entrecoupe la narration plus classique des autres différentes étapes de son parcours d’étudiant. Je laisse aux lecteurs de découvrir la forme épistolaire à sens unique de ses e-mails.
J’évoquerai quelques épisodes de la vie estudiantine du narrateur à Dakar. Il rencontre des étudiants avec lesquels j’ai personnellement vécu un drame : l’expatriation forcée de plusieurs centaines d’étudiants parce qu’il a plu à des hommes politiques d’inciter leurs miliciens incultes à brûler la faculté des sciences de Brazzaville. Le narrateur partage l’histoire des corsairiens, ces étudiants congolais martyrs qui recevront le jeune immigré qu’il est au Sénégal et lui fourniront les clés d'une intégration ou d'un séjour sans heurts. Avec beaucoup de liberté, Doszen va décrire cette communauté congolaise à Dakar, il va porter un regard franc et sans réserve sur la société dakaroise. La justesse de ses analyses et de ses obsessions n’est pas vraiment le sujet qui m’importe. C’est avant tout la liberté de ton qu’il adopte qui a d’ailleurs eu le don d’horripiler quelques esprits chagrins.
On pourrait reprocher ces mots de Joss Doszen s’il se montrait indulgent à l’égard du Congo, de ses proches. Mais son regard singulier vaut au Congo, au Sénégal, en France, en Belgique, en Angleterre ou en Espagne. Une bonne partie de ce texte est centrée sur la trajectoire française du jeune congolais. La France qu’il décrit avec ses yeux d'un post-colonial, nous la connaissons. Il souligne les profondes contradictions de la société française, la poussée des extrêmes, la profonde cécité des élites françaises sur le parcours chaotique des post-coloniaux, la tentation d’aller voir ailleurs, si l’herbe est plus verte et pour obtenir des opportunités de stages intéressantes. Au fur et à mesure que le narrateur s’enfonce dans l'exploration de sa propre vie, le lecteur se montre attentif.
Ce livre, je recommanderai à n’importe quel bachelier en France ou en Afrique. Joss Doszen en racontant son itinéraire de manière drôle, ludique, franche sans imposer une direction, donne quelques clés de la réussite et de l’ascension sociale dans n’importe quel environnement hostile. Contre vents et marées, le chef de projet qu’il est devenu aujourd’hui a des choses à dire. Voilà le genre de bouquins que j’offrirai à mes neveux en Ile de France. La parole du père disparu a porté le fils. Très beau texte.Joss Doszen, Pars mon fils, va au loin et grandis Editions Athena Diff, 177 pages, parution en 2014 réedition.
* Extrait du recueil de poésie de Paul Nzo Mono, Si patrie en était une (Editions L'Harmattan)
Voir la critique de La plume francophone, de Lorraine, de Hugues RobertSource photo - Librairie Galerie Congo: