Sanam Khatibi, Un my sweetheart’s arms, 2016, Oil and pencil on canvas, 140 x 180 cm
En apercevant de loin les toiles grands formats de Sanam Khatibi l’on découvre des paysages majestueux presque idylliques où la végétation se déploie avec grâce et subtilité. Jeunes femmes nues « ingresques » et animaux peuplent ce jardin « édénique » aux couleurs harmonieuses. Il faut s’approcher pour se rendre compte de notre erreur de jugement, car ces « innocentes » dans leur plus simple appareil ne sont pas les jeunes filles en fleur que l’on pensait apercevoir. Non. Elles, préfèrent dévorer, tuer, ou s’accoupler avec animaux et créatures hybrides. « Ce sont des femmes-prédateurs qui chassent pour survivre. Il s’agit ici de survie ». Troublant. Leurs visages angéliques et juvéniles se voilent de malice voire de perversion. « Ces femmes n’ont aucun moralité. Elles jouent, s’amusent à faire mal. C’est toute cette dualité entre le mal et le plaisir qui me fascine. Ce plaisir que l’on a parfois en faisant mal » confie la jeune artiste iranienne.
Dans ce jardin d’Eden inversé, des carcasses gisent au sol, lapins et gibiers sont pendus éventrés, méduses et serpents malmenés par les mains de ces amazones. Une mise en lumière de la bestialité et l’aspect carnivore caractéristiques du travail de Sanam Khatibi « qui tourne essentiellement autour de l’animalité, de cet état primitif que l’on a ».
Les paysages merveilleusement inquiétants représentent des scènes de chasse inspirées des tapisseries aussi bien occidentales qu’orientales que la mère de l’artiste avait pour habitude de collectionner mais aussi des histoires contées dans son enfance, tirées du célèbre poème épique perse « Shâh Nâmeh » ( » Le Livre de Rois » ) de Ferdowsi.
Les félins, très nombreux dans l’oeuvre de la jeune femme, font échos aux bandes dessinées de Tarzan qu’elle affectionnait tant mais aussi à un séjour dans une ferme en Afrique où elle s’occupait de guépards. Sur des photos, on la voit sereinement marcher à côté d’eux comme s’ils n’étaient que de gros matous inoffensifs. Toujours pleine de surprises, elle nous révèle avoir sérieusement envisagé le métier de fauconnier.
Et puis, il y aussi ces innombrables serpents qui apparaissent aussi bien à l’intérieur de ses toiles qu’à l’extérieur, posés à terre sous forme de sculptures. « J’ai toujours aimé les animaux , mais j’ai une phobie des serpents! Petite en Iran, j’avais l’habitude de les attraper et de les enfermer dans un bocal avec une grenouille pour voir qui tuait l’autre le premier. Un jour j’en ai attrapé un très gros et j’ai mis une pierre dessus. Mais il s’est échappé dans la maison et personne n’a dormi cette nuit-là. Je pense que ma phobie remonte à cet événement « . Une révélation d’autant plus étonnante que leur présence dans son travail n’a rien de thérapeutique: » J’ai surtout réalisé que j’ai une sorte de fascination et d’attirance pour tout ce qui m’effraie. J’aime cette frontière qui existe entre nos désirs et nos peurs ».
Impossible enfin de ne pas remarquer l’omniprésence féminine. Ces amazones bien que vulnérables dans leur nudité exaltent puissance et indépendance, hommage surement à sa regrettée mère: » Cétait une lionne, une force de la nature. Je n’ai pas vraiment eu de rôle-modèle paternel d’où peut-être aussi l’absence d’homme dans mon travail . »
Le courage, le dépassement de soi, l’attrait du danger et de la difficulté, les femmes-prédateurs autant d’éléments que l’on retrouve avec un plaisir non dissimulé dans le travail sublime de précision de Sanam Khatibi. Une artiste à l’univers fascinant qu’il faut suivre de très près.
- SANAM KHATIBI Juicy Lucy, 2016 Oil and pencil on canvas 160 x 200 cm
SANAM KHATIBI Juicy Lucy, 2016 Oil and pencil on canvas 160 x 200 cm
de g. à dr.: SANAM KHATIBI, De ta salive qui mord, 2016 Oil, oil bar, pastel and pencil on Paper, wooden frame 150 x 172 cm SANAM KHATIBI, If I had a tail, 2015 Oil and pastel on canvas 50 x 60 cm
SANAM KHATIBI There is something about a man in uniform , 2016 Oil and pencil on canvas 160 x 200 cm
Sana Khatibi, De ta salive qui mord, 2016. oil, oil bar, pastel and pencil on paper, wooden frame, 150 x 172 cm
L’ INTERVIEW EXPRESS!
artbruxelles: Tes artistes de prédilection?
Sanam Khatibi: Carol Rama, Henry Darger, Louise Bourgeois.
artbruxelles: Tes livres?
Sanam Khatibi: « Dracula » de Bram Stroker, « Le Parfum »de Patrick Süskind et les bandes dessinés de Tarzan.
artbruxelles: Musique du moment?
Sanam Khatibi: Billie Holiday.
artbruxelles: Une journée avec?
Sanam Khatibi: Carol Rama sans hésitation!
artbruxelles: Humeur du jour ( N.B. J’ai rencontré Sanam Khatibi le jour où l’on venait d’apprendre la victoire de Donald Trump à la présidentielle!)
Sanam Khatibi ( qui perd son sourire): De très mauvaise humeur. Je suis très inquiète pour notre avenir.
Sanam Khatibi » Le jardin décomposé », à Super Dakota jusqu’au 21 décembre, rue Washington 45, Bruxelles. www.superdakota.com
Crédit photos @Super Dakota
Mélanie Golringue Orang-Khadivi