Chennevières/Marne ce 28 août 1995
Mon cher HUE
Ce n’étaient là que des signes précurseurs, le dernier me faisant hésiter déjà à participer à la Fête de 1' Humanité. L'existence d'un véritable lobby à 1'intérieur du Parti s'est manifestée avec éclat lorsque la démagogie de CHIRAC 1'a amené à demander pardon aux victimes juives du Vel'd'Hiv. Pour se concilier les bonnes grâces du lobby, et que 1'Humanité sous la plume de ZARKA , a félicité CHIRAC pour cette commémoration de la rafle du 16 juillet 1942 au cours de laquelle il avilissait le peuple de France en proclamant que "la folie criminelle de 1’occupant a été secondée par des français et par 1'Etat français". Il considérait ainsi le régime de Vichy imposé par 1'occupant à 1'Assemblée de Bordeaux (où seuls lesdéputés communistes eurent le courage de refuser 1'investiturecomme" l’ETAT français, lui conférant ainsi un titre et une légitimité qui ne pouvalent lui être reconnus par le peuple français qui avait élu ces députés au temps du Front Populaire. La France n’avait donc, sous 1'occupation hitlérienne, aucun Etat ni légitime ni légal. S'il 1'eût été, CHarles de GAULLE et Maurice THOREZ eussent été, comme le disaient les collabos, des "déserteurs", Jean MOULIN méritait la torture et la mort, et nous les résistants intérieurs desmaquis de France et des camps du refus, étions tous destraîtres. Nos 20.000 fusillés communistes ont du frémir ce jour-là dans leur tombe. CHIRAC ne considère comme "faute irrémédiable en y associant le peuple français, que les crimes de ses collabos et le silence d'un peuple captif sous la contrainte de 1' occupant, alors qu'il ne faisait pas amende honorable pour les crimes perpétrés, cette fois par un Etat légitime et libre lors des bombardements qui firent 6.000 victimes civiles à Haïphong, aux centaines de milliers de civils vietnamiens massacrés au cours de la guerre coloniale ou aux victimes des massacres de Sétif qui firent des milliers de victimes. A ces crimes là ne sont pas demandé pardon et nulle commémoration n'exalte ceux qui représentaient alors 1'honneur du peuple français: les Henri MARTIN au Viet-Nam, les YVETON et les Henri ALLEG en Algérie.
L'influence de ce lobby au plus haut niveau du Parti (direction de 1'Humanité et Bureau Politique) s'exprime, hélas! dans une politique qui ne peut conduire qu' à la faillite. L’on semble oublier, au Conseil National, qu' aux Présidentielles, en dépit de 1'incontestable sympathie qu'inspirait ta personne, fut à peine dépassé le total des voix de LAJOINIE et de JUQUIN à la précédente consultation et qu'aux Municipales, gagnant quelques municipalités, nous perdions quelques uns de nos bastions les plus forts. Sous quelle inspiration as-tu donc pu parler, dans ton article, sur la France, comme 1'eût fait n'importe quel démocrate "patriote" sans évoquer une seule fois les dangers mortels que font peser sur toutes les activités françaises, de 1'agriculture à 1'aéronautique, du cinéma à 1'information et à la culture, non seulement Maestricht, mais notre dépendance servile à 1'égard de toutes les institutions dirigées aujourd'hui par les Américains, de 1'Organisation mondiale du Commerce , au FMI et à la Banque Mondiale, du Conseil de Sécurité des Nations Unies à toutes les opérations qui, de 1'Irak à l a Somalie font des armées françaises des supplétifs de 1’armée américaine ? Je comprends et je partage parfaitement ton souci de ne pas pratiquer une politique "manichéenne" se livrant, comme JOSPIN et ses pareils, à une critique systématique de la politique de CHIRAC et des contradictions engendrées par les promesses démagogiques faites au cours de sa campagne. Mais tout se passe comme si 1'on n’avait d'autre ambition que celle de remplacer le parti socialiste dans sa fonction traditionnelle de "gérant loyal du capitalisme » comme le disait autrefois Léon BLUM. Comment expliquer autrement 1' approbation servile de ZARKA à la politique nucléaire de CHIRAC qui, après la provocation de la reprise des essais, aurait 1'étrange mérite d'appliquer, avec tout le monde, la décision de les suspendre tous.
La fierté de notre Parti fut longtemps avec Maurice THOREZ de n'être pas un Parti comme les autres. Ne serait-il pas temps de retrouver cette orientation,qui fit de notre Parti le premier Parti de France en prenant au mot les propositions démagogiques de CHIRAC (qu'il sera incapable de tenir dans le cadre américain de la "mondialisation" des échanges( comme le montre 1'expulsion de MADELIN, disciple conséquent du "libéralisme" économique américain") et de montrer les possibilités de réalisercette "justice sociale" en changeant radicalement nos rapports avec le Tiers Monde, au nom de notre propre "internationalisme" au lieu de nous replier sur la France à la manière de LE PEN ou sur 1'Europe à la manière des maestritchiens, ou sur la Trilatérale (Etats-Unis ,Europe,Japon) à la manière de BARRE ? Ainsi et ainsi seulement notre Parti peut n'être pas "un Parti comme les autres" et regagner la place qui est la sienne parmi les salariés de notre pays, prêt à combattre tous les privilèges (y compris ceux des occidentaux) comme il le fit au temps où des millions de français se solidarisaient avec la lutte d' ABDEL KRIM, de Ho CHI MINH, de FIDEL CASTRO, et n'accepteraient pas les bricolages pro-chiraquiens, pro-américains et pro-israéliens qu'ils impliquent.
Roger GARAUDY P.S. Je suis naturellement à ton entière disposition pour préciser les conditions dans lesquelles deviendrait possible une renaissance de notre Parti.
(1)Article de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, dans "Le Monde" le 23 août 1995, sur sa conception de la France, de son histoire et de son rôle dans le monde, intitulé "Le souvenir des erreurs". NDLR