Que dit l'hystérie verbale ?
Rhétorique. De certaines images politiques affleure souvent la démesure grandiloquente, sinon grotesque, des personnages qui les incarnent, comme la signification symbolique de notre époque. À quelques mois d’échéances électorales majeures «perdues d’avance», beaucoup pensent la gauche en déroute, qu’elle ne sait plus où elle va ni comment. Soit. Encore conviendrait-il de savoir de quelle gauche nous parlons. Dans la séquence actuelle, où les bonnes âmes consacrent à longueur d’antenne «l’union pour survivre» face à la droite extrême de François Fuyons et l’extrême droite de Fifille-la-voilà, la tentation faible des médias dominants et des «penseurs de gôche» tenant chroniques un peu partout consiste à encenser –la forme comme le fond d’ailleurs– le premier discours de Macron-la-finance. Le cirque du «petit prodige» transformé en «homme providence» recommence, alimenté par la rhétorique de l’ancien ministre de l’Économie lors de son meeting, porte de Versailles. Partant de l’adage intellectuel qui consiste à dire que plus nous nous crions haut et fort moins nous avons de choses sincères à exprimer, la harangue surréaliste du candidat d’En Marche!, prisonnier d’une exaltation surjouée jusqu’aux ultimes mots prononcés, se révèle une authentique plongée dans la supercherie des communicants, qui nous ont habitués à l’aspiration par le vide. Qu’avons-nous vu en vérité? L’ex-ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, a-t-elle tort en affirmant que les envolées de Macron-la-finance ressemblaient aux prêches vitaminés du personnage campé par Leonardo DiCaprio dans le film le Loup de Wall Street, de Martin Scorsese? Confondre à ce point charisme et hurlements, art oratoire et hystérisation de son propos, a quelque chose de confondant sinon d’inquiétant.Nous n’irons pas jusqu’à prétendre que le trader sommeille sous l’homme. En revanche, nous savons que sous le projet politique, mâtiné d’oraison funèbre pour le socialisme, nous apparaît clairement l’ambition d’une société de type capitaliste décrispé, où l’argent et la réussite par l’argent deviennent valeur cardinale. Il y a du Tapie chez lui, en plus classieux, en plus éduqué.
«Googlisation». Vous clamerez, et vous aurez raison, que nous étions déjà informés sur le profil de l’éphémère conseiller de Normal Ier. Souvenons-nous. Dans l’exercice de sa fonction à la tête de l’économie française, l’une des administrations les plus régaliennes qui soient, Macron-la-finance possédait déjà une double singularité. D’abord et avant tout, il se prenait pour ce qu’il n’était pas : un ministre de gauche. Ensuite, autant l’admettre, il regardait le peuple de gauche comme Tintin au Congo, avec mépris et défiance. Avec lui, la «libre parole», qualifiée de «moderne», avait déjà l’apparence non pas des trahisons –que peut-il trahir d’une famille dont il n’est pas membre?– mais bel et bien d’une forme de condescendance nourrie à l’acide financier. S’il veut «façonner le capitalisme à l’image de nos ambitions», il tente de porter l’habit du «progressiste» mais souhaite néanmoins abolir les 35 heures, en finir avec le statut de la fonction publique («plus adapté au monde tel qu’il va», «un statut plus justifiable», déclare-t-il) et, bien sûr, libéraliser à tout va l’économie française pour «l’adapter à la globalisation», etc. Là où un homme authentiquement de gauche proposerait prioritairement de réinvestir le champ des idées et des principes fondateurs du pacte républicain et de la citoyenneté afin de sécuriser la situation sociale, Macron-la-finance avance tout le contraire. Ne vient-il pas d’attaquer les syndicats en suggérant que ces derniers faisaient «trop de politique»? Une critique tellement minable qu’on pourrait lui rétorquer que lui, pour le coup, n’en fait pas assez (de politique) en prônant la «googlisation» technocrate des idées. Façon Wall Street. [BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 16 décembre 2016.]