République de Maurice. Bébés à vendre en vue d'adoptions

Publié le 23 juin 2008 par Zench

Adopter un enfant. Un rêve inatteignable pour certains. C'est ainsi que certaines familles, dans le besoin, vont jusqu'à vendre leurs enfants à des candidats à l'adoption. Des transactions qui s'élèvent à quelques dizaines de milliers de roupies. Enquête sur ce sordide commerce en République de Maurice.


 
Mala se souvient encore de ce jour de mars, lorsqu'un couple a frappé à la porte de sa maisonnette en tôle. Il avait fait le voyage de Rose-Hill à Roches-Noires pour lui demander une chose qu'elle n'aurait jamais crue possible : son enfant. Déjà mère de trois garçons et de quatre filles, Mala est alors enceinte de sept mois. « Ils m'ont fait comprendre qu'ils étaient prêts à payer pour que je leur donne mon fils à la naissance en échange d'argent. Ils m'ont même assuré qu'ils prendraient en charge tous les frais si j'accouchais dans une clinique », explique ce petit bout de femme, qui nous a accueillis chez elle en début de semaine.


 
Se séparer de son fils. Jamais. Mala les renvoie aussi sec, certaine de ne plus jamais revoir ces gens qui pensaient pouvoir acheter ce qu'elle a de plus cher. Mais elle s'était trompée. Ce couple est revenu à la charge, convaincu de pouvoir abaisser les défenses de cette mère avec un chèque en blanc. C'était il y a un an. Son fils, Krhsna, venait de fêter ses trois ans. « C'est vrai que j'ai beaucoup de mal à joindre les deux bouts, mais je préfère me priver et nourrir mes enfants, plutôt que de les vendre », soutient Mala, ulcérée par les pratiques de ce couple qu'elle a cette fois mis à la porte de chez elle.


 
Qu'à cela ne tienne, le couple n'aura pas à chercher bien loin pour trouver son bonheur. La rumeur que ces gens étaient à la recherche d'un enfant fait rapidement le tour de Roches-Noires et de ses environs. Une famille sans ressources mettra « en vente », quelques jours plus tard, l'une de ses trois filles, âgée de deux ans. L'on ne connaîtra pas la valeur de la transaction. Personne depuis n'a revu l'enfant.


 
Si tous sont au courant de cet épisode, rares sont ceux qui souhaitent en parler. Conciliant, un habitant de la localité nous confie que la mère de la fillette, veuve, était obligée de cumuler deux emplois – cueilleuse dans un champ de tabac et femme de ménage – pour subvenir aux besoins de sa petite famille. Et cela n'a pas toujours suffi. Tout comme Mala, elle constituait donc une cible facile pour tous les déçus de la filière « officielle » de l'adoption.


 
Comment certaines familles font-elles alors pour identifier ceux qui sont prêts à tout ou presque pour devenir parents ? Une mère adoptive raconte : « Alors que mon époux et moi faisions face à des difficultés dans nos procédures d'adoption, nous avons été approchés par un homme qui nous a discrètement fait comprendre qu'il connaissait un moyen de faire accélérer les choses. Désespérés, nous avons accepté de le rencontrer. Mais quand nous avons compris de quoi il s'agissait, nous avons immédiatement décliné son offre. »


 
Et pour cause, l'individu en question venait de leur proposer d'acheter un nourrisson, âgé de trois mois, à une famille du Sud qui était dans le besoin. Cette dernière avait retenu les services de cet intermédiaire pour leur trouver un acheteur. Le couple, selon lui, ferait d'une pierre deux coups : retirer un enfant de la misère et l'« adopter ». Car il ne s'agit pas tout à fait d'une adoption. En échange d'une certaine somme d'argent, la famille s'engage à ne jamais réclamer son enfant. Les prix, apprenons-nous, peuvent varier entre Rs 3 000 et Rs 70 000.


 
Les enfants vendus à des couples candidats à l'adoption n'ont, dans la plupart des cas, pas été déclarés à la naissance. « Les couples ciblent ces enfants, car ils pensent qu'il leur sera plus facile par la suite d'entamer des procédures d'adoption », explique un homme de loi, dont les services ont déjà été retenus par des « acheteurs ». D'autres, explique-t-il, parviennent à déclarer l'enfant en se faisant passer pour les parents biologiques.


 
Une mère a ainsi été arrêtée par la police il y a deux semaines après avoir vendu sa fillette de deux ans pour un peu plus de Rs 60 000. La police, qui est intervenue à temps, a permis de faire avorter cette transaction. Séparée de sa mère, la fillette a été placée dans un abri du ministère. Nous avons rencontré l'une des responsables du centre : « Heureusement pour elle, elle ne semble pas avoir réalisé ce qui lui est arrivée. C'est une fillette qui respire la joie de vivre et qui parle beaucoup. »


 
Tous n'ont pas cette chance. Cette situation peut paraître choquante, mais elle serait, selon un officier du National Adoption Council (NAC) , fréquente. Car même s'il n'existe aucune statistique sur le nombre d'enfants vendusà Maurice, on estimerait leur nombre à une dizaine chaque année. Une filière « parallèle » à laquelle tente de mettre fin le NAC.


 
Ces familles « vendeuses » recourent à des intermédiaires pour trouver des couples adoptifs. Et pour ce faire, ces intermédiaires rôdent autour des tribunaux, où ils tendent l'oreille afin de repérer des couples susceptibles de faire affaire. « Ils privilégient en particulier ceux qui se sont vu refuser leur demande », explique un officier de la brigade des mineurs, très au fait de la situation.


 
Une pratique courante que confirment des couples que nous avons approchés. « Ce business, si on peut l'appeler ainsi, a vu le jour à cause des énormes difficultés qu'ont certains couples à adopter. Les procédures sont longues, stressantes et ne sont pas toujours couronnées de succès », explique le policier. Et de rappeler le récent jugement rendu par une magistrate qui a refusé l'adoption à une Mauricienne mariée à un ressortissant français et cela malgré l'avis favorable du Parquet. Une preuve, s'il en faut, que l'adoption demeure un véritable parcours du combattant.

« Les prix varient entre Rs 3 000 et Rs 70 000. Les enfants vendus n'ont, dans la plupart des cas, pas été déclarés. »


Nos recherches nous mènent dans l'est de l'île, où les parents d'une adolescente de 19 ans, ont préféré vendre l'enfant de leur fille pour, semble-t-il, ne pas compromettre l'avenir de cette dernière. C'est ainsi qu'ils ont pris contact avec un intermédiaire pour trouver un acheteur. L'enfant sera finalement vendu à un couple marié de­puis 17 ans, sans enfant. Les « acheteurs » ont peu après entamé des pro­cédures d'adop­tion. « L'intermédiaire a bien entendu touché de l'argent dans cette affaire », explique un travailleur social, qui affirme être une connaissance de cette famille.


 
Mais un an plus tard, au moment où l'affaire était appelée en cour, l'intermédiaire aurait fait chanter le couple, exigeant une rallonge, faute de quoi il rapporterait aux autorités – de manière anonyme, cela va de soi – les conditions dans lesquelles se sont déroulées cette adoption. « Le couple a bien essayé de négocier, lui expliquant qu'il était très attaché à l'enfant, mais en vain. Les conditions étaient simples : ils devaient lui donner davantage d'argent, faute de quoi le père biologique de l'enfant ne signerait pas les documents nécessaires à la procédure d'adoption. Ils ont finalement dû payer Rs 10 000 de plus avant de pouvoir mener à terme les procédures », explique ce même travailleur social.


 
Le petit village de Poste-Lafayette résonne d'une histoire similaire. Un couple d'étrangers a proposé, il y a un an, à une mère enceinte de son huitième enfant d'acheter ce dernier pour Rs 3 000. Une proposition qu'a immédiatement acceptée l'époux. Scandalisés, les proches de la famille, qui ont fini par apprendre l'existence de cette transaction, ont fait pression sur le père pour qu'il revienne sur sa décision, faute de quoi ils le dénonceraient à la police. Trois mois plus tard, celui-ci s'est résigné à rendre l'argent avant de récupérer son enfant.
 

« Des intermédiaires rôdent autour des tribunaux pour repérer des couples susceptibles de faire affaire. »

 
Confrontés aux conditions de vie difficiles de certaines familles nombreuses et sans ressources, certains travailleurs sociaux participent parfois inconsciemment à ce phénomène qui s'étend un peu plus chaque année. « Ils sont victimes de leur bonne foi. Il arrive parfois que des gens se présentent à eux sous de faux airs de bons Samaritains et expliquent vouloir venir en aide à des familles nombreuses dans le besoin », raconte un travailleur social qui se fait appeler Kisto. Ils ne se rendent alors pas compte qu'ils aiguillent des intermédiaires qui essaient d'identifier des familles susceptibles de vendre l'un de leurs enfants.


 
Et d'ajouter : « Certaines personnes engagées dans le social sont parfaitement au courant de ces pratiques, mais préfèrent fermer les yeux. Elles y voient une occasion de sortir des enfants d'une misère extrême et de les confier à des couples qui ne demandent qu'à en prendre soin. »
 


Réduits à des « marchandises », que l'on négocie et pour lesquelles l'on exige parfois un rabais, ces enfants demeurent des proies faciles qu'il est souvent impossible de retracer. Devant la demande croissante de couples à la recherche d'enfant, certaines familles vont jusqu'à faire jouer la concurrence pour faire monter les enchères. Un commerce sordide que les autorités tentent par tous les moyens d'enrayer.


 
Comment adopter un enfant ?


 
 
Adopter un enfant, un "parcours du combattant" pour certains, une formalité pour d'autres. Les couples mariés voulant avoir un enfant à qui donner leur amour sont confrontés à de nombreuses épreuves avant que la justice n'intervienne pour que l'état civil leur donne ce droit. Et c'est la Cour suprême qui en décide. Mais avant d'en arriver là, les juges se penchent sur un seul aspect : agir dans l'intérêt et le bien-être de l'enfant.


 
Prendre un enfant issu d'un autre foyer sous le toit familial légalement quand on est Mauricien est simple, à en croire les autorités. « Vous prenez un avocat et vous passez en cour » était l'explication d'un officier du ministère de la Femme. Mais la réalité n'est pas si simple.


 
Car il faut affronter les enquêtes du Parquet, soit les services de la sécurité sociale. Ceux-ci travaillent sur un rapport que les officiers présentent en cour. Le contenu porte notamment sur le lieu où l'enfant sera élevé, la qualité de vie des parents adoptifs, et l'éducation que l'enfant pourra y recevoir. Au final, le juge décidera si oui ou non ceux ayant déposé la requête pourront adopter un enfant. Leur décision est d'autant plus difficile lorsque deux couples veulent adopter le même enfant, comme dans le récent cas du petit Tipo. Mais les démarches pour adopter un petit Mauricien lorsqu'on est étranger ne sont pas si simples. L'exode de la fin des années 80 y est pour quelque chose. Le National Adoption Council (NAC) voit le jour, et les règlements sont renforcés. Un étranger voulant adopter un enfant mauricien doit d'abord fournir des documents : certificats d'état civil et médicaux, rapport sur une enquête sociale menée par une agence reconnue, rapport sur les moyens financiers, extrait du casier judiciaire, certificat de moralité, titres de propriété, certificat attestant la stérilité, si c'est le cas, certificat désignant un tuteur en cas de décès des adoptants, certificats de naissance et de mariage des parents biologiques. Mais la liste ne s'arrête pas là. Il y a aussi les frais. Une somme de Rs 20 000 doit être déposée au NAC au cas où l'enfant ne s'adapterait pas à sa nouvelle vie. Cette somme est remboursable lorsque la déclaration d'adoption est proclamée par la Cour suprême. Sans oublier les frais d'application qui s'élèvent à Rs 5 000. Mais avant d'aboutir à une décision favorable, les adoptants doivent d'abord faire l'objet d'une enquête du NAC qui dure environ deux mois. Si la demande est rejetée, les adoptants ont 15 jours pour loger un appel en Cour suprême.


 
Source : L'Express Dimanche. 22 juin 2008 - No. 16559