Nous nous sommes ici souvent interrogés sur la distance entre les choses et nous, sur la place des objets, leur statut c'est-à-dire principalement leur position (forcément fluctuante) dans les relations humains/non-humains (un des sujets de la passionnante exposition Persona qui s'est tenu il y a peu au musée du Quai Branly).
À la veille de Noël, temps privilégié où les objets choisis avec coeur vont s'échanger, se jouent parfois au sein de certaines familles de "mini-potlatchs". Malgré les dettes financières qu'ils génèrent, l'important dans ces dons et contre-dons consiste à se donner et à se rendre des respects mutuels. Qui est l'acteur au sein de la fête ?... Ayons donc une pensée pour ces objets !
Parce que des choses sont de plus en plus connectées, qu'on les dit dynamiques (smartobjects), on arrive peut-être maintenant à saisir plus pragmatiquement ce qu'Antoine Hennion et Bruno Latour ont largement décrit dans leurs ouvrages de sociologie de l'action, et à appréhender plus particulièrement ce qu'il y a sous leur célèbre assertion : "Les objets font quelque chose, et d’abord ils nous font".(Hennion A. & Latour B., 1993, "Objet d’art, objet de science. Note sur les limites de l’antifétichisme". in Sociologie de l’art, L’Harmattan, 1993).
Le très stimulant séminaire de Thierry Bonnot auquel j'ai assisté hier (Objets en société : attachements, attaches, agency (agentivité). Autour de Bruno Latour, Alfred Gell, Antoine Hennion, etc.) m'a permis de repenser les objets en insistant sur l'importance des situations sans jamais les considérer comme des données fixes. Devant dépasser le dualisme objet/sujet (et c'est bien ce que l'étude des artefacts extra-occidentaux nous a toujours encouragés à faire), l'une des pistes que nous proposent ces auteurs est de s'intéresser aux attachements et surtout à s'engager à les qualifier.
Une tâche bien difficile que d'essayer d'étudier ces liaisons et leurs modalités.
Difficile de se défaire de nos préjugés sur l'humain et le non-humain... Un exemple intéressant et surprenant nous est donné par ces choses devenues des Tsukumogami. Ce sont à la base des objets du quotidien qui, abandonnés par leurs propriétaires, acquièrent au bout de 99 ans, une vie. Ils deviennent des êtres, animés souvent de malveillance envers les humains car ceux-ci les ont abandonnés.
Ces choses-êtres-limites étaient connus dans le folklore médiéval japonais. On les trouve dans les Otogizoshi de l'époque de Muromachi, un ensemble d'histoires courtes illustrées qui mettaient en scène des yokai (esprits ou fantômes). Les Tsukumogami sont des yokai particuliers dont les plus courants étaient des sandales de paille, des luths, des lanternes en papier, des vieux parapluies, des vieilles jarres de saké, des bouilloires... Tout un univers d'objets domestiques dont la biographie, passée leur centenaire, devient tumultueuse !
Un beau texte à lire... à méditer le jour où l'on voudra mettre ses cadeaux de Noël au rebut !
Le titre est emprunté à un sketch de Raymond Devos. À consommer sans modération :
Photo 2 : Sweet Harmonizer II, © Kenji Yanobe 1995, photo de l'auteure, exposition Persona, musée du Quai Branly, 2016.
Photo 3 : Extraite de l'article The Tsukumogami of Japanese Folkore sur le site.
Photo 4 : © Kyoto University Library, Otogizoshi.