" Personne, pas même quelqu'un muni d'une grande expérience, ne peut seul améliorer les choses en Allemagne, en Europe, dans le monde, et certainement pas le Chancelier de l'Allemagne. " (Essen, 6 décembre 2016).
Incontestablement, s'il fallait ne garder qu'une seule forte personnalité parmi les dirigeants du monde depuis le début du XXI e siècle, on hésiterait seulement entre Vladimir Poutine, "chef" de la Russie ("chef" puisque depuis le 31 décembre 1999, il a été alternativement Président et Premier Ministre de la Fédération de Russie) et Angela Merkel, Chancelière de l'Allemagne réunifiée depuis le 22 novembre 2005, soit plus de onze ans. Les deux personnalités ont la soixantaine passée et ont forgé une autorité incontestable tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de leur pays respectif.
Pour cette physicienne de l'Allemagne de l'Est, sous-estimée mais quand même encouragée par Helmult Kohl, Angela Merkel, l'air de rien, a réussi à établir une sorte de synthèse institutionnelle qui correspond bien à la mentalité allemande. Si, au contraire de Vladimir Poutine, Angela Merkel n'a pas été au pouvoir dès 2000, elle est quand même présidente de la CDU (l'Union démocrate-chrétienne allemande) depuis le 10 avril 2000, soit à peu près aussi longtemps que Vladimir Poutine est au pouvoir en Russie.
Lorsque le 20 novembre 2016, Angela Merkel avait annoncé devant les dirigeants de la CDU qu'elle briguerait un quatrième mandat aux élections législatives prévues en octobre 2017, personne n'avait vraiment été étonné, tant la classe politique allemande a peu de personnalités capables de lui succéder avec la même grandeur (pour le SPD, le futur ancien Président du Parlement Européen Martin Schulz semble s'y préparer). Ce fut même un soulagement. Entre parenthèses, on est donc très loin de cette pitoyable allocution télévisée du Président français François Hollande disant le 1 er décembre 2016 qu'il n'osait plus se représenter, tant il souffrait d'impopularité.
C'est donc tout à fait naturellement que la Chancelière allemande a demandé le renouvellement de son mandat à la tête de son parti, la CDU, lors du 29 e congrès à Essen ("manger" en allemand !). Le 6 décembre 2016, elle a donc été réélue triomphalement présidente de la CDU avec 89,5% des délégués. Même le score de François Fillon est ridicule par rapport à ce résultat.
Il faut noter que s'il elle ne dépassera probablement pas la longévité d'Helmut Kohl à la tête de la CDU (plus de vingt-cinq ans, du 12 juin 1973 au 7 novembre 1998), elle a déjà dépassé Konrad Adenauer (plus de 15 ans, du 21 octobre 1950 au 23 mars 1966).
Cette réélection n'était pas une surprise, là non plus, mais ce qui était intéressant, c'était le niveau d'approbation. Lors du précédent vote pour son précédent mandat de deux ans, Angela Merkel avait alors recueilli 96,7% des délégués le 9 décembre 2014 à Cologne, et le 4 décembre 2012 à Hanovre, elle avait même eu son record avec 97,9% ! Mais 2014 et 2012, c'était avant une sorte de rébellion contre sa décision d'accueillir un million de réfugiés syriens en Allemagne.
Lors du précédent congrès à Karlsruhe le 14 décembre 2015, Angela Merkel avait cependant réussi à retourner l'assemblée en sa faveur malgré ces contestations internes. Sa position lors de la crise des réfugiés lui avait d'ailleurs valu des résultats désastreux dans les récentes élections locales, tant le 13 mars 2016 que le 18 septembre 2016 où le parti d'extrême droite (AfD) a même fait son entrée dans les instances berlinoises et l'AfD atteint actuellement 10% dans les intentions de vote pour les prochaines élections législatives.
Sur ses trois gouvernements (en trois législatures), Angela Merkel a dirigé deux gouvernements de grande coalition, c'est-à-dire d'alliance entre les deux principaux partis de gouvernement généralement opposés, la CDU et le SPD, en raison de l'émiettement électoral qui empêche l'un de ces deux partis d'obtenir une majorité absolue de députés avec leurs alliés traditionnels (les Verts pour le SPD, les libéraux du FDP pour le CDU qui ont été laminés lors des dernières élections législatives du 22 septembre 2013).
Si elle s'est montrée inflexible lors de la crise de l'euro pour que chaque pays de la zone euro respectât scrupuleusement le pacte de stabilité, Angela Merkel a surpris par sa position sur les réfugiés. En définitive, elle a montré deux perspectives ; les moyens, l'orthodoxie budgétaire, pour atteindre la prospérité économique, et la finalité, pas pour s'enrichir forcément mais pour, le cas échéant, être suffisamment fort pour secourir ceux qui en auraient besoin, reprenant en cela les valeurs profondes de l'Europe, les valeurs chrétiennes que beaucoup veulent mettre en devanture et dont bien peu veulent tirer les conséquences sur le plan politique concret.
En ce sens, Angela Merkel devrait être considérée comme bien plus "progressiste", "sociale" que des gouvernements qui se revendiquent "de gauche" comme ceux de François Hollande, quand on pense que la France ne s'est engagée que sur l'accueil d'une trentaine de milliers de réfugiés, soit moins d'un réfugié par commune, soit moins d'une famille pour un quart ou un cinquième des communes.
Favorable à l'interdiction du voile intégral ( " là où c'est juridiquement possible "), elle a réaffirmé très fortement les valeurs de l'Europe et de l'Allemagne : " Le droit allemand prévaut sur la charia ! ".
Dans son discours à Essen le 6 décembre 2016, Angela Merkel a reconnu qu'il ne fallait pas renouveler l'arrivée massive de réfugiés de l'année 2015 (900 000 sont venus s'installer en Allemagne) : " Une situation comme celle de l'été 2015 ne peut et ne doit pas se répéter ! " mais elle a refusé de fixer un "plafond" de 200 000 nouveaux réfugiés chaque année.
Comment le Président de la République François Hollande a-t-il pu laisser se développer l'angoisse, réelle du reste parmi le peuple, d'une sorte d'invasion, de "grand remplacement" (une expression particulièrement minable et nauséabonde), alors que la France est un pays de 66 voire 67 millions de nationaux ?
C'est d'ailleurs sur cette peur que le Front national de Marine Le Pen a pu autant progresser ces dernières années, prenant pour fonds de commerce la peur de l'étranger (xénophobie) et la peur des musulmans (islamophobie), sachant qu'il existe non pas des "musulmans de France" (expression indigeste) mais des Français musulmans (tout simplement).
Indiscutablement, et c'est cet argument qu'elle fera valoir pour justifier la poursuite de son combat électoral dans les mois à venir, Angela Merkel est un pôle de stabilité assez rassurant dans ce monde si mouvant et si incertain, alors que David Cameron, Matteo Renzi, bientôt Barack Obama et François Hollande ont quitté ou vont quitter le pouvoir, parfois pour laisser place à des personnalités particulièrement imprévisibles et anxiogènes, comme Donald Trump.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (15 décembre 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Angela Merkel, l'honneur de l'Europe de la solidarité.
Hans-Dietrich Genscher.
Dix infographies sur les dix années au pouvoir d'Angela Merkel.
Le décennat de la Bundeskanzlerin.
Vidéos sur Helmut Schmidt.
La Réunification de l'Allemagne.
L'amitié franco-allemande.
Helmut Schmidt.
Helmut Kohl.
Angela Merkel.
Joachim Glauck.
Angela Merkel et François Hollande à Strasbourg.
Les risques de la germanophobie.
Martin Schulz.
Jean-Claude Juncker.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20161206-merkel.html
http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/angela-merkel-l-honneur-de-l-187504
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/12/15/34684780.html