Jour 13/24 : Charles Bukowski - Le postier
Extrait : Le chef était un pète-sec nommé Jonstone. On avait besoin d'aide là-bas et j'ai compris pourquoi. Jonstone aimait porter des chemises rouge foncé - et ça voulait dire danger et sang. On était 7 sups [= agents suppléants] - Tom Moto, Nick Pelligrini, Herman Stratford, Rosey Anderson, Bobby Hansen, Harold Wiley et moi, Henry Chinaski. On commençait à 5 heures du matin et j'étais le seul ivrogne du lot. Je buvais toujours jusque bien après minuit, et à 5 heures du matin, fallait être assis là, à attendre du boulot, attendre qu'un titulaire se fasse porter malade. Les titulaires se faisaient porter pâles généralement quand il pleuvait ou pendant une vague de chaleur ou le lendemain d'un jour férié quand le volume de courrier était le double de d'habitude.
Il y avait 40 ou 50 tournées différentes, peut-être plus, chaque casier de tri était différent, y'avait jamais moyen d'en apprendre aucun, fallait classer le courrier avant 8 h du matin et être prêts pour les camions, et Jonstone n'acceptait aucune excuse. Les sups classaient leurs magazines au coin des rues, sautaient leur déjeuner et mouraient dans la rue. Jonstone nous faisait commencer à classer nos tournées avec 30 minutes de retard - il pivotait dans son fauteuil avec sa chemise rouge - "Chinaski tu prends la tournée 539 !" On commençait une demi-heure en retard mais on était quand même censés préparer et distribuer le courrier et rentrer à l'heure. Et une ou deux fois par semaine, déjà bien vannés, lessivés, entubés, fallait encore faire les levées de nuit, et l'horaire sur la feuille de route était impossible à tenir - le camion n'allait pas aussi vite. Fallait sauter quatre ou cinq boîtes sur le premier parcours, et la fois d'après elles étaient bourrées de courrier, et on puait, on pissait la sueur en bourrant les sacs. Pour baiser, ça j'étais baisé. Jonstone y veillait.