La guerre du bois entre le Canada et les Etats-Unis

Publié le 13 décembre 2016 par Infoguerre

L’industrie du bois est un sujet d’affrontement qui dépasse le cadre strictement concurrentiel. Dans une lecture au premier degré, elle met aux prises différentes parties prenantes telles que les entreprises, les autorités administratives et les défenseurs de l’environnement. Mais le dessous des cartes révèle d’autres jeux d’acteurs, plus difficiles à déchiffrer et qui peuvent masquer des enjeux d’ordre géoéconomique.

Le cas d’école canadien

Au cours des dernières années, l’industrie forestière canadienne a connu un déclin cyclique particulièrement important, qui s’est ajouté aux changements structuraux survenus dans les marchés mondiaux. En réaction à ces difficultés, l’industrie forestière a commencé à trouver de nouveaux secteurs de commercialisation tels que les matériaux de construction ou les biocarburants.
En 1998, la question de l’environnement est mise en exergue par le film L’erreur boréale sur la déforestation du grand nord canadien. Ce document déclenche un électrochoc dans l’opinion publique québécoise qui se sentira profondément touchée par le message qu’il véhicule. Cet effet de résonance a incité les pouvoirs publics de la province à légiférer en la matière.  Le gouvernement du Québec a mis sur pied en 2003 la Commission Coulombe, pour faire état de la gestion de la forêt publique au Québec. Le pays à la feuille d’érable va alors se poser comme leader sur les techniques de « coupe écoresponsable » c’est à dire permettant de reboiser et d’exploiter la forêt via des procédés spécifiques.
Le bois est le seul matériau de construction qui soit certifié de façon indépendante. La certification forestière s’est développée rapidement à partir de 2000 avec l’adhésion des industriels à la norme ISO 14001. Le Canada a plus de terres forestières certifiées que n’importe quel autre pays, avec plus de 40% de toutes ses terres. La certification forestière par un tiers (auditeur indépendant) permet de vérifier que les produits de bois sont de sources légales et proviennent de forêts aménagées de façon durable.
Il s’agit d’un processus volontaire d’encadrement qui vise à démontrer que les entreprises qui l’adoptent ont des pratiques forestières respectueuses de l’environnement, qu’elles s’assurent du renouvellement des arbres, et qu’elles aménagent les forêts selon des principes de développement durable.

L’importance du bois pour l’économie québécoise

L’industrie forestière est le premier secteur manufacturier au Québec en termes d’emploi direct avec 60 000 emplois. L’entreprise Résolu Produit Forestier est leader dans l’exploitation et la création de papier. Résolu est le troisième plus gros groupe papetier en Amérique du Nord, le huitième groupe à l’échelle mondiale, et le premier au Canada. La firme emploie plus de 8000 personnes et ses usines se trouvent sur 3 continents. Son bénéfice net pour le premier trimestre 2016 s’élève à 14 milliards de dollar. Résolu a reçu de nombreux prix sur ses coupes de bois dites « écoresponsable » et était depuis 2014 l’entreprise ayant le plus de certification FSC (Forest Stewardship Council). Cependant cette victoire n’était pas gagnée d’avance., Résolu est issue de la fusion des entreprises Abitibi et Bowater en 2007, qui ont notamment été liquidées à cause de leur mauvaise réputation liée à leur pratiques désastreuses de  coupe de bois.
Résolu a réussi en peu de temps à remonter la barre et à se placer comme leader « Écologiquement certifié » participant ainsi à faire du Québec la région de référence en la matière. Cette reconnaissance a été rendue possible notamment grâce à l’action de son président Richard Garneau nommé en 2011. Comptable de formation, cet homme qui est né et a grandi dans la région des grands lacs connaît parfaitement cette zone. Cela explique la volonté du président à ne pas se laisser abattre par les attaques de Greenpeace, ce qui aurait pu être différent si le CIO avait été composés de membres natifs d’autres pays.  Malgré cette posture de bon élève, Résolu se retrouve depuis plusieurs années dans la ligne de mire des écologistes notamment du géant vert Greenpeace.

Le conflit informationnel entre l’entreprise canadienne Résolu et Greenpeace

Résolu est affaiblie depuis plusieurs années par une campagne menée de front par Greenpeace Canada qui lui reproche de nuire au Caribou Forestier,  de couper du bois hors de la zone réglementaire (cf. pièce jointe) et de porter atteinte aux droits des peuples autochtones.  Greenpeace est une Organisation Non Gouvernementale Internationale (ONGI) fondée en 1971 à Vancouver au Canada et présente aujourd’hui dans plus de 40 pays. Au départ, elle luttait contre les essais nucléaires opérés par les États-Unis mais s’est très vite diversifiée et est aujourd’hui le porte-parole de toutes les causes environnementales. Greenpeace n’est pas comparable à une ONG, mais plutôt à une vraie entreprise générant plus de 500 millions de dollars par an et possédant de nombreux moyens, aussi bien techniques qu’humains.  Elle est connue dans le monde entier pour mener des actions coup de poing contre des gouvernements ou des firmes qu’elle accuse de dégrader la nature. Beaucoup de multinationales sont tombées des suites des opérations menées par le géant vert.
Tel est le cas de la société Kimberly, connue pour commercialiser le produit « Kleenex » qui s’est vu affaiblie par la campagne du géant vert à son encontre et qui après avoir perdu de nombreux clients s’est vue imposer de nouvelles techniques de production. Ainsi opère Greenpeace, en s’en prenant directement aux clients des firmes visées en menant des opérations de grande envergure auprès des consommateurs.
Rien n’est trop beau (ni interdit ?) pour sauver la planète. Cependant réduire une cause à un slogan peut s’avérer fatal et véhiculer de mauvaises, voire de fausses informations auprès du grand public. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’ONG se retrouve aujourd’hui sur le banc des accusés face au géant du papier Canadien. Greenpeace et Résolu sont en conflit ouvert depuis de nombreuses années avec comme point d’orgue la citation en justice de Greenpeace par Résolu l’été dernier. La plainte allègue des réclamations en vertu des lois fédérales et des lois étatiques sur les organisations motivées par le racket et la corruption (RICO) ainsi que des réclamations en vertu des lois étatiques pour diffamation, ingérence délictuelle et violation de marques de commerce.
Cette bataille médiatique inclut d’autres acteurs dont FSC, la norme de certification du bois mondialement reconnue. Cependant l’indépendance de la FSC est remise en question à cause des liens de cet organisme avec Greenpeace ainsi qu’avec l’ONG Stand (autrefois ForestEthics) et des entreprises américaines concurrentes de Résolu.
Il convient également d’évoquer un autre acteur, plus discret : « L’entente sur la forêt boréale canadienne (EFBC) », qui vise à réconcilier l’industrie forestière et les organismes de défense de l’environnement au Canada. Il s’agit de la plus importante initiative de conservation dans le monde. Cette entente signée en 2010, doit marquer le début d’une nouvelle ère pour la conservation et la gestion des ressources naturelles. Greenpeace, qui en fut membre, quitte l’entité en 2012, n’y trouvant plus sa place. C’est la même année que les attaques contre Résolu commencent. Pour certains, Greenpeace n’était plus prêt à jouer le jeu depuis longtemps, se refusant à vouloir trouver un terrain d’entente entre industriels et ONGI. Il s’agit donc ici d’un vaste échiquier sur lequel s’affrontent plusieurs acteurs, aussi bien économiques,  politiques, et sociétaux.

Un affrontement en deux temps

C’est en 2012 que le premier conflit avec Greenpeace éclate. Ce dernier dépêche une équipe dans le grand Nord canadien et accuse l’entreprise de couper du bois en dehors de la zone autorisée. Mais ces accusations sont fausses et la Cour condamne Greenpeace qui devra alors présenter des excuses publiques.
Cela n’empêche pas Greenpeace de porter de nouvelles accusations quelques mois plus tard. Elle reproche cette fois à l’entreprise de porter atteinte à l’environnement du Caribou Forestier, qui ne peut se reproduire dans des zones déboisées. Considéré comme l’espèce emblématique de la forêt boréale, le caribou est à lui seul un écosystème, particulièrement fragile au changement de son habitat. La question est encore aujourd’hui d’actualité.
En avril 2016 le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Laurent Lessard, a présenté un plan d’action du gouvernement du Québec visant à préserver l’habitat naturel du caribou. Mais cela déplait à l’industrie car elle perd de nombreux territoires de coupe, notamment celui des montagnes blanches. A cette problématique s’ajoute la question du droit des autochtones, notamment la tribu des Cris, présente dans la région des Grands Lacs.  Il faut savoir que le Canada a une histoire particulièrement sensible concernant les autochtones, qui ont subis de graves traumatismes. Couper du bois dans une zone où résident des autochtones devient alors non plus un affrontement entre une entreprise privée et une ONGI mais prend des proportions politiques, faisant intervenir d’autres acteurs.
En effet, l’entreprise Résolu se défend en arguant qu’elle ne fait que scier là où le gouvernement l’y autorise, et qu’elle n’a donc, par ricochet, rien à voir dans le problème lié à la situation des autochtones. Cependant, le conseil des Cris et Greenpeace déposent des plaintes contre l’entreprise, ce qui a pour conséquence la perte de la certification FSC de l’entreprise sur plusieurs territoires.

La certification FSC

Le Forest Stewardship Council (FSC) a été créé par des compagnies forestières, des syndicats, des gouvernements et des écologistes dont Greenpeace. C’est une entité qui a établi des principes et critères pour toute l’industrie, des normes qui sont suivies partout dans le monde. Elle n’est pas la seule opérant en la matière, la norme CAS Canada étant considérée comme l’une des plus légitimes, mais elle ne bénéficie pas de la même publicité que FSC.
Or, il faut savoir que Résolu a été le contributeur le plus important de FSC Canada au fil des années, ce qui a contribué à la légitimité de la norme.
Les principes et critères du Forest Stewardship Council sont les suivants :
•    respecter toutes les lois et tous les traités internationaux;
•    maintenir ou améliorer les conditions des travailleurs et des communautés locales;
•    assurer la viabilité économique à long terme de la forêt;
•    reconnaître et respecter les droits autochtones;
•    maintenir la diversité biologique de la forêt.

L’un des combats de FSC se trouve être le droit des autochtones, et en refusant, ou toutefois en se dédouanant du problème, Résolu à perdu un grand nombre de ses certifications.  Cependant cette norme qui garantit l’exploitation responsable des forêts est exigée par de nombreux grands acheteurs de papier dont BestBuy, le géant américain du détail.  Ce dernier aura longtemps été un client de Résolu, mais en 2014 l’entreprise qui faisait imprimer ses dépliants sur du papier Résolu, a annoncé qu’elle ne s’approvisionnerait plus auprès des usines de Résolu au Lac-Saint-Jean à cause d’une campagne virulente menée par Greenpeace.
Résolu reproche au FSC son manque d’indépendance, étant donné l’implication de Greenpeace dans son fonctionnement.  Une médiation a été entreprise fin 2015 entre FSC et Résolu mais a été abandonnée en février 2016, FSC reprochant la mauvaise foi persistante de l’entreprise.  Des travailleurs de la papeterie d’Alma ont fait les frais de cette décision, lors de la fermeture d’un des trois moulins à papier de leur usine. Résolu a attribué, en partie, cette fermeture à la perte du contrat avec Best Buy. C’est alors la communauté politique qui réagit. En effet, les maires de la région décident de former une coalition appelée Alliance Forêt Boréale et qui réunit un ensemble de membres du secteur forestier. Ainsi Résolu est soutenue par la classe politique locale.
Cela va encore plus loin car le premier ministre québécois de l’époque, Philipe Couillard, prend lui aussi part au débat en déclarant en mars 2015 que Greenpeace devait changer son modus operandi.
Le gouvernement déclare alors la guerre à Greenpeace, qu’il accuse de « désinformation » en faveur des concurrents du Québec. Face à cet appel, la filière canadienne de l’ONG déplore un manque de compréhension de ses actions et de ses causes de la part de la classe politique. Elle reproche également au gouvernement de refuser systématiquement de rencontrer les responsables de l’ONG.

Un fort impact sociétal

Les attaques de Greenpeace à l’encontre de Résolu ont eu un fort impact auprès de la société québécoise. La majeure partie de l’opinion publique se range du côté de l’entreprise. Un documentaire intitulé L’Homme qui plantait des écologistes diffusé le 24 mars 2016 à la télé canadienne montre du doigt les pratiques peu scrupuleuses de Greenpeace.
Le représentant de Greenpeace Canada, Nicolas Mainville, apparaît plusieurs fois dans le reportage et donne son avis sur la firme québécoise. Pour lui, il ne fait nul doute qu’elle participe à la déforestation du Grand Nord Canadien. La diffusion de ce reportage aura eu de nombreuses conséquences.
En aout 2016, Nicolas Mainville quitte Greenpeace. Ce dernier, qui continue à poster régulièrement sur les réseaux sociaux des photos et vidéos sur l’état de la forêt canadienne, pointe du doigt les autorités locales qui selon lui sont du côté des industriels et participent de facto à la déforestation. Une plainte a été déposée contre Radio Canada, le télédiffuseur local. La plaignante, Jena Webb, reproche notamment le parti pris trop prononcé des journalistes à l’encontre de Greenpeace et le manque de femmes dans le reportage. Notons à ce propos que Mme Webb aurait des liens très étroits avec Nicolas Mainville (cf. page facebook forum boréal).
Greenpeace et Résolu se reprochent mutuellement d’avoir recours à la désinformation. Ainsi, lors d’un reportage filmé par Greenpeace, celui-ci montre des photos de la forêt canadienne (voir photos en Annexe) après le passage de firmes industrielles, dont Résolu. On y voit alors un paysage catastrophique. Or, preuve scientifique à l’appui, Résolu répond qu’il s’agit d’un détournement d’images puisqu’il s’agissait de photos montrant en fait des forêts qui ont été dévastées par le feu avant que l’industrie ne vienne y récupérer des arbres déjà morts.

L’affrontement informationnel devient juridique

L’affrontement entre Greenpeace et Résolu est à ce jour l’affaire des tribunaux. En septembre dernier, le juge américain a rejeté l’un des motifs de la plainte de Résolu pour diffamation, ce qui laisser planer le doute quant à l’issue du procès.
En outre, d’après des sources proches du dossier, il semblerait que les avocats de Greenpeace aient demandé à avoir accès aux échanges électroniques entre l’entreprise Résolu et l’alliance politique Forêt Boréale afin de démontrer l’implication du gouvernement québécois dans l’affaire. Le capital sympathie de Greenpeace n’aura donc pas fonctionné au Québec, qui continue à se battre, là ou d’autres entités auront abdiqué face au géant écologiste.
Résolu n’est pas pour autant exempt de tout reproche. Bien qu’elle soit certifiée par divers organismes écologistes, la société a fait comprendre son hostilité vis à vis des nouveaux territoires de coupes décidées par le gouvernement québécois.
En effet, le gouvernement a pris différents décrets afin d’interdire la coupe de bois dans certaines zones (notamment celle des montagnes blanches) afin de protéger l’habitat du Caribou. Mais cela met résolu dans une situation difficile car cette zone est non seulement riche en bois de qualité mais est génératrice d’emplois.
Car outre Greenpeace, Résolu doit également faire face à la concurrence, notamment américaine.
En termes de valeur, le conflit du bois d’œuvre entre le Canada et les États-Unis est la plus importante guerre commerciale au monde, et le Québec est directement touché, plus durement que l’Ouest canadien. En 35 ans, c’est la cinquième fois que le Canada et les États-Unis sont en conflit ouvert sur le bois d’œuvre. Les États-Unis estiment que l’industrie québécoise est subventionnée et que la concurrence est de ce fait déloyale. Les tribunaux internationaux ont cependant donné raison au Canada. À la suite du dernier litige, le Québec s’est doté d’un nouveau système de mise en marché du bois qui permet à la fois de mieux gérer la ressource et de rendre ses pratiques conformes aux exigences américaines. Mais cela n’a pas empêché l’Ontario d’avoir perdu plus de 26 000 emplois depuis 2006, en raison de l’entente sur le bois d’œuvre américain, mais aussi à cause de la crise économique.
Une taxe frappera sous peu l’entrée des produits forestiers étrangers aux Etats-Unis, ce qui aura pour conséquence de pratiquement éjecter du marché américain l’industrie québécoise, or 60 % du bois d’œuvre québécois est exporté aux États-Unis. Des négociations ont eu lieu l’été dernier entre les Etats-Unis et le Canada mais n’ont pas abouti à de réelles avancées. Le premier ministre canadien Justine Trudeau et Barack Obama continuent à camper sur leurs positions.  L’élection de Donald Trump à la présidence américaine, conservateur pure souche, laisse à penser que le conflit entre les deux géants du papier n’est pas prêt de se terminer.

Anaïs Cospain