Magazine Société

Les solitudes profondes, de Romain Debluë

Publié le 12 décembre 2016 par Francisrichard @francisrichard
Les solitudes profondes, de Romain Debluë

Mainte fleur épanche à regret

Son parfum doux comme un secret

Dans les solitudes profondes.

Charles Baudelaire

Telle est l'épigraphe du roman Les solitudes profondes de Romain Debluë. Ces trois vers constituent le deuxième tercet d'un sonnet qui figure dans le recueil Spleen et idéal des Fleurs du Mal. Ces vers sont particulièrement bien choisis pour introduire et, en quelque sorte, résumer le propos du livre.

Ainsi n'est-il pas fortuit que l'héroïne du roman se prénomme Florine, fleur parmi les fleurs, née, explique son créateur, dans les ultimes années d'un siècle qui se pensait capable de fossoyer Dieu à la force dérisoire des bras concordants de la multitude des passagers du temps.

Les parents de Florine sont bien de cette fin de siècle en ces termes décrite:

- son père, Pollicène Descalyces, était de ceux qui, croyant tout savoir, ne croyaient en rien d'autre;

- sa mère, Jeanne Clémence Descalyces, née Nécens, appartenait à cette étrange race de chrétiennes à hélice qui, confondant sans complexe ni angoisse les brumes humides de leurs chimères subjectives avec les nitescentes nuées de la Vérité, n'étaient pas loin de considérer l'Évangile comme un aimable manuel de savoir-vivre dont on pouvait entourer en jaune les préceptes les plus sympathiques; et s'empresser d'ignorer tout le reste.

Dans ces conditions rien ne prédisposait Florine à avoir une vie intérieure, d'autant que la catéchèse qu'elle avait suivie dès l'âge de trois ans lui avait été dispensée par une rosière de fête foraine qui possédait à peu près autant de science théologique et de charisme qu'une gargouille de Notre-Dame.

Il fallut que la grande musique s'insinue dans son existence, avec patience, discrétion, mais aussi régularité et obstination, pour qu'elle puisse accéder un jour à la vie spirituelle. Et ce fut par la grâce de la Messe en si de Jean-Sébastien Bach, entendue dans une église surchauffée, un samedi soir d'octobre humide, à l'âge de douze ans:

Bien que n'entendant pas un traître mot de latin, elle ne put s'empêcher de suivre, tout au long du Credo, les étapes d'une profession de foi qu'elle n'avait fait qu'effleurer du bout de l'âme et qui soudain lui apparaissait dans la radieuse luminescence d'une inexplicable évidence.

Dès lors l'auteur raconte l'épanouissement de cette belle âme, au contact de son amie, Huguette Duverney, en tous points dissemblable à elle - il n'y a pas plus matérialiste que celle-ci, ce qui la désole -, mais en compagnie de laquelle elle peut avoir des conversations qui ne sont pas le lot ordinaire des filles de leur âge.

Cette amitié rare ne va cependant pas sans disputes, suivies de réconciliations. Amitié se poursuivant, Huguette se propose de faire l'éducation de Florine, plus spécifiquement l'éducation dont elle estimait Florine privée par un père insignifiant et une mère bégueule. Mais son influence va être mise en concurrence avec celle du Père Lucien Fereau.

Le Père Fereau est le nouveau curé de la paroisse de Florine. Ce prêtre spectral, lors de leur premier face-à-face, lui [a] inspiré un irréfragable sentiment d'horreur. Puis elle a fini par se dire que ce prêtre n'était peut-être que l'intimidante figure de l'autorité intellectuelle qu'elle cherchait depuis de longues années déjà, tout en craignant de la rencontrer.

Le livre est dès lors le récit de la lutte de ces deux influences sur l'esprit de Florine. Sous celle d'Huguette, Florine s'éveillera à la sensualité, sous celle de l'abbé Fereau, à la vie mystique. Et l'auteur convoque le lecteur à leurs débats à fleurets, qui ne sont pas toujours mouchetés et qui conduisent l'héroïne à de grands moments de solitude existentielle.

La langue de Romain Debluë est soutenue; le vocabulaire, qu'il emploie, est enrichi de mots rares et précieux, oubliés ou tombés en désuétude; ses phrases sont souvent très amples et très construites; les idées qu'il agite demandent au lecteur de ne pas relâcher son attention; les propos ou les pensées qu'ils prêtent sont parfois féroces:

De quelque talent sans doute en matière d'évangélique caquetage à destination d'un public en couche-culottes, cette oblongue radasse n'était jamais parvenue à faire résonner à ses oreilles la moindre parcelle d'intelligence, voire la moindre preuve d'une quelconque activité neuronale, modérée certes mais cependant existante.

Un régal pour amateurs exigeants...

Francis Richard

Les solitudes profondes, Romain Debluë, 276 pages Editions de l'Aire


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Francisrichard 12008 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazine