La sanglante généalogie des vampires au cinéma

Publié le 02 janvier 2014 par Cassanco

Cinéphile raffiné, esthète érotomane, dandy nipophile Stéphane du Mesnildot écrit aux Cahiers du cinéma, tient un beau blog sous le beau titre Journal de l’année des treize lunes (première mouture ici, deuxième ici), publie compulsivement sur sa page Facebook de splendides images dont l’inspiration oscille entre romantisme noir et érotisme raffiné… Rien d’étonnant à ce qu’il s’intéresse aux vampires. Troublantes incarnations d’un désir insatiable, ces livides créatures aux lèvres rougies de sang dont les ombres flottent pour l’éternité entre le monde des morts et celui des vivants ont investi les plus envoûtantes régions de la littérature romantique.

Dans le cinéma, elles font leur première apparition chez Murnau, en 1922, dans Nosferatu, mais dans Le Miroir obscur, bel ouvrage récemment paru aux éditions Rouge profond, Stéphane du Mesnildot fait remonter leur présence aux films scientifiques les plus primitif, et au bestiaire « exotique et répulsif » qui y proliférait, « aux salamandres néoténiques au Mexique, aux protistes, aux bombyx et autres animaux transparents qui hantent les profondeurs des océans« .

Parfait pour vous accompagner durant les longues soirées d’hiver, cet ouvrage splendidement illustré s’ouvre par un court texte à la première personne, d’une plume raffinée, délicieusement vampirique – manière élégante de vous mettre en condition pour le voyage. « J’ai rôdé incognito parmi ces acteurs fardés, aux visages de craie, aux cheveux brillantinés et aux boucles peintes; j’ai étreint ces femmes aux regards lourds et aux lèvres goules, à la chair molle et maladive. J’ai pu me dissimuler parmi ces imitations d’être humains au jeu un peu raide : coquettes, danseuses, apaches, banquiers, notaires, policiers… Davantage que noir et blanc, ce monde était charbonneux et blafard, ce monde était le mien, de toute éternité ».

Et de vous annoncer le programme : une esquisse la généalogie sur grand écran de ces créatures des profondeur, qui révèlera en retour la nature vampirique du cinéma :  » Un écrivain irlandais, Joseph Sheridan Le Fanu, disait que pour rejoindre le territoire des démons de la nuit, des fantômes et des vampires, il fallait regarder à travers les ténèbres d’un miroir. Le cinéma des vampires, même s’il se teinta de rouge Hammer, fut ce miroir obscur« .

Vous entrerez ensuite de plain-pied dans la matière, avec le Dracula de Coppola un film dans lequel, en convoquant toute une lignée du vampire au cinéma, (de Bela Lugosi à de Christopher Lee, du Nosferatu de Murnau à Vampyr de Dreyer, du baroque de la Hammer à l’adaptation du roman de Bram Stoker jamais réalisée par Orson Welles…), l’auteur du Parrain plonge aux origines de son art.

Le livre se referme avec le même Coppola, sur une évocation de son bouleversant Twixt et des eaux brumeuses vers lesquelles la jeune vampire V, jouée par Elle Fanning, entraînait irrésistiblement le cinéaste et son alter ego Hall Baltimore (Val Kimler) — eaux brumeuses qui rappellent celles de Dementia 13, son premier long-métrage, tourné en 1963 dans les studios de Roger Corman. Entre ces deux films, un sinueux et non moins savoureux parcours vous conduira du Dracula de Browning à La Momie de Carl Freund, du gothique trash de Warhol et Morissey (Du Sang pour Dracula, Chair pour Frankenstein) aux Prédateurs de Tony Scott, d’Inauguration of the pleasure dome de Kenneth Anger à The Addiction d’Abel Ferrara…

Cette manière de casser les frontière, généralement très hermétiques, entre cinéma commercial, cinéma d’auteur et cinéma underground, n’est pas le moindre des mérites de ce joli livre. Ignorant superbement ces catégories les vampires de Stéphane du Mesnildot révèlent au contraire les canaux secrets par lesquels elles n’ont jamais cesser de se contaminer, de secrètement s’influencer. Ce faisant, ils enrichissent la grande histoire de nouveaux récits épiques venus des marges.

Comme celui Cuadecuc vampir, du cinéaste expérimental espagnol Pere Portabella, tourné avec une « pellicule pour bande-son qui élimine les gris intermédiaires« , sur le plateau d’un autre film en train de se faire, El conde Dracula, une nouvelle adaptation du roman de Stoker par Jess Franco, avec Klaus Kinski. Ce film, « le plus grand film expérimental vampirique » selon Stéphane du Mesnildot, accomplit, de son point de vue, le fantasme des cinéastes qui travaillent le found footage : « être là au moment du geste inaugural et toucher du doigt l’origine des images« .

Stéphane du Mesnildot est l’auteur de plusieurs autre livres : Jess Franco, Energies du fantasme (Rouge Profond, collection Raccord, 2004), La Mort aux Trousses (Cahiers du cinéma, collection Petits Cahiers, 2008),  Fantômes du cinéma japonais (Rouge Profond, 2012).