Vézelay, alchimie d’une bière

Publié le 15 juin 2012 par Goure

L’idée, dit-il, est née dans les brumes écossaises, un jour de décembre 2010. Marc Neyret, ex directeur des ressources humaines chez France Telecom, avait 45 ans, pas mal d’argent, et l’envie de faire autre chose de sa vie. Il était venu marcher dans les Highlands, a aimé la bière qu’il y buvait, est allé rencontrer le brasseur qui la fabriquait et a décidé de se lancer à son tour dans l’aventure.  Où ? dans le Morvan où il vit désormais et au pied de Vézelay, dont le nom est à lui seul un atout.

Ex-DRH, Marc Neyret s'est fait brasseur. © Antonin Sabot / LeMonde.fr

A la même époque, un petit bout de jeune femme tout juste  diplômée d’Agro, Eugénie Maï-Thé, née de parents vietnamiens arrivés en France dans les années 80, se passionne pour la fabrication de la bière. Elle cueille du houblon au bord du Loing, en Seine-et-Marne, commande sur internet des cuves en inox, des réchauds et du malt, récupère des bouteilles en verre et installe une micro-brasserie dans la cave de la maison familiale. Aidée de deux amis, la jeune ingénieure-agronome qui est spécialisée dans les processus de fermentation, consacre tout son temps libre à faire des essais de bière, à tester différentes céréales, à mélanger les houblons. « Ma préférée, je l’avais appelée n05, comme le parfum de Chanel », se souvient-elle. Par le réseau des anciens d’Agro, elle répond à l’automne 2011 à l’annonce de Marc Neyret, qui cherche une responsable de production.

Pendant quelques mois, Marc Neyret et Eugénie Maï-Thé sont hébergés au premier étage de l’hôtel d’entreprises d’Avallon. L’aventure fait un détour par l’Allemagne. A une entreprise familiale bavaroise, Kaspar-Schulz, forte de 350 ans d’expérience dans le métier de la brasserie, Marc Neyret commande ses cuves et sa salle de brassage. Pour le malt, il fait appel à une autre entreprise allemande tout aussi réputée, la maison Weyermann. De son côté, Eugénie met au point ses recettes avec des maîtres-brasseurs allemands. La chaîne d’embouteillage vient d’Italie. Et le tout donne naissance, au printemps 2012, à une bière « made in France », 100% bio, sans sucre ajouté, ni filtrée, ni pasteurisée, brassée au pied de la colline de Vézelay.

Jeune diplômée d'agronomie, Eugénie Maï-Thé a conçu deux bières, une blanche et une blonde. © Antonin Sabot / LeMonde.fr

Le vaste bâtiment construit en bois du Morvan est posé dans un champ à la sortie du village de Saint-Père, entre une ferme et une base de loisirs. Depuis le début de la mise en production, Alain, l’éleveur voisin, vient récupérer chaque jour la « drèche » – le résidu du malt – pour ses vaches laitières. « Elles sont déjà accro, elles en raffolent », dit-il. Dans un cliquetis régulier, les premières bouteilles de verre roulent sur le tapis, s’habillent de leur étiquette – un grand V comme Vézelay – avancent vers les tireuses à bière qui les emplissent, se coiffent d’une capsule et glissent ainsi parées jusqu’aux cartons prêts à être livrés. Devant des cuves en inox étincelantes, Eugénie surveille, concentrée, l’écran d’un ordinateur sur lequel s’affiche des schémas compliqués et des colonnes de chiffres.

Dans moins de deux semaines, les bières de la Brasserie de Vézelay rejoindront les linéaires des supermarchés et s’ajouteront aux cartes des bistrots et des restaurants. Blondes et blanches pour l’instant. Les brunes suivront à l’automne.

Dehors, peintres, jardiniers et menuisiers s’affairent. Une vaste terrasse en bois et une salle de restauration rapide sont en cours d’aménagement, qui comptent bien attirer leur part du million de visiteurs annuels du site de Vézelay.

© Antonin Sabot / LeMonde.fr

© Antonin Sabot / LeMonde.fr

Derrière tout cela, il y a un investissement lourd – 1,5 million d’euros, dont 600.000 euros  pour les machines, une étude de marché pointue, un positionnement haut de gamme et un design soigné. Les banquiers ont accepté de suivre ce projet solidement ficelé, la région a joué le jeu et participe à hauteur de 15% au financement, et le puissant distributeur d’hypermarchés Schiever, installé à Avallon, a déjà passé commande.

Au milieu de sa petite équipe, Marc Neyret fait presque figure de vétéran. A Eugénie, 28 ans, brasseur en chef, sont venus s’ajouter Valentin, 28 ans lui aussi, qui veille sur la chaîne d’embouteillage, Grégory, 33 ans, un chef cuisinier qui est là en mission de quelques mois et joue les hommes-orchestre et Zoé, 22 ans, qui s’occupera de la boutique et de la commercialisation. A terme, Marc Neyret envisage d’employer une dizaine de salariés pour une production quotidienne de 3000 bouteilles de 50 cl.  « Des emplois industriels et non délocalisables. Moi, je prends ma part du redressement productif!« , lance-t-il en souriant.

Les premières bouteilles, marquées d'un grand "V", sont prêtes à partir. © Antonin Sabot / LeMonde.fr