Quand Mario a appris son admission dans cette école prestigieuse, pour la rentrée prochaine, il n’en revenait pas. Les entretiens d’admission avaient été difficiles et il n’y croyait plus. Mais son dossier scolaire de fin de lycée était excellent et ses professeurs avaient beaucoup insisté pour qu’il s’y présente. Lui était réticent, car il se savait timide, facilement déstabilisé face aux adultes, surtout en position de professeurs de jury. Donc il pensait avoir échoué et en avait un peu honte !
Pourtant, depuis toujours, le travail scolaire avait été pour Mario un vrai défi. Enfant solitaire, très réservé, tant avec les camarades qu’avec les professeurs, il avait toujours tenu à « bien travailler » pour avoir de bons résultats – pas forcément les meilleurs pour « ne pas gêner les autres », et surtout ne pas attirer l’attention, être félicité ou stigmatisé. C’est seulement au lycée qu’une passion pour les sciences était née en lui, qui lui avait permis, sans trop d’efforts, d’obtenir des résultats remarquables et de l’intérêt pour certains professeurs. C’est d’ailleurs de cette époque que datait sa passion pour la science-fiction, tant dans la littérature que dans le cinéma.
A la maison, où il vivait seul avec sa mère, Mario menait une vie plutôt ascétique. Très peu d’amis, pas d’activités extérieures, il restait la plupart du temps enfermé dans sa chambre. Depuis longtemps déjà il mangeait seul, se couchait quand il voulait – le jour, la nuit – écoutait peu de musique mais surtout lisait beaucoup et regardait des films sur son ordinateur. Sa mère elle-même vivait recluse dans le petit appartement qu’ils occupaient depuis toujours – « un vrai capharnaüm », disait Mario – arguant de son statut d’«handicapée » à la suite d’une sévère dépression, survenue quelques années après sa naissance, plus ou moins stabilisée grâce aux médicaments… et à l’alcool consommé en grande quantité jusqu’à aujourd’hui. Mario savait qu’elle ne guérirait plus, que d’ailleurs elle ne désirait rien faire pour cela et que « ça allait mal finir bientôt ». De père il n’y en avait pas – ou si peu –, il ne l’avait pas vu depuis des années, il était loin et « avait sans doute d’autres chats à fouetter ». Sa mère lui avait raconté, tout petit, qu’il était le fruit d’une rencontre heureuse, mais de hasard et brève. Elle lui avait aussi assuré que, contrairement à cet homme, elle l’avait fortement désiré, que sa naissance avait été une grande joie, comme ses premières années d’enfant, avant qu’un drame personnel ne vienne la « mettre à terre ». Et toutes ces paroles lui avaient suffit, jusqu’à aujourd’hui !
« Construire un avenir »
Seulement, maintenant, Mario comprend qu’il ne va pas pouvoir continuer à vivre dans sa bulle, ne dépendre de personne, laisser le temps filer sans souci du lendemain. Il va devoir partir vivre dans un campus, en collectivité donc, « abandonner » sa mère à son « triste sort », se « construire un avenir ». Les questions qui reviennent sans cesse sont : « En suis-je capable ? A quoi bon ? Pour qui ? Pour quoi ? » Dans ces moments-là, pourtant, lui revient la pensée de la seule personne pour qui il compte vraiment, lui semble-t-il, sa grand-mère qui vit loin, en Bretagne, et avec qui il a pris tellement de plaisir à être, à la campagne, pendant toutes ses vacances scolaires, depuis son plus jeune âge. Elle est la seule à le soutenir, à l’encourager, à « croire en lui ». Mais « pour combien de temps encore », se demande-t-il ?
Aujourd’hui, Mario se souvient du jour où il est entré à l’école maternelle, l’agitation des autres enfants autour de lui, les cris, les pleurs, la fierté et l’inquiétude des parents – dont sa mère – et sa terreur silencieuse. Il se souvient aussi de tous ces moments, durant ces dernières années, où il s’est senti « nul », où il a regretté « d’être là ».
« Ça ne peut pas continuer comme ça ! », se dit Mario. Un professeur bienveillant à qui il a osé faire part – timidement – de son trouble, lui a conseillé d’aller voir un « psy » pour en parler, « se livrer », réfléchir à toutes ses questions pour, « espérons-le », a-t-il dit, s’affirmer, comprendre, « changer peut-être » ! Vaste programme, en effet ! « Mais ai-je le choix ? », se demande Mario.
Francis Moreau