C’est par la mère d’une copine que les parents de Zoé avaient pris connaissance de la situation « invraisemblable » dans laquelle se trouvait leur fille. Ils avaient bien remarqué que depuis quelques temps leur fille était devenue très secrète, en retrait, presque absente de la vie familiale au quotidien. En effet, Zoé, âgée d’à peine 14 ans, n’adressait quasiment plus la parole à son grand frère et à sa grande sœur, et limitait au maximum ses contacts avec ses parents. Ces derniers, absorbés par les vicissitudes de la vie professionnelle et sociale, ne s’en étaient pas préoccupé outre mesure, mettant ce changement sur le compte de l’adolescence et de ses transformations. Cette « petite dernière » avait été tellement choyée depuis sa naissance par ses parents, son frère et sa sœur, qu’ « il fallait bien qu’elle prenne son indépendance », disaient-ils tous.
Sauf que l’indépendance en question, pour Zoé, se manifestait par une fuite, grâce à internet et la fréquentation assidue des réseaux sociaux, dans des relations, virtuelles au départ mais pas seulement par la suite, avec des individus l’amenant à partager des scénarios pervers enrobés, si l’on peut dire, d’une tonalité affective et amoureuse très affirmée. C’est à la suite d’une rencontre – réelle – avec un de ces « personnages », qu’elle en avait parlé à son amie, tellement elle en avait été bouleversée. Au delà de l’échange de paroles, de photos et de films, dans les premiers temps de la rencontre sur internet, Zoé s’était trouvée confrontée à la possibilité d’une relation sexuelle, relation qu’elle avait fantasmée mais qu’elle ne voulait pas, dans la réalité, qui lui fait peur et dont elle avait réussi, à grand peine, à se dégager.
Quand ses parents le vérifièrent, dans les messageries et l’historique des conversations sur les réseaux sociaux, ils ne reconnurent pas leur « petite fille ». Au delà de nombreux messages très « romantiques » échangés avec des garçons – de jeunes adultes plutôt – circulaient aussi des propos très « crus », des images très osées, quasi pornographiques parfois. Leur première réaction avait été de lui supprimer toute possibilité d’aller sur internet et de lui interdire toute sortie de la maison, en dehors des horaires scolaires. Ce qui, on s’en doute, rendait tout à coup la vie familiale, avec une adolescente de 14 ans, explosive ! Mais Zoé, tout en reconnaissant les difficultés de la situation dans laquelle elle s’était mise, n’était pas prête à renoncer à ce qui fait le quotidien de tous les adolescents, de nos jours, c’est-à-dire l’utilisation d’internet, des réseaux sociaux, les sorties, etc.
Et puis, après de nombreuses crises de violence, de cris et de larmes à la maison, où s’exprimaient d’un côté l’angoisse et la culpabilité des parents, et de l’autre l’excitation et la colère de leur fille, il avait bien fallu, grâce à la médiation d’un tiers « professionnel », essayer de se parler, de s’écouter et commencer à comprendre ce qui avait bien pu se passer, à l’insu de chacun, dans l’évolution récente de la vie familiale, mais aussi dans la « transformation » de Zoé, en ce début d’adolescence. Concernant les parents, ceux-ci reconnaissaient une disponibilité très limitée pour leur fille, qui semblait se débrouiller très bien au quotidien, de même que des conflits de couple sans véritable réflexion et remise en question, qui les amenaient chacun à s’investir de plus en plus dans leurs activités professionnelles extérieures. La grande sœur avait pris son « envol », à la fin des études, et ne revenait que rarement à la maison. Quant au grand frère, totalement absorbé par sa vie avec ses copains et sa petite amie, il ne s’intéressait plus trop à sa petite sœur, sauf pour se moquer d’elle ou lui faire « la morale ».
Dans ce contexte, Zoé éprouvait – sans jamais l’exprimer – une grande solitude, que les copines de collège ne suffisaient pas à combler, naturellement. Alors, dès qu’elle le pouvait, à la maison, l’usage d’internet lui permettait d’accéder à un monde secret, des relations faciles, avec l’attrait de l’inconnu et de l’interdit. Ce sentiment de transgression et de toute-puissance dans la construction de relations – même « virtuelles » – lui faisait vivre des émotions et une excitation très fortes, au regard de sa vie ordinaire de jeune fille sage et solitaire.
Dans ces conditions, avec ce moment décisif de dialogue avec leur fille, les parents de Zoé avaient bien dû se résoudre à reconnaître que le problème, ce n’était pas « internet » en tant que tel mais bien l’usage qu’elle y avait trouvé, qui découlait à la fois des difficultés de relations en famille, mais aussi sans doute des aléas de son évolution psycho-affective et émotionnelle. Et sur ce plan-là, Zoé avait assurément besoin d’être aidée, en lui en permettant l’expression par la parole, pour éviter de s’engager dans des aventures dangereuses dont elle s’était déjà approchée.
Francis Moreau