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Le « front républicain » : une fausse bonne idée ?

Publié le 30 avril 2011 par Jlhuss

Je peux tout à fait comprendre que certains spécialistes de la communication politique aient trouvé intéressant le parallélisme offert par cette formule (déjà ancienne). Un " front républicain " contre le " front national ", quoi de mieux pour un tête-à-tête ?

Hélas, la signification véritable de cette expression échappe vraisemblablement à la plupart de nos concitoyens et sans doute aussi à bon nombre de ceux qui l'emploient. Evidemment, c'est l'adjectif qui pose problème. Mais avant d'envisager de le remplacer, il convient bien entendu d'essayer d'en préciser le sens.

Entrons immédiatement dans le vif du sujet : le vocable " républicain " renvoie sans doute à un ensemble (hiérarchisé) de valeurs ou de croyances ayant progressivement conduit à la mise en place de certaines institutions publiques mais aussi à la reconnaissance de certains droits et devoirs.

Sur le plan institutionnel, la république naît à partir du moment où la population - ou, du moins, sa frange dominante - parvient à imposer l'idée que le(s) dirigeant(s) public(s) ne possède(nt) pas - à titre personnel - le territoire, la population, le patrimoine et la souveraineté sur lesquels est fondé l'Etat à la tête duquel il(s) se trouve(nt). La chose privée se distingue ainsi de la chose publique (littéralement res publica), en même temps que l'intérêt privé se distingue de l'intérêt public.

Les militants du Front national ont alors beau jeu de faire remarquer que ce sont les mêmes groupes de personnes qui défendent aujourd'hui (ou se demandent s'ils vont défendre) l'idée d'un front républicain et qui ont été régulièrement accusés de confondre leur porte-monnaie avec les caisses de l'Etat... Les élus de ce parti seraient-ils plus vertueux ? J'en doute !

Ajoutons qu'il est des républiques dont peu de personnes souhaiteraient aujourd'hui le retour. C'est que la république n'est pas nécessairement démocratique. En effet, si les dirigeants d'une république sont bien élus, le corps électoral lui-même a pu être - historiquement - plus ou moins étendu. On a connu des républiques prônant l'esclavagisme... On a connu des républiques censitaires... On a connu des républiques phallocrates...

Cela dit, il faut reconnaître que la république a évolué. Osons le dire : elle s'est améliorée... même si chaque fois cela a relevé d'un processus essentiellement national (avec d'ailleurs une certaine fierté à faire mieux que ses voisins).

Finalement, quel est alors l'héritage républicain de la France ? En quoi un Français doit-il croire pour pouvoir se dire républicain en 2011 ?

On pressent que les valeurs républicaines doivent pouvoir être retrouvées dans notre droit positif. Et où chercher sinon au sommet de notre hiérarchie des normes ? Nous voilà en train d'examiner les normes de valeur constitutionnelle (N.B. : On notera cependant que la " tradition républicaine " - qui ne se confond d'ailleurs peut-être pas avec l'idée de " valeurs républicaines " - n'est pas nécessairement contenue toute entière dans les normes de valeur constitutionnelle [ cf. CC, déc. n° 2010-605 DC, cons. 6]).

Commençons par le plus simple, c'est-à-dire le texte de la Constitution du 4 octobre 1958. Nous savons quenotre " République offre (...) des institutions (...) fondées sur l'idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique" (préambule). Cet idéal apparaît d'ailleurs à plusieurs reprises dans la Constitution : l'article 1er dispose que " la France est une République (...) démocratique [...assurant] l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ", l'article 2 fixe la devise de la République ( " Liberté, Egalité, Fraternité" ) et détermine que son " principe " est " gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple " (un principe démocratique, en somme), l'article 4 évoque " la vie démocratique de la Nation " et l'article 53-1 prévoit que " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile [acte fraternel par excellence] à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou quil sollicite la protection de la France pour un autre motif ".

Mais ce n'est pas tout ! La Constitution de 1958 va plus loin, en prévoyant que " la France est une République (...) laïque (...) et sociale" (art. 1er) - étant précisé que cette laïcité la conduit à " [respecter] toutes les croyances " (idem) - outre qu'elle " participe à l'Union européenne constituée d'Etats qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences " (art. 88-1).

On comprend, bien entendu, que toutes ces spécificités de notre république ne se sont pas fait jour au même moment dans l'histoire de France. Il convient d'ailleurs d'explorer maintenant des textes juridiques plus anciens, qui n'en fournissent pas moins le support de normes constitutionnelles encore applicables aujourd'hui.

Cela dit, je ne crois pas que l'on puisse considérer que tous les droits et devoirs consacrés dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et la Charte de l'environnement sont consubstantiels à l'idée que l'on se fait en France de la république. Il faudrait discuter, au cas par cas...

En revanche, je crois qu'il faut garder à l'esprit quels sont les " principes fondamentaux reconnus par les lois de la République " que les juridictions françaises ont cru bon d'expliciter :

  • la liberté d'association (CE Ass., 11 juillet 1956, Amicale des Annamites de Paris etCC, déc. n° 71-44 DC du 16 juillet 1971) ;
  • les droits de la défense (CC, déc. n° 76-70 DC du 2 décembre 1976) ;
  • la liberté individuelle (CC, déc. n° 76-75 DC du 12 janvier 1977) ;
  • la liberté d'enseignement (CC, déc. n° 77-87 DC du 23 novembre 1977) ;
  • la liberté de conscience (CC, déc. n° 77-87 DC du 23 novembre 1977) ;
  • l'indépendance de la juridiction administrative (CC, déc. n° 80-119 DC du 22 juillet 1980) ;
  • l'indépendance des professeurs d'université (CC, déc. n° 83-165 DC du 20 janvier 1984) ;
  • la compétence en dernier ressort de la juridiction administrative pour annuler ou réformer les décisions prises, dans l'exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle (CC, déc. n° 86-224 DC du 23 janvier 1987) ;
  • l'autorité judiciaire gardienne de la propriété privée immobilière (CC, déc. n° 89-256 DC du 25 juillet 1989) ;
  • l'interdiction des extraditions demandées dans un but politique (CE Ass., 3 juillet 1996, Koné) ;
  • la laïcité (CE, 6 avril 2001, SNES) ;
  • l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge et la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées (CC, déc. n° 2002-461 DC du 29 août 2002).
Finalement, les idées défendues - hier ou aujourd'hui - par le Front national sont-elles contraires aux valeurs et aux droits que nous venons d'évoquer ?

Avant de tenter de répondre à cette question, plusieurs remarques s'imposent. Tout d'abord, nous nous contenterons ici - bien que cette démarche soit en réalité très insuffisante - d'analyser le programme du Front national tel qu'il est actuellement présenté sur le site officiel de ce parti. Ensuite, il ne suffira pas de dire que les mesures (ou décisions publiques) défendues par le Front national auraient pour effet de limiter l'exercice des droits ou la concrétisation des valeurs rappelés ci-dessus. En effet, de telles limites sont inévitables dans la mesure où ces droits et ces valeurs entrent régulièrement en contradiction les uns avec les autres (et tous les partis qui ont accédé aux plus hautes responsabilités ont été confrontés à cette réalité). En d'autres termes, ce sont des limites particulièrement fortes que nous devons rechercher (peut-être même des limites qui videraient de leur sens les droits et les valeurs qui constituent le soubassement de la conception française contemporaine de l'idée de république).

Commençons par deux thèmes particulièrement sensibles dans le programme du Front national : l'immigration et les institutions publiques to be continued

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