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IL Y A de vous dans votre téléphone portable. La liste de vos appels, vos SMS, vos promenades sur Internet, votre géolocalisation, vos photos et vidéos – compromettantes ou pas –, vos courriers électroniques, vos achats en ligne, votre agenda, votre carnet d’adresses, vos réseaux sociaux, etc. Votre vie numérique. Il y a de vous dans votre téléphone portable, mais il y en a aussi sur lui. Etant donné que vous ne caressez rien ni personne autant que cet objet, il porte vos empreintes digitales et des traces de votre ADN. Mais il y a plus encore…
Comme le rappelle une étude publiée le 14 novembre dans les Proceedings de l’Académie des sciences américaine (PNAS), traces ADN et empreintes digitales ne sont pas d’une grande utilité pour les services de police scientifique si la personne qui les a déposées ne figure pas dans leurs fichiers. D’où la nécessité, expliquent les auteurs de ce travail, chercheurs à l’université de Californie à San Diego, de mettre au point des approches complémentaires pour dresser le profil des personnes grâce à ce qu’elles ont touché. Imaginez, disent-ils, un scénario où l’on retrouve, sur le lieu d’un crime, des objets personnels comme un stylo, une clef ou un smartphone (dont on suppose qu’il n’aurait ni carte SIM ni données enregistrées…) : l’analyse des traces chimiques laissées par leur propriétaire donnerait-elle des informations utiles sur ses habitudes, son mode de vie, voire son état de santé ?
Sachant que, primo, un nombre important de molécules peuvent se déposer sur notre peau au cours de nos actions quotidiennes, secundo que des technologies très sensibles comme la spectrométrie de masse existent pour identifier lesdites molécules et, tertio, que les téléphones portables sont au contact des mains, de la bouche, du visage et des cheveux, ces chercheurs ont trouvé qu’il était justifié de tenter l’expérience. Pour découvrir tout ce que l’on pouvait apprendre sur une personne simplement en analysant les composants chimiques récupérés à la surface de son smartphone. Ils ont donc passé des cotons-tiges sur les deux faces de 39 téléphones portables tout en recueillant des échantillons sur la main droite de leurs propriétaire. A ensuite été dressée la liste des composants chimiques ainsi collectés. Puis est venu le temps de l’analyse et des résultats.
Carte d’identité moléculaire
L’équipe américaine a commencé par montrer que chacun des 39 individus testés se démarquait significativement des autres, que chacun détenait une carte d’identité moléculaire, une sorte de signature chimique spécifique qui se retrouvait sur son téléphone portable. Bien sûr, le transfert des molécules de la peau à l’appareil variait sensiblement d’une personne à l’autre, en fonction de la fréquence à laquelle elle nettoyait son téléphone et des matériaux qui composaient celui-ci. Malgré cela, l’étude n’a eu aucun mal à retrouver une pléiade de molécules entrant dans la composition des produits d’hygiène et de beauté, de pesticides, de médicaments, etc.
Ainsi l’article des PNAS a-t-il montré que l’individu 9 avait pris un médicament contre l’inflammation de la peau, que le 2 suivait un traitement pour la repousse des cheveux, que le 10 utilisait un collyre et le 16 un antifongique, que le 32 mangeait des agrumes et que le 21 prenait un antidépresseur. Dans ce dernier cas, non seulement l’analyse avait permis de retrouver la molécule de citalopram mais aussi un de ses métabolites – c’est-à-dire une version dégradée du composant une fois qu’il a transité par l’organisme – évacué par la sueur ! Certes les résultats ne permettent pas de dresser un portrait-robot ultra-précis de chaque utilisateur de téléphone portable mais les auteurs de l’étude ont par exemple pu déduire, à partir des informations recueillies sur le portable de la participante numéro 1, que cette dame avait récemment fait du camping ou une randonnée, ce qu’elle a confirmé : avaient été retrouvées des traces de crème solaire et d’antimoustique.
Selon cet article des PNAS, la preuve est faite que l’on peut, sur un objet tel qu’un téléphone portable, récupérer aisément assez de traces chimiques pour « cerner » la personne qui l’a manipulée, à défaut d’en dresser un profil complet. Les auteurs soulignent d’ailleurs que la principale difficulté de leur solution réside dans l’interprétation des données recueillies et ils songent déjà au développement d’outils et de bases de données pour résoudre ce problème. Même s’ils disent que leur technique permettrait de surveiller l’exposition de la population aux polluants, ils ne cachent pas que les premiers intéressés seraient la police et les acteurs de la lutte contre le terrorisme. En lisant le paragraphe destiné aux remerciements, imprimé en petits caractères, on découvre d’ailleurs que l’étude a bénéficié (parmi plusieurs autres) d’un financement du National Institute of Justice, l’agence du département de la justice aux Etats-Unis chargée de la recherche et du développement…
Pierre Barthélémy (suivez-moi ici sur Twitter ou bien là sur Facebook)
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