Arnaud Montebourg. © Sylvain Thomas/AFP.
ALORS que l’on s’émeut du niveau en mathématiques et en sciences des élèves français – moyen selon l’enquête PISA publiée mardi 6 décembre, en baisse inquiétante si l’on en croit l’étude Timss dont les résultats ont été rendus publics le 29 novembre –, il est une autre catégorie de population pour laquelle il convient carrément de tirer le signal d’alarme : les ministres et anciens ministres. L’affaire n’est pas nouvelle, comme on va le voir plus bas, mais elle prend des proportions affolantes puisque la dernière victime en date de cette épidémie de nullité en maths est un ancien ministre « de l’économie, du redressement productif et du numérique » (mais visiblement pas de la numération) et candidat à l’élection présidentielle de 2017, Arnaud Montebourg. Invité, ce mercredi 7 décembre, sur France Info, le socialiste, apparemment agacé d’être interrompu, lance la supplique suivante : « Si vous me le permettez, vous êtes trois, je suis seul. Laissez-moi une chance… » L’ennui, c’est que ses interlocuteurs étaient quatre, puisque, comme on peut le constater sur la vidéo ci-dessous, en plus de Jean-Michel Aphatie, de Guy Birenbaum et de Gilles Bornstein, se trouvait là Fabienne Sintes, la responsable de la matinale de France Info.
On pourrait, comme l’a fait Sylvain Chazot d’Europe 1, se demander si M. Montebourg « a un gros problème de vision périphérique » ou s’il « a tendance à oublier que les femmes aussi peuvent avoir une responsabilité », mais nous privilégierons très subjectivement la troisième hypothèse : Arnaud Montebourg serait la dernière victime en date de cette malédiction des maths qui a frappé tant d’hommes et de femmes politiques avant lui. L’un des plus beaux exemples date de 2011 et concerne celui qui n’était alors rien moins que ministre… de l’éducation nationale, Luc Chatel. Comme je l’ai raconté à l’époque dans un billet de mon précédent blog (que je vais allègrement recopier ici en hommage à Etienne Klein…), le ministre, invité à l’émission de Jean-Jacques Bourdin sur RMC, devait résoudre un problème extrait du cahier d’évaluation des élèves de CM2 : « 10 objets identiques coûtent 22 euros. Combien coûtent 15 de ces objets ? » Le même Luc Chatel qui préconisait de faire faire 15 à 20 minutes de calcul mental chaque jour aux élèves de primaire, a répondu 16,50 euros (au lieu de 33). Un grand moment de solitude à regarder ici :
Passé la minute de rigolade, on tente de retracer le cheminement mental qui a pu conduire le ministre à ce nombre. On s’étonne en effet que, dans l’esprit d’un homme a priori éduqué, 15 objets puissent valoir moins que 10. Le fait que 16,50 soit la moitié de 33 nous donne cependant un indice : tout imprégné de la doctrine gouvernementale de l’époque Sarkozy qui obligeait à ne plus remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, Luc Chatel a là aussi tenté d’avoir plus avec moins. On pourrait essayer de trouver des excuses au ministre de l’éducation dans son curriculum vitae. En effet, comme nous l’apprend sa fiche Wikipedia, Luc Chatel est né en 1964. Il est donc allé à l’école primaire au début des années 1970, à une époque où l’expérience des maths modernes avait supprimé la bonne vieille règle de trois des manuels scolaires, remplacée par des tableaux de proportionnalité et le fameux produit en croix. Peut-être le ministre a-t-il fait partie de ces nombreux enfants perturbés par les notions assez abstraites des maths modernes… Peut-être. Cela dit, ayant obtenu par la suite une maîtrise de sciences de la gestion, il aurait dû finir par maîtriser cette technique mathématique élémentaire.
Examen complètement raté
Son prédécesseur au ministère de l’éducation nationale, Xavier Darcos, n’a, lui, pas l’excuse des maths modernes puisqu’il est né en 1947, mais il n’est pas plus à l’aise avec les enseignements de base. Lors d’une mémorable participation au Grand Journal de Canal Plus, il avait non seulement été incapable de répondre à une question sur le passé antérieur (alors qu’il était agrégé de lettres classiques et devait devenir académicien en 2013…) mais il avait aussi séché sur la règle de trois, mettant son ignorance sur l’habitude d’utiliser une calculatrice. Ce qui est stupide car ce ne sont pas les calculettes qui raisonnent mais bien la personne qui appuie sur les touches… Voici la vidéo de cet examen complètement raté :
A l’intention des ministres du nouveau gouvernement, voici donc un petit rappel sur la règle de trois. Reprenons la question posée à Luc Chatel : « 10 objets identiques coûtent 22 euros. Combien coûtent 15 de ces objets ? » La règle de trois, connue au moins depuis Euclide, dit que pour obtenir le nombre manquant, il faut multiplier 15 par 22 et diviser le tout par 10, ce qui fait 33. Une autre façon de faire, qui revient exactement au même mais peut mieux se comprendre, consiste à réduire à l’unité, c’est-à-dire à déterminer le prix d’un seul objet (en divisant 22 par 10, ce qui donne 2,2), puis à le multiplier par le nombre d’objets voulu : 2,2 fois 15 font bien 33. La même opération a été faite mais, dans le second cas, dans un autre ordre.
En 2011, Valérie Pécresse, pour sa part, n’était pas ministre de l’éducation nationale, mais de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ce ne sont donc pas les notions de mathématiques de CM2 qui lui ont posé des problèmes, mais celles de… classe de troisième. Il ne s’agissait plus de règle de trois mais de pourcentages d’augmentation appliqués à deux montants différents, que la ministre a indûment additionnés, comme la démonstration simple en a été faite par un professeur de mathématiques dans la vidéo ci-dessous. On ne saurait dire si l’erreur de Valérie Pécresse (formation HEC puis ENA…) est due à une déficience du raisonnement ou à de la malhonnêteté intellectuelle, étant donné qu’elle parlait, lors de la campagne des régionales en Ile-de-France, des hausses d’impôts votées par la gauche et qu’il valait sans doute mieux alourdir la barque de ses adversaires politiques…
Nul doute qu’à l’avenir les ministres réviseront leurs règles de trois ou leurs calculs de pourcentage avant de passer à la télé. Je suggère donc aux animateurs qui voudront les piéger de leur proposer un exercice célèbre mêlant les deux, connu sous le nom de paradoxe de la patate. (Non, le paradoxe de la patate ne parle pas des nuls qui deviennent ministres.) Pour un grand repas à l’Elysée, vous achetez 100 kilos de pommes de terre (le nouveau gouvernement aime les frites). Sur ces 100 kg, 99 sont de l’eau et le kilo restant est la masse de la matière sèche. Mais voilà, vos patates sont un peu trop gorgées de flotte et vous décidez de les faire sécher pour que la proportion d’eau descende d’un point, à 98 %. Une fois ce séchage effectué, quelle est la masse totale des patates ?
La tentation est grande de faire directement une règle de trois (98 fois 100 divisé par 99 = 98,99) mais le raisonnement est erroné parce que la masse totale diminue entre les deux étapes. Intéressons-nous plutôt à ce qui ne change pas, à savoir le kilo de matière sèche. Au départ, il représentait 1% des 100 kilos. Maintenant, il représente 2 % de la masse restante. Si ce kilo de matière sèche vaut 2 % du total, la règle de trois nous dit que l’eau vaut 98 % fois 1 kg divisé par 2 %, soit 49 kg. Au total, les pommes de terre ne pèsent donc plus que 50 kg. Aussi étonnant que cela puisse paraître, passer de 99 % d’eau à 98 % a fait perdre la moitié de la masse au tas de patates. Mais peut-être Luc Chatel, avec sa capacité à tout diviser par deux, trouverait-il le bon résultat ?
Pierre Barthélémy (suivez-moi ici sur Twitter ou bien là sur Facebook)