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A Villepinte, « on n’est pas que la banlieue, on est aussi la France »

Publié le 18 janvier 2015 par Elisabeth1

" Si la France est solidaire, qu'elle le montre en venant jusqu'à nous ". Khadidja ne mâche pas ses mots : comme tous les jeunes autour d'elle, la jeune lycéenne n'a pas envie de se laisser atteindre par les mots qu'elle entend depuis quelques jours. Voilà une semaine, que comme de nombreux habitants des quartiers, elle a l'impression d'être épiée, disséquée et encore une fois trop vite jugée. Avec une quinzaine d'autres membres de Zonzon 93 - une association qui fait de la prévention de la délinquance -, elle a répondu présente quand Laetitia Nonone, la présidente, a proposé d'organiser un débat après les attentats de Paris.

Dimanche 18 janvier, ils sont venus de différentes cités de Villepinte (Seine-Saint-Denis) : Fontaine Mallet, Pasteur, Quatre tours Trilogis, les Meurisiers, Parc de la Noue et la Roseraie - et sont réunis dans un petit local près du gymnase. " On s'est rendu compte qu' après les attentats contre Charlie hebdo et l'hyper casher de la Porte de Vincennes, les jeunes avaient besoin de parler. Ils étaient inquiets et nous demandaient ce qu'ils allaient devenir ", explique Mme Nonone. L'énergique trentenaire raconte les peurs de prendre les transports de telle jeune étudiante voilée, les remarques entendues dans le métro, les " mauvais regards " qu'on lui rapporte.

" Pas à notre place "

" On voulu tout mettre sur la table. Surtout quand on a entendu que les jeunes de banlieue ne sont pas venus à la marche parce qu'ils s'en fichaient ", lance la présidente dans son introduction. Dans le cercle, ils opinent. Aucun d'eux n'a été défiler dimanche : par peur, parce que les parents ne voulaient pas mais surtout " parce qu'on ne se sentait pas à notre place ", résume Saadia, élève en bac pro commercial - tous les participants mineurs ont demandé de ne pas communiquer leur nom de famille. " Il y a des trucs plus graves, des guerres, des gens qui meurent de faim ", coupe Franck en bac pro. Pourtant, ils le répètent avec leurs mots, les morts les choquent, " surtout les anonymes de Charlie et les policiers ". " Ils sont morts en héros, on devrait en parler plus que des journalistes ", dit Khadidja, en terminale L. " Ils sont morts pour nous protéger, en faisant leur travail ", souligne Scotty, 17 ans, élève de première.

Ils se regardent, hésitent, se poussent du coude. " Ce qui s'est passé, c'est très grave, faut en parler partout mais pourquoi ils font un amalgame avec les jeunes des cités ", lâche Saadia. La jeune lycéenne en a gros sur le coeur : " avec ce qu'on entend dans les médias, les gens regardent les musulmans comme s'ils étaient des terroristes. On leur a retourné le cerveau ". Yliana, 16 ans, souffle : " de toute façon, pour eux on est tous des délinquants. Dès qu'on va sur Paris, ils pensent direct qu'on va les voler ". " C'est grave l'image qu'on renvoie de nous, tous ces amalgames. Les gens craignent les banlieues sans les connaître ", renchérit Manuela, elle aussi en classe de bac pro commercial. C'est peu dire qu'ils se sentent stigmatisés. Tout au long de la discussion, ils parleront d'un mur qui les entoure, d'un " eux " et " nous ", nette séparation entre Paris, les riches, les médias et leur monde de l'autre côté du périphérique.

" Faut pas se laisser atteindre "

Les garçons s'animent à leur tour quand on parle de l'image de leur quartier : " jamais ils ne parlent de nous en bien, quand ça évolue en positif. C'est toujours pour évoquer la drogue, les crimes, les viols ", assure Franck. Fata, en bac pro mais qui habite dans l'Essonne raconte qu'en sortant de Grigny 2 - immense copropriété dégradée - il a eu peur : " il y avait des policiers partout ". " On ne parle de Grigny que quand il y a des règlements de compte. L'image de la ville, maintenant ça va pas s'arranger... "

L'ensemble du groupe oscille entre crainte d'une coupure encore plus grande et leur envie de " s'en sortir ". La grande marche républicaine ne va pas changer grand chose à leur situation, assènent-ils. " Il ne va pas y avoir plus de solidarité, personne ne viendra nous chercher. Alors faut qu'on avance tous seuls ", lance Saadia. " Mais si on doit faire un pas, c'est à eux aussi d'en faire ", rétorque Scotty. " Faut leur montrer qui on est vraiment ! Peut être que cette fois-ci c'est le moment ", espère Yliana. D'un coup Scotty se redresse: " On devrait lancer un autre slogan : à leur "je suis Charlie", on devrait leur répondre, "je ne suis pas que la banlieue. Je suis la France aussi" ". L'idée leur plaît. Et Khadidja de conclure : " Faut pas se laisser atteindre. On va se battre ".

Sylvia Zappi Signaler ce contenu comme inapproprié

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