Magazine Moyen Orient

Le meldonium : quand un médicament détourné devient dopage

Publié le 04 mars 2016 par Tanialoue
Le meldonium : quand un médicament détourné devient dopage

Structure chimique du Mildronate (meldonium)

Difficile pour les dopés de changer leurs habitudes, même quand un médicament détourné de son usage par 2,2 % des sportifs passe sur la liste des produits interdits par l’Agence Mondiale Antidopage. Les six lutteurs géorgiens, les deux biathlètes ukrainiens, le cycliste russe, la demi-fondeuse suédoise et le marathonien éthiopien, tous récemment contrôlés positifs au meldonium (ou fortement suspectés à l’heure actuelle d’en avoir pris) savaient-ils seulement que cette substance était prohibée depuis le 1er janvier 2016?

« Doper les cellules du cœur »

Il faut s’attendre à de nombreux autres cas dans les semaines à venir… En 2015, l’Institut de biochimie et le Centre de recherche préventive sur le dopage de Cologne avait trouvé du meldonium dans  2,2 % des 8320 échantillons urinaires aléatoirement prélevés lors de contrôles antidopage chez des sportifs professionnels. Cette étude (1) avait été menée afin de dresser un état des lieux de son usage et de calibrer les futures analyses. Les sports de force étaient surreprésentés (67 %), devant les sports d’endurance (25 %). L’Université allemande aavait relevé dans la littérature scientifique deux publications montrant des effets positifs sur les performances des sportifs par « une augmentation de l’endurance, de la récupération, de la protection contre le stress et une amélioration des activations des fonctions du système nerveux central ».

Mis au point en Lettonie en 1975, le meldonium, commercialisé dans les anciennes républiques soviétiques sous le nom de Mildronate, est utilisé pour la prévention de l’infarctus du myocarde et le traitement de ses séquelles. Par un curieux concours de circonstances, alors que l’AMA décidait de l’interdire aux sportifs, l’un de ses principaux inventeurs, le Pr. Ivars Kalvins, figurait l’an dernier parmi les finalistes du Prix de l’inventeur européen de l’Office européen des brevets, dans la catégorie Oeuvre d’une vie. La vidéo de présentation du candidat vantait le potentiel du médicament: « (Kalvins) trouve une substance endogène qui, administrée à forte dose, produit un effet de dopage sur les cellules: c’est le meldonium. Il atténue le dépôt des résidus toxiques dans le muscle du myocarde et alimente en même temps les cellules avec plus d’oxygène. »

Vieille idéologie

Le Dr Sergei Illjukov, médecin du sport et consultant pour l’Agence Antidopage Estonienne, est plutôt sceptique quant à ces vertus : « Le meldonium est utilisé dans le cadre d’une thérapie combinée associée à d’autres médicaments pour des maladies où ont lieu des changements ischémiques (apport sanguin artériel à un organe), mais en lui-même, c’est un médicament assez faible. Je ne l’ai jamais utilisé car je le vois comme une mauvaise pratique médicale ne reposant sur aucune preuve. » Depuis le 1er janvier 2016, le meldonium est classé dans la catégorie Hormone et modulateurs métaboliques par l’AMA. Selon le Dr Illjukov, son usage est une absurdité non seulement pour les malades mais aussi pour les sportifs: « Ses effets sur les performances athlétiques sont exagérées. l’AMA l’a interdit sur la base de preuves douteuses et de bruits de vestiaires. C’est dommage, mais les règles sont faites pour être suivies! »

Le médecin estonien estime que son usage relève moins d’un intérêt physiologique que d’une vieille idéologie : « Il persiste en Europe de l’Est cette idée que le sport d’élite est nocif pour la santé et qu’il y a besoin de soutenir le corps avec des substances afin de le protéger. Dire que le meldonium est du dopage parait ridicule aux oreilles des Européens de l’Est, pour eux il s’agit plutôt d’une ‘vitamine qui protège le cœur’. Cela provient de l’époque où le dopage était d’abord utilisé pour ‘protéger la santé des athlètes’. C’est un malentendu ridicule, mais certains y croient encore… »

Marché noir

L’absence d’autorisation de mise sur le marché du meldonium dans l’Ouest de l’Europe et en Amérique n’a pas circonscrit son détournement par le monde sportif aux seuls pays de l’Est, contrairement au Xenon à l’origine d’un scandale après les JO de Sotchi en 2014. Des boites de Mildronate furent trouvées dans le cabinet canadien du Dr Anthony Galea, consulté par quelques-uns des plus grands footballeurs américains et athlètes du monde, lors de la descente de police en 2010 motivée par la recherche d’hormones de croissance. Disponible sur le marché noir et sur internet sous forme de comprimés ou d’ampoules, le Mildronate est, selon le témoignage que j’ai recueilli auprès d’une ancienne médaillée olympique américaine en athlétisme, utilisé par les sportifs sous forme d’injection intraveineuse en cures de 10 jours, mixée de Carnitine (complément alimentaire issue de la viande) et d’Actovegin (substance issue de la viande, produit phare du Dr Müller-Wohlfahrt interdit en vente aux Etats-Unis et en France, notamment).

Les effets ressentis seraient un ralentissement cardiaque et une meilleure circulation, avec le risque de vertiges et de faire monter les marqueurs biologiques des fonctions du foie et des reins lors des analyses médicales. Le laboratoire de Cologne a détecté des concentrations allant de 0,1 à 1428 microgrammes/mL, dans deux tiers des cas lors de contrôles en compétition. Son faible coût (une vingtaine d’euros la boite de comprimés sur internet, un peu plus pour les ampoules via des passeurs voyageant depuis la Russie) font du Mildronate un dopage bas de gamme et permet les administrations hors de tout suivi médical. Les consommateurs de meldonium doivent avoir le cœur fébrile en attendant les résultats de leurs derniers contrôles antidopage…

À suivre dans la prochaine note de blog, un entretien avec Ivars Kalvins, inventeur du meldonium en 1975, au sujet du détournement de son médicament pour l’amélioration des performances sportives.

(1) Görgens C. & al. Mildronate (Meldonium) in professional sports – monitoring doping control urine samples using hydrophilic interaction liquid chromatography – high resolution/high accuracy mass spectrometry, Drug Testing & Analyses, Vol. 7, n. 11-12, p. 973-979, Nov-Dec 2015.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Tanialoue 1 partage Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte