Avec seulement 60 % des concurrents parvenus à franchir la ligne l’arrivée, le 50 km marche à Rio fut moins une épreuve olympique qu’un calvaire pour les participants et un spectacle navrant pour le public. Outre les 12 disqualifiés pour technique irrégulière, 19 ont jeté l’éponge sous un soleil de plomb.
Pas de médaille pour l’héroïsme
VIDEO. Diniz, au bout de lui-même, s’effondre en pleine course avant de repartir #Rio2016https://t.co/h9yizNSwy5 pic.twitter.com/Rvy6Ntq8iU
— francetv sport (@francetvsport) 19 août 2016
Yohann Diniz est lui allé au bout de son supplice. Parti sur des bases très élevées pour une telle chaleur, le Français semblait avoir médaille d’or gagnée jusqu’à ce qu’il tombe malade après le 30ème km. D’arrêts en relances, victimes de malaises, il s’est classé 8ème en 3 h 46 min 43 à 14 minutes de son record du monde (3 h 32 min 33), avant d’être hospitalisé. Parti à 8 h du matin, la queue de peloton a conclu tant bien que mal 4 heures plus tard sous une température dépassant les 30 degrés, bien après le vainqueur slovaque Matej Tóth (3 h 40 min 58). À l’arrivée, le personnel médical était débordé par le nombre d’athlètes déshydratés. Aucune médaille n’étant décernée pour la souffrance ni l’héroïsme, il faut s’interroger sur l’intérêt sportif et surtout sur les conséquences sanitaires de la tenue de cette épreuve dans de telles conditions. Il est certes plus difficile d’interrompre un 50 km marche que de suspendre des séries de 110 m haies comme ce fut le cas lundi en raison de la pluie.
Les boissons disposées le long du parcours et les éponges imbibées d’eau, essorées sur le crâne ou dans la bouche ne sont pas toujours suffisantes pour freiner la montée de la température corporelle lors des efforts de longue durée. Des pics à 42 degrés ont pu être mesurés chez des marathoniens, puisque, comme l’indique la Commission Médicale et Antidopage de la Fédération International des Associations d’Athlétisme dans sa Politique en matière de remplacement des fluides, trois-quarts de l’énergie produite par l’exercice sont stockés en chaleur. Aussi, elle recommande de boire 400 à 800 ml de liquide par heure de course.
Ébullition
Dans ce document qui n’a pas valeur de règlement, la Commission conseille de prendre part aux courses d’endurance par des températures inférieures à 18 degrés WBGT (Température au thermomètre-globe mouillé) – ce qui de fait arrive rarement en championnats. Les indispensables rafraîchissements et ravitaillements, sans lesquels les corps seraient en ébullition au sens propre du terme à l’arrivée, sont disponibles à des postes très encadrés par le règlement IAAF : Diniz fut disqualifié de sa 8ème place aux JO de Londres pour s’être aspergé d’eau en dehors de la zone dédiée.
Déjà lors des JO de 1908 à Londres, les marathoniens furent punis par « l’atmosphère lourde, chaude, moite de cet après-midi d’été où le soleil tapait traîtreusement fort et l’air était rare » , selon le Rapport Officiel. Hagard, l’Italien Pietri entra le premier dans le stade avant de s’écrouler d’épuisement alors que son calvaire ne faisait que commencer. Trois fois tombé et trois fois relevé, il franchit la ligne avant d’être disqualifié pour avoir reçu une aide extérieure. Le rapport suggère que le vainqueur américain Hayes aurait tiré profit de la grosse chaleur, puisqu’il y était habitué. Un scénario similaire se répéta en 1948 avec la défaillance du Belge Gailly, rétrogradé de la première à la troisième position dans les derniers mètres d’une course dont le départ fut donné à 15 heures. Afin de préserver les organismes, les épreuves de fond se courent habituellement au lever ou au coucher du soleil.
Préparation infernale
Les marathoniens et marcheurs sont actuellement bien mieux préparés aux conditions extrêmes qu’au début du siècle dernier. Plutôt que de se reposer sur l’hydratation, le champion olympique 1960 Don Thompson (Grande-Bretagne) s’était acclimaté pour Rome en s’entraînant dans sa salle de bain chauffée à 40 degrés par des radiateurs. Au tournant des années 90 Wang Kui, l’entraîneur chinois aux sept titres mondiaux ou olympiques et vingt-trois records du monde, est peut-être celui qui a poussé la méthode aux extrêmes pour optimiser la thermorégulation du corps. Selon la presse locale de l’époque, le coach infernal organisait des stages à Shenhang, au nord du pays, où il contraignait ses marcheurs et marcheuses, emmitouflés sous des coupe-vents, à des sorties en début d’après-midi par plus de 30 degrés avec l’interdiction de boire; en hiver, quand le mercure y descend sous le zéro, il fallait rester en short et en tee-shirt… Approche spartiate, pas vraiment celle de Gilles Rocca pour préparer Yohann Diniz, lequel se soumet toutefois, lui aussi, à des volumes hebdomadaires excédant les 200 km.
À Rio, l’entraîneur a estimé que malgré son expérience, le triple champion d’Europe a peut-être pris trop de risque. « Il a joué et il a perdu, et il a peut-être un peu sous-estimé la chaleur. On l’avait prévenu qu’il faisait très chaud… Il fait toujours ce qu’il veut, il n’y a pas de souci. » Les femmes du 20 km marche, disputé dans l’après-midi, ont sans doute été plus prudente puisque pour 63 arrivées, seules 5 ont abandonné. Le cagnard n’a pas toujours été l’ennemi du Rémois. Il remporta l’argent du 50 km des Mondiaux de 2007 à Osaka alors que le thermomètre était grimpé à près de 30 degrés, causant 14 abandons parmi les 52 partants. Rien à voir avec la météo propice aux performances des Europe 2014, quand il retrancha 1 min 41 au record du monde : la feuille des résultats officiels indique qu’au départ donné à 9 h, il faisait 13 degrés et qu’à son issue, quelques 4 h plus tard, la température n’avait monté que de 2 degrés. C’est pourquoi seulement 5 marcheurs sur 35 avaient jeté l’éponge.