Il revient quand Bertrand ? Ma vie sur internet

Publié le 25 novembre 2016 par Davidme

Voir et être vu. Se cacher et s’exposer sans pudeur. Chercher la vérité et vivre dans le mensonge. La webserie en dix épisodes que propose Arte Creative est tout sauf une gentille comédie de moeurs sur le couple à l’heure de Facebook. Il revient quand Bertrand ? est l’observation assez maligne de notre besoin d’intimité et de notre envie d’exister par le regard des autres, d’être aimé et « validé » (le terme est tellement à la mode) en tant qu’individu. La fuite s’accomplit en avant et le constat est un rien amer : les réseaux sociaux ne permettent pas de se trouver mais seulement de se perdre. Au mieux, ils satisfont notre goût pour le voyeurisme. Ce qui est une mince consolation.

Au premier abord, cela fait un peu penser à Irresponsable, la comédie de banlieue assez réussie qu’avait proposée OCS avant l’été. Un gars, une fille et l’amour contrarié. Simple, connu mais toujours assez efficace. On est immédiatement en empathie parce qu’on est tous passé par cette case du grand monopoly sentimental.

Bertrand, la petite trentaine, vivait avec Magalie depuis cinq ans. Avec le temps, le vieux triptyque gagnant séries-sushis-sorties est devenu le vieux triptyque perdant ordi-ennui-bonnet de nuit. Viré de chez lui, Bertrand trouve refuge chez un voisin de son immeuble tandis qu’il est illico presto remplacé par un coloc’ façon surfeur, histoire de pouvoir acquitter le loyer.

Le voisin, qui est un gros geek (pléonasme), a piraté toutes les webcams de l’immeuble et regarde ce qu’il se passe chez les gens sans sortir de chez lui. Le point de vue est idéal pour Bertrand qui peut ainsi surveiller les activités de son ex, le temps qu’il sorte de la friend zone et qu’elle cesse d’être son ex.

Outre le caractère voyeur de la situation, la série rappelle une chose essentielle : l’amour, ce n’est pas tout se dire. L’ignorance est une nécessité pour le fonctionnement du couple. Le secret est utile car certaines choses n’ont pas être sues. L’intimité individuelle est donc un paramètre essentiel à l’harmonie même si la tentation existe toujours d’effacer le doute.

On a envie de transparence mais on ne voudrait pas que l’autre ait des secrets inavouables. On voudrait que tout soit comme dans Facebook, cet endroit où on choisit de se mettre en scène, de dire qu’on est formidable pour avoir des likes, de dire qu’on est victime pour avoir des coeurs, de dire des conneries pour avoir des rires, de dire des choses tragiques pour inspirer la tristesse et la compassion.

FB, c’est le règne du mensonge et de l’apparence. C’est le plus grand miroir déformant qui ait jamais été tendu à l’humanité et dans lequel elle se regarde et s’admire, toute ivre de sa propre satisfaction. FB est l’endroit où l’on se déshabille et où l’on se travestit. Comme Bertrand, on met des maillots de foot du Brésil, des chapeaux mexicains ou des kimonos japonais sans bouger d’un petit appartement sous les toits de son immeuble.

FB est cet outil schizophrène dans lequel le goût du secret affronte le besoin de s’exposer pour se sentir exister. C’est la vie par procuration et c’est l’endroit à partir duquel on voit le moins bien. La série met habilement en scène cet aveuglement provoqué par le réseau social en l’opposant à l’écran d’ordinateur sur lequel apparaît le flux de la webcam piratée dans l’appartement de Magalie.

Pour être accessible, la réalité doit nécessairement été débusquée. Cela exige des moyens que la morale réprouve. Mais étrangement pas plus que les procédés induits par Facebook qui relèvent de la mise en scène et de la manipulation. Le plus drôle dans cette websérie d’Hélène Lombard et Julien Sibony est la facilité avec laquelle on se laisse entraîner à ces comportements. Car à l’aspect ludique et donc tentant, s’ajoute une distance qui incite à croire que tout cela n’est pas si grave au fond.

Et puis n’est-ce pas ce que nous faisons tous ? Manipuler les autres et être manipulé par eux. La différence est qu’aujourd’hui les moyens sont d’une efficacité sans précédent.

(Photo: Arte Creative. Dessin: Martin Vidberg)

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