De nouveau, la navigatrice Maud Fontenoy crée des remous en prenant la défense du gaz de schiste. Après un entretien dans Le Parisien à la fin de janvier, la candidate sur la liste UMP de Jean-François Copé aux régionales de 2004 appelle de nouveau, dans la matinale de France Inter, à rouvrir le débat en faveur de la recherche et de l’exploration de ces hydrocarbures non conventionnels.
« J’ai été surprise de voir combien je me suis retrouvée vers un dogmatisme, une dictature intellectuelle sur la question. Il y a un écologiquement correct et écologiquement incorrect », lâche celle qui se définit comme une « combattante pour l’environnement depuis toujours » et qui vient de publier Ras-le-bol des écolos (Plon).
- L’effet sur le climat
Ce qu’elle a dit : « Certes, il y a dix ans, les Etats-Unis ont fait de la fracturation hydraulique particulièrement polluante. Mais aujourd’hui, c’est le seul pays du monde qui a diminué ses gaz à effet de serre. Il y a peut-être un exemple à tirer. »
Pourquoi c’est faux : Les Etats-Unis, seul pays au monde à produire du gaz de schiste à une large échelle commerciale, ont effectivement diminué leurs émissions de dioxyde de carbone (CO2) dues aux énergies fossiles depuis une petite dizaine d’années. En 2012, elles s’élevaient ainsi à 5 118 millions de tonnes, contre 5 646 millions en 2002, soit une baisse de 9 %, selon les chiffres du Global Carbon Project.
Mais ces chiffres ne tiennent compte que des émissions de CO2 et non des autres gaz à effet de serre. Or, si le gaz de schiste émet trois à quatre fois moins de CO2 que le charbon, la source d’énergie qu’il tend à remplacer aux Etats-Unis, il rejette par contre beaucoup plus de méthane (CH4). Et ce gaz à effet de serre a un potentiel de réchauffement trente-quatre fois supérieur à celui du CO2.
Le sujet des fuites de méthane au-dessus des puits de gaz de schiste aux Etats-Unis fait débat entre les scientifiques. Dernière étude en date, des mesures publiées le 25 novembre dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences montrent que les Etats-Unis produisent 50 % à 70 % plus de méthane qu’estimé par l’Agence de protection de l’environnement américaine. Et la plus grande part de cet écart provient des activités pétrolières et gazières. Reste à voir, avec des calculs rectifiés, si les Etats-Unis enregistrent toujours une baisse de leurs émissions.
Notons par ailleurs que l’Union européenne, qui ne produit pas encore de gaz de schiste à une échelle commerciale, a également vu ses émissions de CO2 baisser, contrairement à l’affirmation de Maud Fontenoy. Elles sont passées de 3 965 millions de tonnes en 2002 à 3 543 millions en 2012, soit une baisse de 11 %.
- L’indépendance énergétique et la création d’emplois
Ce qu’elle a dit : « Aujourd’hui, le fait d’aller vers le gaz de schiste permettrait de diminuer le coût de l’énergie, modestement, mais surtout de ne pas avoir à acheter 98 % de notre gaz à l’étranger mais de pouvoir le produire en France, de créer de la richesse et des emplois en France. »
Pourquoi c’est loin d’être sûr : Il est exact que la France importe 98 % de son gaz (essentiellement de Norvège, des Pays-Bas, de Russie et d’Algérie), de même que 99 % de son pétrole. Mais selon une étude publiée mercredi 12 février par l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), le gaz de schiste ne changera « pas la donne » énergétique en Europe, de même qu’en France, et ne permettra pas de réduire la dépendance du continent aux importations de gaz et de pétrole.
Tout d’abord, une grande incertitude existe sur les réserves potentielles en gaz de schiste. En France, les gisements s’élèveraient à 3 900 milliards de m3, selon les statistiques l’Agence d’information sur l’énergie américaine. « Mais ces données sont entachées de beaucoup d’incertitudes », juge François Kalaydjian, directeur adjoint du centre ressources de l’Institut français du pétrole énergies nouvelles (Ifpen). Seuls des forages exploratoires permettraient de vraiment savoir ce que renferme notre sous-sol [ce que dit également Maud Fontenoy], mais la fracturation hydraulique, seule technique aujourd’hui disponible pour l’exploration et l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste, est interdite en France depuis la loi Jacob du 13 juillet 2011.
Ensuite, comme nous l’expliquions l’an dernier, en cas d’exploitation future du gaz de schiste, les coûts de production seraient bien plus élevés en France qu’aux Etats-Unis (en raison notamment de moindres équipements de forage). Le prix final serait donc moins intéressant. Si les analystes ne voient pas d’impact positif du gaz de schiste sur les prix du pétrole et des carburants, les grands fournisseurs étrangers de la France en gaz naturel pourraient par contre se voir obligés de renégocier — à la baisse — les prix inscrits dans les contrats à long terme signés par GDF Suez.
Quant aux emplois, il y a, aux Etats-Unis, six cent mille créations pour cinq cent mille forages, soit 1,2 emploi par puits, assure l’économiste Thomas Porcher. Sur cette base, il faudrait forer en France trente puits par jour d’ici à 2020 pour atteindre les cent mille emplois évoqués par certains. Un rythme très ambitieux.
- Les alternatives à la fracturation
Ce qu’elle a dit : « On parle du propane et du fluoropropane, qui seraient une alternative à la technique de la fracturation hydraulique, qui a causé énormément de dégâts aux Etats-Unis notamment (…) Aujourd’hui, on n’a pas de technique parfaitement concluante. »
Pourquoi c’est vrai : Les promoteurs du gaz de schiste n’ont plus que ces mots à la bouche : propane et fluoropropane, présentés comme des « techniques propres » pour exploiter les hydrocarbures non conventionnels, dans la mesure où elles pourraient permettre de se passer d’eau et de la plupart des produits chimiques.
En réalité, ces alternatives à la fracturation hydraulique sont encore loin d’être concluantes. La première implique ainsi d’utiliser des quantités importantes (plusieurs centaines de tonnes) de propane inflammable. Près de deux mille opérations de la sorte ont été menées par la société canadienne Gasfrac, mais elles ont majoritairement concerné des réservoirs de tight gas — des hydrocarbures non conventionnels dans des réservoirs compacts et non la roche-mère, comme pour le gaz de schiste. Le fluoropropane, qui présente l’avantage d’être non inflammable, n’a, lui, jamais été testé à grande échelle sur de la roche-mère. Et tous deux ont un inconvénient majeur : leur coût très élevé, comme le reconnaît l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) dans son rapport de novembre.
Audrey Garric