Alain Verleene, notre camarade [1].
Par Alain Blanc,
Alain Verleene a d’abord fait partie des magistrats du Nord de la France dont il est originaire, qui ont joué un rôle essentiel dans les années 70, au moment où le Syndicat de la Magistrature qui émergeait dans les juridictions et l’opinion, était mobilisé sur tous les fronts : lutte antihiérarchique, réflexion avec les centrales syndicales, et surtout définition de pratiques professionnelles nouvelles. Les témoignages de Louis Bartolomei[i] , Daniel Ludet[ii] et Jean Pierre Deschamps[iii]diffusés à chaud à l’annonce de son décès sur SMnet y font écho. Mais Alain ne faisait pas partie des « théoriciens » en vue, ni de ceux qui s’exposaient. Il parlait d’ailleurs très peu lors des réunions en public, même si dans les réunions amicales tout le monde se souvient d’un brillant causeur. On ne se lassait pas de l’entendre parler de ses dossiers d’assises, et on regrette déjà qu’il n’ait pas pu en laisser une trace. Mais il réfléchissait et il agissait, discrètement mais avec cette passion du droit comme garantie des libertés des justiciables qui a contribué à faire de lui ensuite un des juges d’instruction à la fois les plus pugnaces et les plus respectés à la fois par la police et par les avocats, puis un président de cour d’assises de référence, estimé de tous ses collègues.
Cette passion du droit n’était pas « sèche ». Elle était irriguée par une autre : celle des gens et en particulier des plus pauvres. Ses origines sociales ne sont sans doute pas pour rien dans ce mélange de discrétion et d’engagement en profondeur tout au long de son combat pour la Justice.
Il est donc arrivé juge d’instruction à Paris en septembre 1981, après avoir exercé cette fonction à Valenciennes pendant 7 ans. Il a ensuite présidé la cour d’assises à Paris à partir de 1990. Il faut se rappeler ce qu’elle était à l’époque pour mesurer l’évolution qui s’est faite dans ces années là. Alain est devenu le « coordonnateur » unanimement reconnu du groupe des 12 à 14 conseillers et présidents de chambre qui « tournaient » sur la cour d’appel pour présider les assises et il est parvenu à faire en sorte que cette juridiction, longtemps présidée par un bon nombre de magistrats médiocres, méprisants quand ils ne violaient pas le code de procédure pénale, devienne une juridiction respectée et respectable. Tout cela en faisant un travail de fond, avec nous tous – syndiqués ou non – motivés que nous étions par sa passion du droit et de la volonté que cette juridiction soit à la hauteur de ce qui la caractérise: celle ayant à juger les crimes, et associant magistrats professionnels et jurés. Ce n’est pas le lieu ici de décrire toutes les initiatives des uns ou des autres qu’il a su accompagner et diffuser. Mais pour comprendre ce qui s’est passé ensuite à partir de 2000/2001 il faut savoir que deux principes étaient au centre de ses préoccupations et de son action vis à vis des chefs de cour : préserver la qualité des audiences en refusant que soient bradés les moyens et le temps nécessaires, et garantir l’indépendance du siège à toutes les phases du processus débouchant sur les audiences : choix des présidents, élaboration par ceux ci du rôle de leurs audiences, etc… ce qui n’a pas toujours été facile. Un très beau portrait de lui dans l’exercice de ses fonctions de président de cour d’assises a été écrit par Pascale Robert Diard dans son livre « Dans le ventre de la justice ». Lisez-le. C’est lui.
On le sait peu, car il était discret, Alain était « la référence » en matière de procédure criminelle. Non seulement la chancellerie le consultait souvent officieusement, mais aussi la cour de cassation. Sans parler de nous tous, les présidents, qui à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit pouvions le consulter en cas d’incident ou de difficulté.
C’est évidemment tout cela qui explique la hargne du premier président de l’époque, J C Magendie, et de son secrétaire général[2]– pour mettre en place dès son arrivée son opération « charrette » et exclure de leurs fonctions plus de la moitié des conseillers ou présidents de chambre en charge de la présidence des assises et en particulier Alain Verleene. Cette opération menée à bien avec l’aval de l’ISJ (dont le rapport sur le sujet n’a jamais été publié), et en recourant à un jeu de « chaises musicales » dont les principales victimes étaient militantes au SM ou l’avaient été. Le point d’orgue ayant été une AG visant à entériner le projet d’organisation et de mouvements des magistrats de la cour au cours de laquelle le dit projet a recueilli plus de 60% de voix contre. Ce qui n’a rien changé à la détermination du Premier Président qui l’a mis en œuvre. Je crois pouvoir dire que cette opération a fait beaucoup de mal à Alain – et pas qu’à lui. Elle l’a miné.
Il a ensuite assumé ses nouvelles fonctions de président de chambre de la 11ème chambre dite de la Presse avec le même courage que celui dont il a toujours fait preuve. Je veux le dire ici, et je ne suis pas le seul à le penser, lorsqu’il a été « vidé » comme un malpropre de ses fonctions à la cour d’assises de Paris, Alain a en réalité payé le fait que sans être à l’époque adhérent du SM, il était identifié par tous – et en particulier par le premier président de l’époque comme ayant contribué à tout ce que le SM avait apporté à l’institution depuis qu’il était entré dans la magistrature.
[2] « Dont le Monde » indique qu’il vient d’indiquer d’être mis en examen dans le dossier Squarcini pour trafic d’influence.
[i] Je suis attristé par le départ d Alain Verleene; nous avons commencé notre carrière et 1971 à Valenciennes lui comme JI et moi comme Substitut. Nous étions dans une section de choc ; Alain était sûr et solide syndicalement parlant tout en restant toujours courtois sans jamais se départir d un petit sourire ironique qui en disait long sur ce qu’ il pensait du courage des magistrats (c est moi qui interprète son sourire pour rester dans l actualité).La section de Valenciennes est une des premières à avoir créer une boutique de droit pour renseigner le public défavorisé mais aussi pour le rapprocher de la Justice. Le PG, Jonquère de l Oriola nous menait une vie épouvantable ; nous étions le vent mauvais pour reprendre le mot du maréchal Pétain et lui était l air pur.. C est vrai qu’il n était pas engagé dans une idéologie comme nous ; il n était qu’à l’extrême droite de l’AFM (Professionnelle des Magistrats, future USM). Nous avions réussi à nous procurer un courrier adressé au G des S dans lequel il se plaignait des syndiqués qui pullulaient dans sa cour et à cause desquels la moitié des magistrats ne serraient plus la main à l autre moitié. Je garde la nostalgie de ces temps là et Alain Verleene aussi, j en suis sûr.
Louis Bartolomei
[ii] J’ai le souvenir de l’accueil, par Alain Verleene, des 4 nouveaux magistrats du TGI de Valenciennes issus de la promo ENM 78, en janvier 1980. Chaleureux, l’œil toujours rieur, engagé…C’est lui qui m’a remis ma carte de membre du SM. La section SM a animé quelque temps la vie du TGI. Une assemblée générale nous a fourni l’occasion de voter une déclaration selon laquelle, en réponse à Peyrefitte (ministre de la Justice sous Giscard, c’est pour les plus jeunes) qui avait déclenché des poursuites contre le Monde « » à la demande des magistrats », nous faisions connaître que nous n’avions pour notre part jamais demandé de telles poursuites…. Alain était là, jubilant…. Il est parti. Il a fait partie, dans le Nord Pas de Calais, de la bande syndicale dont les combats des années 70 ont contribué à donner une image moins archaïque de la Justice. C’est notre jeunesse qui s’en va un peu avec lui, jeunesse syndicale, jeunesse personnelle. Il mériterait un hommage du SM d’aujourd’hui, avec lequel il avait pris un peu de distance, je crois. Il ale mien, en tout cas, et celui de beaucoup d’autres….
Daniel Ludet
iii Hollande François aurait mieux fait de se taire et Alain Verleene de ne pas mourir, mais c est comme ça. Inéluctablement Hollande est devenu logorrhéique, tient donc des propos désordonnés et tape sur tous le monde dans un bouquin dont on ne voit pas très bien l utilité. Alain était un juge, de ceux qui ont été dès le début de leur carrière membre du syndicat de la magistrature, cette organisation qui a introduit dans un corps un peu endormi l idée que tout était politique y compris l acte de juger. C était un juge qui ne se posait pas la question du courage. Courageux, il l’était bien sûr dans sa fonction de juge d instruction ; pour mémoire (si j’en ai) l’affaire des Irlandais de Vincennes. Il se posait beaucoup je crois la question de la préservation la part d humanité de tous lorsqu’ il présidait des cours d assises. Alain c’était quelqu’un qui passait toujours au moins une tête lors de nos congrès, qui regardait avec un sourire un peu goguenard et amusé, intervenait parfois mais Hollande François ne l’avait sans doute jamais rencontré, ou alors il y a si longtemps … Alain aurait mieux fait de rester avec nous pour qu’un peu désespéré quand même, on se tape sur les cuisses en lisant le bouquin de François Mais voila François est devenu con et Alain est parti …Au revoir Alain…
Jean Pierre Deschamps