Aux Plaisirs des thés, chez Arielle et Christophe © Elodie Ratsimbazafy
On est venus souvent y (bien) manger, pendant cette année de blog. C’est même devenu notre coin à interviews, histoire d’allier travail et glace au lait d’amande. Bien d’autres que nous apprécient les Plaisirs des thés, le petit salon de thé d’Arielle Kharoubi et Christophe Diot, rue Houdan, qui ne désemplit que lorsqu’il ferme. Y compris le samedi où il est impératif de réserver si l’on veut avoir une chance de s’attabler devant une unique « Assiette du ça me dit », sans en connaître le contenu, en confiance.
Qu’est-ce qui fait la recette d’un lieu où l’on se sent bien ?
La patronne. Forcément sympathique.
Arielle, ses interminables cheveux noirs et ses tenues franchement plus bohèmes que la norme scéenne. Arielle qui connaît Sceaux depuis toujours même si les prix de l’immobilier l’empêchent désormais d’y résider – quand ses parents commerçants, eux, le pouvaient. Elle a passé son enfance dans ce qui était jadis le magasin de chaussures de sa mère, Denise, et de son père, Jean. Cendrillon, ouvert en 1952. «Le premier chausseur de la ville, se souvient-elle. Au début, il y avait tellement de monde qu’on distribuait des jetons à numéros aux clients qui patientaient. On vendait du Dior, du Jourdan, du Bally…» Lieu féérique pour une enfant s’imaginant marchande au milieu des boîtes, dans les réserves. Surtout dans sa préférée, la réserve homme, un grand trou avec une échelle en bois dans la cour pavée. Au décès de son père, Arielle doit arrêter son école de création de bijoux et reprendre l’affaire. Pas le choix. Elle a 16 ans et demi. Plus tard, elle convainc sa mère de transformer le magasin de chaussures en boutique cadeaux (Pomme d’amour), avant de lui racheter le fonds, en 2005. Son compagnon Christophe, menuisier, fabrique alors de ses mains le salon de thé, y compris les tables.
La cuisine. Forcément goûteuse.
Arielle et Christophe concoctent tout eux-mêmes le matin avec des produits frais, tentant de se partager l’unique four de la minuscule cuisine sans trop de dégâts pour leur couple. Tartes, gâteaux. Et deux assiettes du jour, un régal accompagné de thé Mariage frères, pour douze euros. Hier, c’était loup de mer en papillote. Arielle ne rêve pas de faire fortune, elle veut « que tout le monde puisse bien manger », « que les vendeuses d’en face viennent, pas tous les jours mais souvent».
Les assiettes du jour portent le nom de couples de clients fidèles. © Elodie Ratsimbazafy
Le décor. Forcément chaleureux.
Vieilles (et authentiques) enseignes. © E.R
Pas le genre salon de thé chic et guindé, plutôt brocante où l’on pourrait s’asseoir, prendre un verre, et se divertir l’œil. Le couple est pathologiquement chineur. Il paraît que l’ambiance, à la maison, est à la même accumulation d’objets des années 1930 à 1950 qu’ici. « D’ailleurs, on a l’impression de recevoir chez nous», réalise Christophe. Curiosité numéro 1: une grand meuble de bois couvert de 70 petites plaques émaillées, numérotées, au-dessus desquelles sont creusées des fentes. Les habitués adorent faire deviner l’usage de ce meuble à leurs invités. Il paraît que les enfants sont les plus forts à ce jeu. Ils parlent de tirelire géante. Pas loin…
Ce meuble intrigue tous les nouveaux clients. © Elodie Ratsimbazafy
C’est un meuble à pourboires, pour les serveurs. Une cliente quasi-centenaire a dit un jour à Arielle avoir vu le même, il y a fort longtemps, dans un club huppé.
Partout où l’on regarde, des alignements, des entassements, des collections. Boîtes métalliques décorées, sucriers 1930, pots de confiture en ferraille qui ressemblent à des petits seaux de plage, plaques émaillées. « Aux braves territoriaux », pour la chicorée Black. Ou « ça va seul », crème pour chaussures.
Arielle et Christophe ont l’art du détourné. Une antique pompe à incendie fait office de porte-parapluies. Devant la vitrine, des pots à lavement soutiennent des plantes. Ce qui n’a pas manqué d’horrifier certaines grand-mères, les seules à reconnaître l’objet.
Régulièrement, les clients enrichissent les collections, pour le plaisir d’ajouter leur touche. Arielle reçoit souvent des cadeaux, des fleurs (souvent) aux essuie-mains verts de la couleur exacte des toilettes, qu’elle cherchait désespérément. C’est une cliente qui les lui a trouvés, et lui a même cousu les accroches pour les suspendre. « Arielle, c’est un amour de femme, explique son compagnon, totalement objectif. Elle embrasse toutes les mamies, elle les connaît par leur prénom, elle sait ce qu’elles vont prendre, ça les touche ». Les couples qui réservent ont droit au « Cake d’ Olivier. L’assiette de Carole», sur le tableau noir du menu.
L’ambiance. Forcément conviviale.
Le commerce s’est imposé à Arielle mais elle ne semble plus en vouloir au sort. Il n’y a qu’à l’entendre parler de ses clients. « Ici, on n’a que les gens sympas ». Le midi, cela brasse, même les hommes osent le salon de thé. « On a un professeur de Lakanal trois ou quatre fois par semaine, un vétérinaire tous les mardis, un kiné tous les vendredis ». En début d’après-midi, la moyenne d’âge grimpe brutalement. « Les personnes âgées qui ne reçoivent plus chez elles, parce que c’est trop fatigant, se donnent rendez-vous ici ». Vers 16 heures, c’est l’heure des mamans. « Il y en a de deux catégories : celles qui viennent s’offrir ce petit plaisir entre copines juste avant la sortie des classes et celles qui viennent juste après avec les enfants ». Certaines grand-mères se laissent volontiers traîner jusque-là par leurs petits enfants pour un rituel à base de fondant au chocolat. « Elles adorent leur montrer les objets, leur dire « Regarde, ces boîtes, je les ai connues » ».
Détails dans la boutique. © Elodie Ratsimbazafy
Arielle voit les clients vieillir – les mamies, un beau jour, venir seules, et les petits accrocs du fondant la solliciter pour un stage de troisième. Elle se plaît à créer des liens entre eux : « Ils se saluent, se resaluent, échangent quelques mots, et quand il manque une table, je leur dis que je les mets ensemble, qu’ils seront mieux comme ça pour discuter…». La table de quatre du milieu se transforme souvent en table d’hôtes. Petite attention pour personnes seules.
Arielle qui réside désormais à Epinay-sur-Orge a pris du champ depuis l’époque où elle jouait à la marchande. « Quand on habite ici, on imagine que c’est partout comme ça. Mais Sceaux, c’est une bulle ! Un petit village privilégié. Même les panneaux de signalisation sont peints en bordeaux recto verso ! » Alors se demande-t-elle, pourquoi est-ce que certains râlent ?
Il fait le sucré, elle fait le salé. © Elodie Ratsimbazafy