Déjeuner familial. Marielle et Pierre Blanchier sont parents de douze enfants (dix garçons, deux filles) âgés de moins d’un an à 20 ans. (Photo Louise Oligny)
Marielle Blanchier a l’habitude, elle ne s’en formalise plus. Quel que soit le profil de ses interlocuteurs, la simple évocation de sa très nombreuse progéniture déclenche un flot ininterrompu de questions, mêlant curiosité et suspicion. Pourquoi donc a-t-elle eu douze enfants ? Est-ce bien raisonnable en 2013 ? Comment peut-elle donner suffisamment d’attention, d’amour à chacun d’entre eux ? Est-ce que ce sont les plus grands qui élèvent les plus petits ? Est-elle catholique pratiquante, opposée à la contraception ? Comment fait-elle pour les courses, les repas ?
Chacun des articles que nous avons consacrés dans le blog de Sceaux, l’an dernier, à cette chimiste de formation, diplômée de l’Essec, que rien ne destinait à donner douze fois la vie, a été commenté par des centaines d’internautes, pour moitié admiratifs, pour moitié critiques, voire haineux. Racontée dans des posts sur la préparation de la rentrée, les astuces pour faire des économies, la fête des mères ou le douzième enfant attendu, la vie de cette mère de famille ultra-nombreuse a suscité autant de fascination que de répulsion. Elle semblait en tous cas ne laisser personne indifférent.
Marielle en a été très frappée, s’est interrogée sur la violence de certaines de ces réactions comme sur les compliments parfois dithyrambiques apportés par d’autres commentaires – elle qui ne se considère aucunement comme une héroïne des temps modernes. Pour répondre aux uns, comme aux autres, elle a souhaité raconter dans un livre son choix de vie à contre-courant de l’époque. Aller à l’encontre de quelques idées reçues. Partager le bonheur de cette vie de famille hors de commun, et certaines de ses « recettes », éducatives ou culinaires. Nous l’y avons aidée. Ce livre, Et ils eurent beaucoup d’enfants …, est paru le 15 mai (éditions Les Arènes, 213 pages, 18,50 euros).
En voici quelques morceaux choisis:
Les cadeaux de fête des mères
« Voilà donc maintenant une bonne quinzaine d’années que je récolte ma petite moisson de cadeaux et de poèmes. Au fil du temps, les toilettes du rez-de-chaussée de la maison se sont transformées en musée de la fête des mères. Elles ont l’avantage d’être fermées, ces œuvres d’art ne frisant pas forcément le sublime. Evidemment, nous ne pouvons pas tout garder, ce serait trop encombrant. Certains cadeaux peuvent disparaître comme par magie une fois le temps minimal d’exposition écoulé, celui au-delà duquel les enfants ont oublié…
Beaucoup de choses cassent, aussi, dans le mouvement perpétuel de la maison. En gros, résiste au temps ce qui s’accroche. Ce qui se pose, et ne se brise pas immédiatement, effectue un circuit immuable dans la maison : une petite table dans le salon, puis le plan de travail de la cuisine, entre l’évier et le réfrigérateur. Tout près de la poubelle… Au bout d’un moment, si l’enfant n’a pas repris son œuvre pour la remettre sur la table d’exposition, je sais que je peux la laisser glisser jusque dans la poubelle sans vexer personne. Sinon, c’est reparti pour un tour qui dure parfois un an ! »
L’accouchement
« Les enfants viennent à la clinique dès qu’ils peuvent, le soir ou le lendemain, c’est important qu’ils me voient en bonne santé. Mais ce n’est pas un endroit fait pour eux. (…) Ils doivent rester dans la chambre, parler doucement, se tenir bien, ne pas manger le yaourt de maman, ne pas coller partout les Carambar que j’ai apportés pour qu’ils n’engloutissent pas mon plateau-repas. A la naissance de Charles, Pierre-Eloi a pénétré dans la chambre en demandant « Où sont les Carambar ? ». Je lui ai suggéré en souriant de s’intéresser une seconde au bébé dans le berceau avant de chercher les bonbons. »
Départ pour l’école (photo L.Oligny)
Donner la vie
« Une famille si nombreuse représente à la fois une immense joie et un renoncement. A notre époque, en Europe, c’est faire un choix décalé. Se mettre un peu en marge de la société. Je le vis comme un chemin de liberté. Nous renonçons aux week-ends en amoureux. Compliqué, trop d’enfants à caser. Et à tout une série d’autres choses qui, à bien réfléchir, ne nous font pas tant envie que cela. Alors que tous les jours, en regardant Espérance et Charles, je me dis que j’ai vraiment reçu des cadeaux précieux.
Douze enfants, je comprends que cela puisse faire peur. Mais ils ne sont pas seulement nos enfants, ils sont les enfants du monde, de la vie. (…) Mes premiers enfants, je les ai eus un peu pour moi, parce qu’il me fallait une famille. Mais à partir de Félix, notre huitième, le désir de donner la vie a remplacé le désir d’avoir des enfants, de « posséder ». C’est devenu davantage gratuit. Une sorte de don. »
Les pires moments de l’année
« Comme n’importe quel parent du monde, je me laisse parfois gagner par l’énervement. Il y a d’abord ces moments particuliers de l’année où tout s’emballe. Les semaines de gastro-entérite, l’hiver, quand tous les enfants sont malades les uns après les autres, ou pire, ensemble, et que nous-mêmes commençons à ne pas nous sentir dans notre assiette… La frénésie du mois de juin, surtout, quand je me retrouve, à la maison, à tenter de gérer entrées et sorties. Certains sont quasiment en vacances, alors que pour d’autres, il faut maintenir la pression scolaire (…).
C’est la période où je dois jongler avec deux fêtes de l’école simultanées, quand il n’y a pas une fête de la crèche comme cerise sur le gâteau. Les déguisements, les gâteaux, les fêtes du judo, des scouts, les représentations, les confirmations, les anniversaires des copains avec cadeaux à prévoir, toutes les inscriptions pour les loisirs, les camps à préparer, donc les vaccins, les certificats médicaux, les passeports, les visas… Quand enfin arrive le mois de juillet, je me dis, soulagée, qu’un cap est passé. « On s’en est tirés pour cette année ! » »
L’art de faire trois choses à la fois (Photo L.Oligny)
Les anniversaires
« Nous avons compris deux ou trois choses, côté organisation. Qu’il vaut mieux essayer de ranger au fur et à mesure. Que la barbe à papa se fabrique à l’extérieur si l’on veut éviter les fils de sucre collés une semaine au plafond. Que le tapis à glisser enduit de savon, sur lequel on se jette depuis le toboggan, peut se révéler un brin dangereux. Comme les combats d’épées-bâtons pour les autres enfants que les nôtres, moins coutumiers de ce genre de périls. Que certaines activités créatives présentent un mauvais rapport entre l’énergie déployée par les parents et le temps d’occupation des enfants. Et qu’un dîner suivi d’un bon film en sous-sol, arrivé à un certain âge, c’est bien aussi ! »
Confection de roses des sables en famille (Photo L.Oligny)