À l'approche du procès de Michel Neyret, l'ancien sous-directeur de la PJ de Lyon, et des autres policiers impliqués dans ce dossier, on va évidemment reparler de la gestion des indics. On pourrait croire ce problème derrière nous : la police de papa, c'est fini ! mais il n'en est rien. Dans ce domaine, comme dans d'autres, à tout vouloir borner, on a tellement compliqué les choses que même Vidocq, le roi des indics, y perdrait son latin.
Alors, entre le tuyau reçu au zinc d'un bistrot et le brouillamini mis en place depuis une dizaine d'années, tentons d'y voir clair. Ce n'est pas gagné !
La loi du 9 mars 2004, dite loi Perben II, prise pour " adapter la justice aux évolutions de la criminalité ", est considérée comme le premier pas vers une " officialisation " des sources, qu'elles soient techniques (hors écoutes téléphoniques) ou humaines. Même si, pour le flic de terrain, c'est plutôt la " jurisprudence " Neyret qui a marqué les esprits.
Donc, plus question d'avoir un indic sans en rendre compte à son patron, qui en rendra compte à son patron, qui informera le directeur central de la PJ dont dépend le bureau central des sources (BCS). Lequel est rattaché, comme chacun le sait, au SIAT, c'est-à-dire le Service interministériel d'assistance technique. Ce service, qui a curieusement pris comme logo le négatif du logo de la DCPJ (Clemenceau n'est plus blanc mais noir), a été créé pour être le fer de lance de la loi Perben II. Autrement dit, pour parler comme des agents secrets - qui d'ailleurs n'ont pas de comptes à rendre au BCS -, non seulement, il gère le ROHUM (renseignement d'origine humaine) mais également une partie du ROEM (renseignement d'origine électromagnétique), via les sonorisations et les bidouillages informatiques. Et bientôt, probablement, le ROIM (renseignement d'origine image), qui est pour l'instant plutôt l'apanage des armées, via les nacelles de reconnaissance embarquées, les drones et autres satellites. Il manque à mon énumération les caméras de surveillance, lesquelles, du moins à ma connaissance, ne sont pas reliées à un ordinateur central.
Les indics - En fait, il faut désormais parler de sources humaines. Un vocabulaire emprunté aux services de renseignement, alors que ceux-ci, comme on vient de le voir, adoptaient un jargon plus technique. Dorénavant, l'indic fait l'objet d'une enquête (de moralité ?). Il est fiché, immatriculé, évalué, noté et, éventuellement, rémunéré. Et son " traitant " doit rendre des comptes au BCS. L'administration a donc définitivement pris le pas sur une pratique aussi vieille que la police. Une pratique que l'ancien bagnard Eugène-François Vidocq avait institutionnalisée après avoir été recruté pour devenir chef d'une brigade de police. Une brigade composée d'anciens taulards. Des repentis, en quelque sorte. C'était il y a plus de deux siècles.
Mais de la théorie administrative à la pratique de terrain, il y a un fossé. La relation amicale qui peut exister entre un flic et un voyou ne supporte pas la mise en carte. Même si elle frôle l'irrégularité. " Jamais je ne donnerai le nom de cette prostituée qui m'a balancé son proxo et l'équipe de braqueurs qui tournait autour, m'a dit un commissaire. Et lorsque sa vie a été menacée, je l'ai " exfiltrée " par mes propres moyens, en lui fournissant de faux papiers. "
L'infiltré - C'est un agent ou un officier de police judiciaire, spécialement habilité, lâché pour la bonne cause dans un monde cruel, et surtout criminel, en se faisant passer lui-même pour un braqueur, un terroriste, un trafiquant de drogue, ou autres méchants. Il peut, pour les besoins de sa mission, et sans être tenu pénalement responsable, commettre certains actes répréhensibles comme acheter, détenir, transporter ou livrer de la drogue, des armes, etc.
Cette mission à hauts risques doit se faire avec l'accord du procureur de la république, ou éventuellement à la demande du juge d'instruction, lorsqu'une information judiciaire est ouverte.
Au passage, les juristes noteront que la responsabilité civile semble subsister : les proches de la victime d'une overdose, par exemple, dont la drogue proviendrait d'un agent infiltré, pourrait donc - probablement - demander réparation à l'État.
Le collaborateur de justice - C'est un repenti, autrement dit un justiciable qui a viré casaque. Il faut faire cependant une distinction entre le repenti précoce et le repenti tardif.
Le repenti précoce est celui qui se manifeste avant de passer à l'acte et qui permet ainsi d'éviter que ne se commette le crime ou le délit envisagé, et, éventuellement, d'identifier ses complices (art. 132-78 du CP, al. 1). Il peut agir d'initiative ou sous la pression des enquêteurs. Ceux-ci bénéficient en effet de deux arguments chocs pour convaincre un " client " : l'exemption de peine et les mesures de protection et de réinsertion prévues par les textes. De plus, si le repenti accepte le risque, la tendance est forte d'en faire un infiltré. Dans le temps, ce genre de situation se réglait entre quatre yeux, et le policier s'arrangeait pour que son indic ne soit pas inquiété. Aujourd'hui, il va passer par la case justice. La décision doit être prise en amont de la procédure car il n'est pas évident ensuite de caviarder un dossier pour en sortir un suspect.
" Nous avions pour consigne d'écarter la source de nos procès-verbaux... ", déclare un gendarme, pour justifier d'avoir " bidouillé " une procédure. Un truc qui peut valoir à son auteur quinze ans de réclusion criminelle. La citation est extraite d'un article du Monde daté du 27 avril 2016 concernant deux gendarmes de la Section de recherche de Paris, récemment mis en examen pour complicité des malversations commises par leurs indics. L'affaire est un bon exemple d'une mauvaise interprétation de la loi sur les repentis. En 2010, deux hommes sont interpellés pour escroquerie. Sous promesse de la mansuétude de la justice (et je suppose avec l'accord d'un magistrat) ils acceptent de coopérer avec les gendarmes. Ils deviennent donc : 1/ des repentis tardifs - 2/ des collaborateurs de justice - 3/ des infiltrés. Bon, dans cette affaire, les gendarmes se sont fait balader et il semblerait que leurs deux " tontons " aient utilisé leur protection pour embarquer un magot d'environ trois millions d'euros. Si vous êtes abonné au journal, il faut lire ce papier de Julia Pascual, ça vaut le détour.
Le repenti tardif est un individu qui a participé à un crime ou un délit et qui décide de collaborer avec la justice pour faire cesser l'infraction, ou pour éviter un dommage plus grand, ou pour éviter un nouveau crime ou délit de même nature (un autre attentat, par exemple), ou pour identifier les auteurs ou complices (art. 132-78 du CP, al. 2 et 3). C'est du moins l'aspect montrable. En fait, l'individu mis en cause ne vise le plus souvent qu'à se dédouaner.
C'est ainsi qu'en supposant qu'il passe un accord avec la justice française, Salah Abdeslam pourrait voir sa peine réduite. Surtout si l'enquête démontre qu'il a renoncé volontairement à déclencher sa ceinture explosive, ce que son avocat belge, Steve Mary, ressasse à longueur d'interview. D'où l'envie soudaine d'Abdeslam d'être transféré en France...
Mais au-delà d'une réduction de peine, au demeurant difficilement acceptable par les victimes des attentats du 13/11, Abdeslam peut négocier la protection de sa famille. Laquelle a semble-t-il fait l'objet de menaces sérieuses.
C'est le SIAT qui est chargé de la mise en œuvre des mesures de protection et de réinsertion, lorsque de telles mesures sont décidées par la commission ad hoc. Celle-ci, placée, près du ministre de l'Intérieur, comprend trois magistrats et un représentant de la police, un de la gendarmerie, un des douanes. Elle est saisie par le procureur ou le juge d'instruction et les pièces du dossier sur lequel elle prend sa décision ne figurent pas dans la procédure judiciaire. Tout cela doit rester secret. La Commission décide des mesures de protection à prendre, aussi bien en ce qui concerne le repenti que sa famille. Elle peut décider également de mesures d'aides matérielles et de réinsertion. Et même évaluer la nécessité de recourir à une identité d'emprunt.
Le repenti très tardif - L'article 721-3 du code de procédure pénale prévoit également la possibilité d'une réduction de peine pour les personnes déjà condamnées lorsque leurs confidences peuvent mettre fin à un crime ou un délit ou éviter qu'il ne se commette. La réduction peut atteindre le tiers de la peine prononcée antérieurement. Un taulard qui devient un " collabo de justice ", y'a de quoi plomber l'ambiance dans les prisons !
Il est normal de s'interroger sur ces mesures dont l'inconvénient premier est un coup de canif dans un principe essentiel : tout le monde est identique devant la loi pénale. Mais voilà, nous sommes dans une société pragmatique... Il est quand même étonnant, alors que l'on ne cesse de mettre en avant la preuve scientifique, de voir que le cafardage ne s'est jamais si bien porté.
La chasse aux tuyaux et à la délation a donc encore un bel avenir dans les enquêtes de police. Seule différence avec l'époque de Michel Neyret : la responsabilité a changé d'étage. Et cela se vérifie dans d'autres domaines. Peu à peu, le policier, le gendarme, doit renoncer à ce qui faisait le piment du métier : les enquêtes deviennent plus scientifiques et plus procédurales, les auditions plus encadrées, les arrestations difficiles sont réservées aux services de pointe, la hiérarchie contrecarre toute initiative... et les indics sont " fonctionnarisés ". Le flic y gagne en tranquillité d'esprit mais perd un peu de son aura. Et le romancier va devoir chercher d'autres héros.
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