Lors de son discours de Versailles, devant les cercueils de Jessica Schneider et Jean-Baptiste Salvaing, les deux fonctionnaires de police assassinés à Magnanville, François Hollande n'a pas prononcé le nom de leur meurtrier. Il a parlé de ces " barbares qui commettent des horreurs au nom d'une religion qu'ils défigurent et qu'ils dévoient ". Et d'une guerre qui sera longue...
Ensuite viendront les revendications, presque de principe, pour se donner l'impression que l'on fait quelque chose, que plus rien ne sera comme avant. Plus de moyens, exige ce policier qui, tendu, rigide, refuse la main de François Hollande ; le droit de porter son arme à tout moment, réclament les syndicats. Et puis la possibilité de cacher son nom, comme déjà d'autres collègues le font, dans les services de renseignement. Avec le risque pour les policiers, ceux-là mêmes qui ont manifesté pour qu'on les aime, de se couper de la population, de s'isoler. Et dans ma tête courent ces mots terribles lâchés dans l'émotion de la marche blanche à Magnanville : " Nous sommes tout seuls... Nous sommes tout seuls contre tout le monde. "
Mais le président de la République n'a pas prononcé le nom de l'assassin de Jessica Schneider et Jean-Baptiste Salvaing. Et de son discours, c'est ça qu'il faut retenir, ce qu'il n'a pas dit.
En s'abstenant de prononcer son nom, il a emboîté le pas au directeur du FBI qui, après l'attentat d'Orlando, a déclaré qu'il se refusait d'appeler l'assassin par son nom. Un individu capable d'un tel acte n'a pas de nom, il n'appartient pas à notre communauté. La communauté des hommes.
Alors que rien n'a marché pour lutter contre le terrorisme, alors qu'à présent les autorités mêmes avouent leur impuissance en nous promettant des lendemains ensanglantés, il y a peut-être là l'amorce d'une solution : ignorer ces individus qui, en prenant leur dieu pour alibi, sont capables des pires exactions. Il faut les anonymiser, les tuer civilement. Une peine capitale sans guillotine. C'est d'ailleurs ici, à Versailles, à quelques pas de cette cérémonie à la mémoire de ces deux fonctionnaires de police, qu'a eu lieu la dernière exécution capitale en public. Tiens, c'était justement un 17 juin, en 1939. Il y a 77 ans jour pour jour. L'exécution fut un véritable spectacle et dès le milieu de la nuit, la foule se pressait devant l'ancienne prison Saint-Pierre. Il fallait être là pour voir la tête d'Eugène Weidman, " l'homme au regard de velours ", condamné pour le meurtre de cinq femmes, rouler dans la corbeille. Il faut dire que Weidman était devenu une star. En prison, il recevait des tas de lettres d'amour, de soutien, et même des fleurs. Il était adulé et la justice, en plus, lui fournissait l'occasion de finir comme un héros de tragédie grecque. À se demander si la peine de mort n'était pas plus incitative que dissuasive. Pour mettre un terme à toute équivoque, Édouard Daladier, le président du Conseil, fit interdire les exécutions publiques.
Il y a une leçon à en tirer. Devons-nous entrer dans le jeu de ces terroristes exhibitionnistes ? Notre démocratie, malmenée par la lutte contre le terrorisme, ne peut-elle pas effacer leur nom tout simplement ? Cela ne les empêchera pas d'engendrer le malheur, mais ils sauront qu'ils le font pour rien. Personne ne prononcera leur nom. Le procureur ne donnera pas leur curriculum. Et, s'ils ont choisi la mort, ils doivent savoir qu'ils ne seront pas enterrés comme de vrais musulmans et que leur dépouille ne sera pas rendue à leur famille. Elle sera incinérée, en catimini, dans l'anonymat le plus complet. Et personne, jamais, n'ira jeter une poignée de terre sur leur tombe.
Et personne jamais ne pourra se revendiquer de leurs actes, car ils ne seront ni des héros ni des martyrs. Ils seront rien.
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