Une Cour de sûreté antiterroriste !

Publié le 04 septembre 2016 par Alainhdv

À l'approche des élections présidentielles, les (grands) esprits s'efforcent de nous persuader qu'ils ont trouvé la solution miracle pour lutter contre le terrorisme. Le plus simple, affirment certains, serait de réformer la Constitution, afin de rendre légales des mesures illégales, comme l'enfermement administratif des Français faisant l'objet d'une fiche S (les étrangers, eux, les veinards, étant seulement expulsés). C'est l'avis de notre ancien président Nicolas Sarkozy. Pourquoi pas ! Après tout, François Hollande a bien voulu changer la Constitution pour y inscrire la déchéance de nationalité ! Sarkozy veut également créer une " Cour de sûreté antiterroriste ", sur le modèle de l'ancienne Cour de sûreté de l'État et un parquet antiterroriste.

Holà ! Pas question lui répond François Molins, le procureur de Paris, en s'immisçant dans le débat politique. Il y a déjà un procureur national antiterroriste, et c'est moi ! " Depuis, trente ans, dit-il aux journalistes du Monde (3 sept. 2016) la justice antiterroriste fonctionne de manière centralisée et spécialisée. Le dispositif actuel est un gage d'efficacité et de cohérence [...] Quant à la cour d'assises spéciale, elle a son propre fonctionnement, sans jury. "

Le procureur de Paris fait référence à une loi qui a effectivement 30 ans - presque jour pour jour, puisque la première loi antiterroriste a été votée le 9 septembre 1986. Pour la petite histoire, c'est Jacques Chirac, alors qu'il vient d'être nommé chef du gouvernement par François Mitterrand (c'est la première cohabitation), qui, dans son discours de politique générale du 9 avril 1986, annonce " la création dans le Code pénal d'un crime de terrorisme ". Vous voyez, déjà 30 ans - et même plus - que les hommes politiques nous promettent de terrasser le terrorisme ! Il faut reconnaître que la formule est futée. La juxtaposition des mots " crime " et " terrorisme " est un message compréhensible de tout le monde. Il fait mouche. Mais ce n'est qu'un coup de com' politique car le Code ne donne aucune définition légale du terrorisme. Ce n'est que six ans plus tard qu'une nouvelle loi introduit dans le Code pénal le délit spécifique " d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ". Encore aujourd'hui, c'est la bouteille à l'encre de la lutte antiterroriste.

La Cour d'assises spéciale - Cette cour d'assises, dont François Molins vante l'efficacité, a été raboutée à la loi antiterroriste de 1986. On peut même dire qu'on la doit à Régis Schleicher. En effet, lors de son procès, en décembre 1986, ce dur des durs d'Action directe profère des menaces de mort contre les jurés. Cinq d'entre eux se font porter pâles en présentant un certificat médical, le seul moyen d'être dispensé de siéger comme juré. Le procès est annulé. C'est ainsi qu'en catastrophe, nos parlementaires ajoutent un additif à la loi antiterroriste : dorénavant, les infractions criminelles en rapport avec le terrorisme seront jugées par une cour d'assises spécialement constituée. En fait, son fonctionnement est identique aux autres cours d'assises, sauf qu'elle siège à Paris et qu'elle est formée uniquement de magistrats professionnels. On peut estimer frustrant que les auteurs d'attentats terroristes échappent à la justice populaire, alors même que c'est le peuple qui est la victime, mais on n'a rien trouvé de mieux.

Si j'ai bien compris le message, Nicolas Sarkozy envisagerait de remplacer cette Cour d'assises spéciales par une autre, sur le modèle de la Cour de sûreté de l'État.

La Cour de sûreté de l'État - Nous sommes dans les années 60. Quelques mois après une réponse sans ambiguïté des Français en faveur de l'autodétermination en Algérie, une partie de l'armée entre en sédition. Le 23 avril 1961, dans un discours célèbre, le président Charles de Gaulle déclare : " Un pouvoir insurrectionnel s'est établi en Algérie par un pronunciamiento militaire... ". Tandis que le Premier ministre Michel Debré perd ses nerfs et annonce que des paras vont être largués sur Paris. Et ce broyeur de noir appelle la population à prendre les armes - " dès que les sirènes retentiront ". Devant la menace, malgré tout réelle, de Gaulle fait jouer l'article 16 de cette Constitution de guerre qu'il a fait adopter quatre ans plus tôt - cette Constitution qui aujourd'hui nous fait tant de mal. Et il prend les pleins pouvoirs. C'est ainsi qu'en ce joli mois d'avril 1961, la France n'est plus une démocratie.

Dans le même temps, le grand homme décide de créer une juridiction d'exception : le Haut tribunal militaire. Un an plus tard, jugé trop clément, ce tribunal est remplacé par la Cour militaire de justice. Manque de chance, au grand dam de Charles de Gaulle, qui fustige ces légalistes pointilleux, le Conseil d'État met son veto pour non-respect des principes essentiels du droit.

Finalement, le 15 janvier 1963 la Cour de sûreté de l'État voit le jour. Cette juridiction d'exception, mi-militaire, mi-civile, était sans doute plus appropriée pour juger les membres d'une organisation terroriste, l'OAS, composée de civils et de militaires radiés du corps. (Les généraux putschistes furent réintégrés en novembre 1982.)

Elle donne des pouvoirs exceptionnels (pour l'époque) aux enquêteurs, comme les perquisitions de jour comme de nuit, un premier délai de garde à vue de 48 heures, avec un renouvellement possible jusqu'à dix jours, etc. L'autre jour, un ancien de la DST, m'en parlait avec des trémolos dans la voix. C'était le bon temps ! En tirant sur la ficelle, on pouvait même gratouiller quelques jours de plus.

La Cour de sûreté de l'État était destinée à juger les crimes et délits commis contre la sûreté (intérieure et extérieure) de l'État - en temps de paix. Car, en temps de guerre, ceux-ci étaient poursuivis " par les autorités des forces armées investies des pouvoirs judiciaires " (Ord. du 4 juin 1960). Cette cour était compétente pour poursuivre les iconoclastes qui s'en prenaient à la Nation (le mot terroriste n'était guère utilisé) et les espions. Mais elle pouvait poursuivre également les auteurs d'une ribambelle de crimes et de délits de droit commun, lorsqu'ils avaient pour objectif de " substituer une autorité illégale à l'autorité de l'État " (art. 698 CPP). Dans les faits, après les retombées de la guerre d'Algérie, elle ne fut guère utilisée que pour des affaires d'espionnage. Elle fut supprimée en 1981.

La Cour de sûreté de l'État pouvait être saisie soit de sa propre initiative, soit à la demande du gouvernement, mais dans tous les cas cela nécessitait un ordre écrit du ministre de la Justice. Elle était donc en prise directe avec le pouvoir politique.

La Cour de sûreté antiterroriste - À quoi ressemblerait cette éventuelle juridiction d'exception ? La première chose, évidemment, serait de créer un statut de procureur national antiterroriste. Comme cela a été fait en matière financière, après l'affaire Cahuzac. Sur le plan de l'efficacité, François Molins n'en voit pas l'intérêt. Il a peut-être raison. Mais pour l'opinion publique, ce serait indéniablement un plus. Il est en effet assez incompréhensible pour bon nombre de gens de voir débarquer le procureur de Paris dans une ville de province. Je suis de ceux-là !

Mais au-delà du pré carré de chacun, la question cruciale est de savoir comment cette Cour spéciale pourrait s'intégrer dans notre système judiciaire sans trop dénaturer l'État de droit.

En fait, une bonne partie du chemin a déjà été effectuée. Ces toutes dernières années, on peut dire que la barrière entre police judiciaire et police administrative a été quasi supprimée. Et l'état d'urgence, quasi permanent, n'a fait qu'empirer les choses. Il ne serait donc pas autrement surprenant d'assister à la naissance d'une sorte de juridiction mixte composée de magistrats en prise directe avec le gouvernement. Bien sûr, ce serait la fin de la séparation des pouvoirs, mais entre nous, qui y croit encore !

Même si je le regrette, je pense, hélas ! que nous allons droit vers cette solution. D'autant que, historiquement, les périodes préélectorales voient souvent une recrudescence des attentats terroristes - ce qui ne manquera pas d'attiser la surenchère politique.

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