Prescription pénale : la patate cachée derrière l’infraction cachée

Publié le 16 octobre 2016 par Framcisco

Le temps qui passe doit-il estomper un crime ou un délit au point que son auteur ne sera jamais poursuivi ? À cette question, le système juridique français répond oui. C'est le droit à l'oubli. La prescription extinctive de l'action publique. Cette mansuétude trouve son fondement dans le fait qu'au bout d'un certain temps, il ne serait pas souhaitable de raviver le souvenir d'une infraction. Pour des raisons de tranquillité publique, diront les ingénus, mais en réalité pour masquer la défaillance de la société.

Le principe de la prescription existe depuis la nuit des temps, mais aujourd'hui, cette mesure rencontre une hostilité certaine, probablement en raison de cette mémoire informatique qui a bouleversé notre monde. Une simple recherche sur Google nous ramène des années en arrière ! Et alors que la prescription était là pour ne pas raviver les souvenirs, elle apparaît maintenant comme un instrument de l'injustice.

Aussi, les juges n'hésitent plus à piocher dans le panier aux arguties pour tordre le droit au nom de la justice.

Car une infraction qui ne fait pas l'objet de poursuite peut être considérée comme un dysfonctionnement du système judiciaire : le ministère public n'a pas fait le job. La jurisprudence ouvre donc largement les portes à une sorte d'imprescriptibilité qui vise certains délits clandestins. L'exemple type est l'abus de biens sociaux, qui ne peut être découvert qu'au jour de la publication des comptes de l'entreprise. Mais il en va souvent de même de la corruption, du trafic d'influence, etc.

Cependant, les choses ne sont pas toujours évidentes.

L'histoire de cette mère, Dominique Cottrez, qui a dissimulé ses grossesses successives et tué ses huit enfants à leur premier souffle de vie, a marqué les esprits. Or, les faits étaient prescrits. Inadmissible ! La société ne pouvait pas accepter que cette femme ne soit pas jugée. Pourtant, les juges ont hésité : s'agissait-il d'infractions cachées - donc non prescrites - ou de crimes successifs dont on a effacé les traces, ainsi que le font la plupart des criminels ? Et, comme le crime de sang est par définition une infraction instantanée, peut-on lui appliquer le même régime qu'à un délit de réflexion, comme c'est le cas de l'abus de biens sociaux ?

C'est finalement l'Assemblée plénière de la Cour de cassation qui a tranché. En zigzag. Dans un arrêt du 7 novembre 2014, elle a énuméré les éléments qui expliquaient pourquoi personne n'avait détecté la monstruosité des gestes de cette femme : obésité cachant la grossesse, accouchement sans témoin, non-déclaration de naissance..., pour conclure finalement que ces éléments constituaient un " obstacle insurmontable à l'exercice des poursuites ". Une raison suffisante pour suspendre la prescription. La morale était sauve, mais les juristes se grattouillaient le menton : peut-on suspendre une prescription qui n'a pas commencé ?

La coupable a écopé de neuf ans de prison.

On peut dire que pour la circonstance, les hauts magistrats ont réécrit la loi. Le législateur ne pouvait donc en rester là (voir sur ce blog : Vers une réforme de la prescription).

D'où cette proposition de loi sur la réforme de la prescription pénale déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale le 1 er juillet 2015 par les députés Alain Tourret et Georges Fenech. Les points forts de ce texte sont de doubler la durée du délai de prescription pour les crimes (de 10 ans à 20 ans) et les délits (de 3 ans à 6 ans) et de rendre imprescriptibles certains crimes de guerre. Il sacralise également l'infraction cachée, en élargissant son champ. Il existera donc dorénavant deux types d'infractions cachées :

  • L'infraction occulte, " qui en raison de ses éléments constitutifs ne peut être connue ni de la victime ni de l'autorité judiciaire ".
  • L'infraction dissimulée, " lorsque l'auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à empêcher sa découverte " - ce qui est souvent le cas.

Pour ces deux types d'infractions, le délai de prescription court à compter du jour où l'infraction est connue.

Cependant, les sénateurs ont ajouté au texte des députés un délai butoir : 12 ans pour les délits et 30 ans pour les crimes.

Autrement dit, un délit dont on découvre l'existence plus de 12 ans après sa commission sera prescrit - alors qu'auparavant, de fait, il était imprescriptible.

Il y avait pourtant une patate cachée dans le texte des sénateurs : l'article 112-2 du code pénal, réécrit par la loi du 9 mars 2004, qui prévoit, dans son alinéa 4, que la nouvelle prescription remplace l'ancienne.

Les délits occultes, qui jusqu'à présent n'étaient pas prescriptibles, risquaient donc de le devenir au bout de douze ans, même pour des dossiers en cours d'instruction. Cela aurait ressemblé à une amnistie cachée, pour les auteurs cachés, d'infractions cachées, que l'on imagine politico-financières...

Aussi, in extremis, les sénateurs ont rajouté un article 4 à la future loi : celle-ci ne peut avoir pour effet de prescrire des infractions dont la justice est déjà saisie. Mais du coup, elle vient contredire la loi de 2004... La patate est dans le camp des députés. On attend leur vote.

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