Police : la mutinerie

Publié le 23 octobre 2016 par Alainhdv

Quelques centaines de policiers s'attroupent, la nuit, depuis une semaine, pour manifester leur hostilité au gouvernement. L'attaque aux cocktails Molotov de Viry-Châtillon et les propos malheureux de Bernard Cazeneuve sur ces " sauvageons " qui s'en prennent aux forces de l'ordre ont suffi à faire sauter le couvercle d'une police en rupture.

Ce n'est pas la première fois que la marmite déborde, car ce métier ne fait aucun cadeau ! Le flic prend l'homme. Et du coup, les policiers ont une inclinaison au nombrilisme. Ils sont souvent comme ces comédiens, tellement pris par leur personnage, qu'ils ne parviennent pas à séparer leur vie professionnelle de leur vie tout court. Et ils prennent tout dans la gueule. C'est sans doute l'une des raisons qui fait qu'il y a tant de suicides dans la profession...

C'est une charge difficile, pour celui qui l'exerce et pour le ministre qui se veut leur patron. Il n'est pas évident pour ce dernier d'écouter et de comprendre sans tomber dans l'excès, de la démagogie à la " couvrante " systématique. " Si la police était facile, il n'y aurait pas besoin de police ", disait Dominique Monjardet, le premier sociologue à avoir exploré l'univers policier*.

C'est le métier qui veut ça. Ces hommes, ces femmes, font l'objet d'une attention particulière du pouvoir politique et sont en permanence sous l'œil des médias - mais sur le terrain, ils sont souvent bien seuls. D'autant que les différentes réformes de ces dernières décennies ne sont pas encore complètement assimilées. Peu à peu, les gardiens ont pris la place des inspecteurs, tandis que les adjoints de sécurité bouchent les trous ; les officiers, eux, sont devenus des patrons, sans en tirer grand avantage ; et les commissaires rament pour chercher leur place. Il faut dire qu'ils sont les seuls à conserver un grade civil dans un univers de plus en plus militarisé. Ils sont d'ailleurs durement attaqués. On leur reproche de ne penser qu'à leur carrière et de n'être, trop souvent, que les porte-paroles des autorités politiques, alors qu'ils devraient être le filtre. Est-ce qu'une seule fois Bernard Cazeneuve a eu en face de lui un commissaire de police pour lui dire non, ça, Monsieur le Ministre, c'est un ordre que je ne peux pas donner...

Ce n'est pas ce que j'aimerais dire, mais beaucoup d'anciens pensent comme moi.

Pour autant, peut-on admettre que ces manifestants, policiers ou pas (car à l'évidence, certains ne le sont pas), marchent, masqués et armés vers le Palais présidentiel... cela ressemble tellement à un putsch qu'il y a de quoi avoir des sueurs froides. Cela n'a rien à voir avec une réaction émotionnelle liée à l'agression ou à la mort d'un collègue.

On peut comparer cette révolte à celle du 13 mars 1958. Ce jour-là, plusieurs centaines de policiers se massent devant les grilles de l'Assemblée nationale (60 ans plus tard, ils n'y ont même pas pensé...), bousculant l'agenda parlementaire. Ce mouvement faisait suite à l'assassinat d'un gardien de la paix, victime de la fédération française du FLN, pour qui les forces de l'ordre étaient des cibles prioritaires.

Mais ce mouvement spontané n'était que la queue d'une importante manifestation organisée par le puissant syndicat des gardiens de la paix de la préfecture de police. Et celle-ci, tout à fait légale, dans les limites du statut spécial des fonctionnaires de police, adopté en 1948 (qui interdit notamment le droit de grève).

On ne sait pas si c'est la manif ou l'attroupement spontané qui a fait plier le gouvernement... En tout cas, les autorités lâchèrent du lest, accordant notamment les indemnités de sujétions spéciales de police (ISSP), une prime de risque fixée à 20 % - qui atteint aujourd'hui 26 % et qui devrait bientôt être revalorisée.

Si les policiers rencontrent des difficultés dans l'exercice de leur métier, financièrement, ils ne sont pas si mal lotis. D'ailleurs, il y a quelques mois le secrétaire général de Synergie Officiers, Patrice Ribeiro, cité dans Le Monde, disait : " Sur cinq ans, nous obtenons 380 millions d'euros. C'est un effort considérable, ça marque une considération au plus haut niveau de l'État. "

Aujourd'hui, devant ces " Nuits debout ", les syndicats semblent avoir été pris de court et tentent de récupérer le coup en reprenant certains slogans. C'est une manière de calmer le jeu, car il faut relativiser l'importance du mouvement : 100 manifestants représentent moins de 0,1 % des corps actifs de la police.

Et puisque l'on parle d'effectifs et que les politiques se lancent sans cesse des chiffres à la figure, ceux qui veulent se forger leur propre opinion peuvent aller sur le blog d'un syndicaliste, sur Mediapart - ici.

Dans les sujets qui fâchent figure la mansuétude de la justice. On les arrête, ils les relâchent ! C'est une litanie que j'ai toujours entendue et que j'ai dû moi-même réciter un jour ou l'autre. Mais cela n'a jamais été aussi faux qu'aujourd'hui : la justice est de plus en plus répressive - et d'ailleurs nos prisons débordent. Les procureurs sont devenus de superflics et souvent couvrent les bévues, voire les bavures, de leurs " subordonnés ". Quant aux juges, ils sont parfois effarés des procédures qui arrivent sur leur bureau, fagotées à la va-vite par des OPJ débordés ou mal formés. Pour le bonheur des avocats.

Notre procédure est écrite, c'est la règle. Elle est trop compliquée, c'est un fait. Et pourtant l'étude de la réforme en profondeur de la procédure pénale, entamée il y a quelques années, a été brutalement stoppée. Je ne sais pas pourquoi. (Rien à voir avec la récente réforme qui vise à renforcer la lutte antiterroriste.)

Quant à la présomption de légitime défense, c'est un " marronnier " politique. Déjà en 2012, certains policiers ont réclamé un changement de la législation. Et plus loin encore, si j'ai bonne mémoire. Mais comment écrire dans le Code que si un policier tire et tue, il ne sera pas poursuivi ! C'est impossible. Car, lorsqu'un homme meurt, même si c'est la pire des crapules, il est normal qu'il y ait une enquête. Et c'est celle-ci qui va déterminer une éventuelle responsabilité du fonctionnaire ou de l'administration.

D'ailleurs, contrairement à ce qui se raconte, la présomption de légitime défense des forces de l'ordre est prise en compte par les magistrats, dans le cadre de leur enquête. Aussi, lorsque j'entends un député dire qu'il serait illégal pour un policier de tirer sur un terroriste armé d'une kalachnikov, à moins qu'il ne soit directement menacé, je tombe sur le cul. On lui colle une balle entre les deux yeux, point barre ! Et l'enquête se limitera à quelques lignes. De même, lorsqu'on nous dit que, devant le Bataclan, des militaires n'ont pas fait usage de leur arme, car ils n'avaient pas d'ordre. " L'ignorance est la nuit de l'esprit. "

Alors, il y a certainement des tas de choses à faire pour améliorer le fonctionnement des services de police, surtout ceux qui ont été amputés par le gonflement des effectifs antiterroristes, et c'est de bon droit que les policiers réclament plus de moyens, plus de matériels, voire une simplification de la paperasse, mais - de grâce - oublions une fois pour toutes les revendications provocatrices. Elles ont un relent politique, et ceux qui les encouragent ou les fomentent ne sont pas dignes d'accéder aux responsabilités qu'ils briguent.

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    Notes inédites sur les choses policières, 1999-2006, de Dominique Monjardet, sous la direction d'Antoinette Chauvenet et Frédéric Ocqueteau, éditions La Découverte.
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