NEWS NEWS NEWS Le 21 septembre, Nicolas Hulot a confirmé qu'il ne porterait pas les couleurs de l'écologie à la présidentielle. Crédité de 9 % à 10 % des intentions de vote par les sondages, soutenu par une pétition de 50 000 signatures, il semblait pourtant le meilleur candidat possible. En son absence, le parti Europe Ecologie-Les Verts (EELV), pour qui la candidate Eva Joly avait obtenu 2,3 % des voix à la présidentielle de 2012, se retrouve divisé, sinon balkanisé en courants irréductibles, et livré au combat des chefs. Que se passe-t-il ? Pourquoi l'écologie politique échoue ? (publié dans Le Monde IDÉES)
Les températures montent, la biosphère se dégrade, l'urbanisation s'étend, les 184 pays de la COP 21 tentent de s'entendre pour contenir les menaces sur l'écosystème... Pourtant, en France, où les enjeux environnementaux n'ont jamais été aussi cruciaux, l'écologie politique est inaudible. Comment expliquer un tel paradoxe ? Comment comprendre ce décalage avec l'Autriche, où l'écologiste Alexander Van der Bellen a emporté en juin la présidentielle (le résultat a depuis lors été invalidé) ? Avec l'Allemagne, où Winfried Kretschmann, l'un des fondateurs de Die Grünen (les Verts), a été élu à la tête du Land de Bade-Wurtemberg avec 30,3 % des voix ?
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Les analyses pour tenter de comprendre cet échec français ne manquent pas. Ainsi, pendant un an, à l'appel de la fondation La Fabrique écologiste, plus de cinquante personnalités concernées, chercheurs - Daniel Boy du CEVIPOF, Isabelle Veyrat-Masson du CNRS... -, responsables d'associations - Amis de la Terre, Greenpeace... -, dirigeants d'entreprise - Jean Louis Beffa de Saint-Gobain, Gérard Mestrallet de GDF-Suez -, anciens ministres - Delphine Batho, Pascal Canfin, Cécile Duflot -, ont travaillé à la conception d'un texte de réflexion au titre évocateur, " La résistance française à l'écologie ", présenté au public en février 2015.
Qu'en dit aujourd'hui sa rapporteuse, Esther Bailleul, chargée de mission du Réseau pour la transition énergétique (CLER) ? " Les causes de la désaffection pour l'écologie sont nombreuses - politiques, économiques, philosophiques -, mais aucune n'est identifiée comme dominante. " Un premier constat s'impose cependant dans l'étude : la faiblesse de l'écologie politique vient de ce qu'elle n'est pas considérée, au niveau étatique, comme porteuse d'un projet sociétal majeur. " L'Etat centralisateur limite le rôle des territoires et de l'expérimentation. La formation des élites françaises et les critères des décisions publiques ne prennent en compte les préoccupations écologiques que de manière sectorielle ou secondaire. L'écologie est toujours perçue comme une contrainte et non comme une opportunité ", précise-t-elle. Tous les ministres de l'environnement et les responsables écologiques confirment cette analyse.
En 1998, dans " On ne peut rien faire, Madame le ministre... " (Albin Michel), Corinne Lepage, ministre entre 1995 et 1997, dénonce la frilosité des dirigeants face aux lobbys de l'automobile et le désintérêt pour l'écologie des technocrates des grands corps de l'Etat. En 2010, trois ans après le " Grenelle de l'environnement " lancé par Nicolas Sarkozy, le Réseau Action Climat et la Fondation Nicolas Hulot dressent, eux aussi, un " contre-bilan " sévère : le " Grenelle " a été " l'occasion de beaucoup d'annonces mais de très peu de mises en œuvre ". Sous les socialistes, même déception pour la ministre de l'Écologie, Delphine Batho : elle est démissionnée en juillet 2013 après un an d'exercice. Dans son ouvrage L'insoumise (Grasset, 2014), elle explique comment Matignon a contré toutes les décisions qui lui semblaient populaires : ne pas reporter la dette d'EDF sur les consommateurs, développer des compteurs d'électricité intelligents, réduire la part du nucléaire a profit du renouvelable dans le mix énergétique.
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Les regrets sont d'autant plus amers que le " Grenelle " popularisait les propositions fortes de l'écologie politique : maîtriser la demande d'énergie, préserver la biodiversité, favoriser un environnement respectueux de la santé, encourager des modes de production durables dans l'industrie et le bâtiment, promouvoir des énergies vertes favorables à l'emploi, instituer une taxe " climat énergie " sur les émissions de dioxyde de carbone, lancer des plans territoriaux associés à l'Agenda 21 - le plan d'action pour le XXI e siècle adopté lors du sommet de la Terre de Rio de Janeiro (Brésil), en 1992.
" Difficile de convaincre "
" Quand le gouvernement lui-même piétine, reprend Esther Bailleul, comment défendre ces propositions auprès des entreprises, dans les régions ? " C'est là sans doute une des causes majeures de la difficulté pour l'écologie politique à se faire entendre : elle est réduite par les dirigeants politiques de droite comme de gauche à une sorte de variable d'ajustement, alors qu'elle interroge n'ensemble du processus de décision politique. Comme l'avance les analystes de l'étude de la Fabrique Ecologique : " L'écologie est d'abord perçue comme un facteur de complexité supplémentaire, et non comme une perspective ou une solution (...) Le projet écologique porte des conséquences sur l'ensemble de l'organisation économique et sociale, la conception des politiques publiques et leur mise en œuvre. Il structure la politique autour d'objectifs, d'espaces, et de processus différents des modalités actuelles d'exercice du pouvoir. Son calendrier n'est pas celui du mandat électif et il se déploie à des échelles infra et supra nationales. "
Cette optique de marginalisation des propositions écologiques par les gouvernements est d'autant plus dommageable que, sur le terrain, explique Esther Bailleul, " les problématiques d'énergie " commencent d'être entendues. " Quand on fait le lien entre transition énergétique et développement local, nous trouvons des oreilles attentives dans le monde rural ", assure-t-elle. Sauf que les avantages ne sont pas en effet immédiats, et la mise en pratique des exigences écologiques parfois lente et laborieuse. " Dès lors qu'il s'agit d'établir un plan rigoureux de transition énergétique sur la durée, il est difficile de convaincre, même quand les élus locaux et les chargés de missions sont d'accord. " C'est là, au niveau des régions, une autre cause de la méfiance que rencontre l'écologie politique : elle réfléchit sur le long terme, ses résultats se font attendre.
La Biovallée et le Beaujolais Vert
Esther Bailleul le regrette d'autant plus qu'elle supervise, en France, les initiatives d'une cinquantaine de territoires membres du réseau Territoires à énergie positive (Tepos) : des collectivités locales et rurales qui se sont fédérées pour couvrir leurs besoins grâce à des énergies renouvelables - comme la Biovallée de la Drôme, 45 000 habitants, la collectivité Beaujolais vert et ses 48 communes ou encore le réseau Pays terres de Lorraine. " Sur ces territoires, la volonté est là, une conscience naît, assure-t-elle. Nous multiplions les rencontres et les publications pour populariser les réussites. Mais, hélas, la continuité fait parfois défaut. Les équipes politiques changent, les priorités aussi, il faut tout réexpliquer, et ce n'est pas facile ! " Elle pointe là une nouvelle difficulté de l'écologie politique sur le terrain : elle exige une pensée complexe, voire des explications techniques et scientifiques ardues à faire comprendre, elle nécessite des transformations structurelles - que ce soit au niveau des programmes publics que des entreprises.
Pour un territoire passant au renouvelable, une entreprise changeant sa chaîne de production combien d'autres ne tentent rien ? Bien souvent, les habitudes et l'inertie l'emportent. Quand il s'agit de boucler un budget territorial difficile, la crise planétaire globale semble soudain bien loin, et l'urgence... moins urgente. Et voici une autre raison expliquant la mauvaise réputation de la proposition écologique : parce qu'elle exige parfois des investissements coûteux, des changements technologiques importants, elle apparaît comme contraire à l'équilibre économique. Irréaliste, trop chère, trop réglementaire et néfaste à l'emploi.
Ces trois données, inhérentes à la réflexion écologique - se faire entendre comme une perpective d'avenir proposant des réformes structurelles, travailler sur le long terme au détriment des résultats tangibles - compliquent sa tache. L'étude de La Fabrique le rappelle bien : " Avec la persistance d'un chômage élevé, l'enthousiasme pour l'écologie a disparu. La transition écologique, la mise en place de nouvelles filières, les processus de conversion sociale nécessitent du temps, des moyens et de la détermination politique. "
La métaphysique de l'esprit cartésien
Si l'écologie politique est à la peine en France, c'est aussi pour des raisons plus essentielles, plus " métaphysiques ", estime le philosophe Dominique Bourg, professeur à la faculté des géosciences et de l'environnement de Lausanne. " La pensée écologique propose une interprétation de la place de l'humanité au sein de la nature, en termes de limites de la biosphère, de finitude de l'homme et de solidarité avec l'ensemble du vivant ", rappelle-t-il.
Or, cette conception va radicalement à l'encontre de la philosophie qui a fini par dominer au sein de la chrétienté européenne, comme l'a bien montré l'historien américain Lynn White. Pour celle-ci, dit Dominique Bourg, " l'homme, à l'image de Dieu, est considéré comme un être supérieur à tous les êtres vivants. Il dispose de toute la nature comme il l'entend, il s'en rend maître et possesseur, elle ne vaut que pour autant qu'il la transforme. Ce n'est qu'un stock de ressources ".
La fusion, au XVII e siècle, de cette pensée chrétienne désacralisant la nature et de la science moderne, symbolisée par le cartésianisme français, a accéléré ce processus de séparation entre l'homme et la biosphère. " Par la suite, poursuit le philosophe, la pensée occidentale, que ce soit les socialistes ou les libéraux, a pérennisé cette conception utilitaire. Or, la pensée écologique critique radicalement ces vues. Elle remet en cause la croissance et le productivisme. " Voilà pourquoi elle est si mal acceptée. Notamment au pays de Descartes, resté très rationaliste, qui a tout misé sur le nucléaire.
Verte critique des Verts
Dominique Bourg se montre par ailleurs sévère à l'égard des Verts français, avançant que la mauvaise réception de l'écologie en France tient pour beaucoup à leur attitude - et surtout à celle de leur chefs. " Ils se déchirent entre eux, ils se battent pour des maroquins, ils ne connaissent pas toujours les dossiers. Les Français s'en sont aperçus ", résume le philosophe, pour qui leur grande erreur est de défendre " une politique plus de gauche qu'écologique ". C'est d'autant plus dommageable que l'écologie politique est apparue en France en fédérant plusieurs courants de pensée : des défenseurs des régions, des soixante-huitards anticapitalistes, des protecteurs de la nature. Elle a vocation à brasser largement, à tenter des expérimentations au niveau local, comme le montrent les succès des écologistes en Suisse et dans les pays scandinaves et des Verts en Allemagne, qui ont su s'allier des personnalités du centre et convaincre.
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Daniel Cohn-Bendit, qui vit de l'autre côté du Rhin, avance une autre raison à la bonne implantation des Grünen. Aidés par un scrutin avec une part de proportionnelle, ils ont de nombreux élus et sont présents dans les Länder, où ils peuvent mettre en œuvre leurs propositions. " Ils ont apporté aux villes allemandes un mode de vie aéré, avec des espaces verts, de l'économie circulaire. Ces succès les ont installés dans le paysage politique. En France, le manque d'expérimentations concrètes dessert les Verts. " L'autre victoire politique des Grünen est d'avoir imposé la sortie du nucléaire et lancé la transition énergétique : " Depuis, l'Allemagne est la championne d'Europe des énergies renouvelables. En France, les Verts ont remporté peu de victoires significatives. "
" Signes de changements civilisationnels "
Pascal Canfin, ministre délégué au développement de 2012 à 2014, n'est pas aussi radical sur l'insuccès de l'écologie française. Pour lui, l'essor des Grünen est associé à l'épisode des pluies acides sur la Forêt-Noire : " Les Allemands ont été choqués d'apprendre que le cœur romantique de leur pays était en danger. Cela les a réconciliés avec la pensée écologique. "
Or, avance Canfin, un mouvement patrimonial semblable pourrait naître en France, où les littoraux sont menacés par la montée des eaux et où l'urbanisation dévore les territoires. Il constate aussi l'arrivée de nouveaux comportements : la consommation bio gagne des adeptes, celle de viande baisse significativement, le culte de la voiture individuelle est mis à mal par les réseaux de transports collectifs : " Autant de signes de changements civilisationnels. "
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Pour l'ancien ministre, c'est plus une véritable " théorie du changement " qui fait défaut à l'écologie politique. Plutôt que de se présenter comme porteuse de contraintes, celle-ci devrait montrer qu'elle défend l'intérêt des Français en ce qui concerne la santé, l'alimentation, les territoires, les pollutions, l'emploi. " Il faut qu'elle défende une nouvelle qualité de vie. Ensuite, elle pourra expliquer qu'il faut des règles et des obligations ", affirme Pascal Canfin.
Reste la grande question, que tout le monde connaît et auquel personne ne s'attaque de front : cette " théorie du changement ", pour être pleinement mise en œuvre, suppose une révolution de notre système économique mondial. " L'écologie appelle à changer radicalement nos modes de vie et de production pour sauver cette planète, résume Daniel Cohn-Bendit. Or, personne n'a le courage politique de défendre un tel programme. "
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